Agenda, Critiques, Evènements // Roméo et Juliette, de William Shakespeare, par le collectif Lyncéus, Terrain de sport de Fouesnant

Roméo et Juliette, de William Shakespeare, par le collectif Lyncéus, Terrain de sport de Fouesnant

Sep 28, 2023 | Commentaires fermés sur Roméo et Juliette, de William Shakespeare, par le collectif Lyncéus, Terrain de sport de Fouesnant

 

 

© Mehdi Beuneche

fff Article de Denis Sanglard

Montaigu / Capulet : match nul, 1 partout ! Romeo et Juliette de William Shakespeare ou le foot métaphore de la guerre civile qui emporte tragiquement nos deux amants. Transposer cette tragédie dans le monde du ballon rond, idée en apparence incongrue, il fallait oser. Pourtant cette création d’une intelligence épatante est une belle réussite, jubilatoire même. Parce que ce qui importe le plus ici, disséqué de belle et originale façon, n’est pas tant une histoire d’amour rebattue que le mécanisme absurde et irréversible d’une guerre civile et qui les emporte malgré eux. De la responsabilité collective ou de la responsabilité individuelle dans cette gabegie la question est posée ouvertement. Et pour ce faire il importe ici d’embarquer dûment le public avec soi. Des spectateurs d’emblée sommés de choisir leur camps. Endossant tee-shirt bleu pour le clan Montaigu, rouge pour les capulets. Divisés dés lors en deux clans, deux tribunes qui se font face, chauffées à blanc avant que ne commence le drame. Il en sera ainsi au long de cet étrange match où se joue la vie de nos personnages qui voit chaque partie se conspuer, huer nos héros, commenter l’action et pour un peu on en viendrait aux mains. Cela pourra être plaisant mais très vite cette implication collective, cette drôle de catharsis prend une étrange tournure jusqu’au malaise. La mort de Mercutio devient un instant inattendu de sidération, une mise à mort qui vous glace par sa violence inattendue. A l’instant du meurtre est choisi un spectateur à qui la « daronne Capulet » tend fermement un révolver pour abattre le personnage. Et là, on ne rit plus, on ne joue plus du tout et ce qui semblait être une comédie à laquelle on se donnait entièrement, se fracasse sur une réalité qui surgit abruptement. Cet instant bouleversant est un moment de bascule inouï où la question de la responsabilité individuelle au sein du collectif, où l’individu est mis sans façon face à lui-même, mis à nu, dissocié soudain de son groupe qui l’anonymisait. La spectatrice ce soir-là, n’a pas pu, et défaite a rendu l’arme… Par contre les Montaigu d’un seul élan, ou presque, collectivement ont baissé le pouce pour la mort de Tybald. Pourquoi alors songe-t-on soudain à « la banalité du mal » d’Hannah Arendt ? Cette logique totalitaire supprimant le sens de la liberté et de la responsabilité individuelle où l’individu se perçoit comme un rouage du système… La banalité du mal où la déresponsabilisation de l’individu. La métaphore footballistique prend dès lors et étrangement, violement tout son sens. Et c’est la force de cette mise en scène de soulever, de mettre en exergue ce qui sous-tend cette pièce et la traverse tout du long, non pas la nature d’un conflit aux origines lointaines et perdues mais ce qui l’entretient absurdement et dont sont victimes Roméo et Juliette.

 

© Jeco

 

Reste une mise en scène qui va à l’essentiel, énergique ne s’embarrassant pas de détails mais soucieuse des enjeux dramaturgiques. L’important est l’urgence et d’occuper ce vaste terrain. Maillots floqués du nom de leur personnage, les comédiens, au diapason et d’un vrai talent, ne se ménagent pas sous les lazzis, conspués ou encouragés par leur supporters. Rien de bâclé, d’anarchique pour autant. Tout est d’une extrême maîtrise, d’une grande précision dans la concision, une véritable stratégie sportive où ne manquent pas cartons jaune et rouge distribués par le maire, devenu ici l’arbitre d’une partie mortelle entre deux clans irréconciliables. Il fallait pour ce faire une traduction qui colle, d’une modernité crue sans trahir le texte original. C’est de ce point de vue là aussi réussi. Triviale, charnelle et poétique jusque dans l’ordurier, percutantes, les répliques sont autant de passes et de tirs au but qui ne manquent pas de marquer, de tacles qui font se trébucher les adversaires. Le football étant aussi une histoire de corps, de chairs, de sexe, cet aspect-là est loin d’être négligé. Sur le terrain on transpire, on mouille le maillot, on se combat corps à corps. Roméo slame son amour et c’est d’une insolente beauté. Juliette n’y va pas avec des pincettes, jeune fille résolue, loin de la jouer sucrée. Avec ces deux-là, l’amour c’est aussi du sport, un sport de combat, et tant pis si on doit trahir son équipe. Et si nous continuions de filer la métaphore, l’esprit d’équipe au sein de ce collectif est un formidable atout qui ajoute grandement à cette création originale. Tous au diapason d’une partition rugueuse, d’une mise en scène culottée mais rigoureuse, ne manquant pas d’une énergie qui jamais ne fait défaut et d’un foutu talent qui les porte au-delà d’eux-mêmes, se souciant comme d’une guigne du genre. Chacun détoure son personnage avec nuance, leur insufflant une sacrée modernité sans rien sacrifier à la poésie, voire à la tradition. Et quand siffle la fin de partie, tragique forcement, les tribunes soudain muettes devant le corps des amants, il flotte dans ce stade l’impression d’avoir vécu par notre implication forcenée un véritable drame partagé collectivement, voire une responsabilité. Le collectif Lyncéus réussit-là un superbe pari, culotté certes, mais le résultat est là, et on se dit que oui, si la guerre n’est pas un jeu, Shakespeare c’est aussi du sport !

 

© Mehdi Beuneche

 

Roméo et Juliette, de William Shakespeare      

Mise en scène et traduction d’Antonin Fadinard

Assistant à la mise en scène : Robin Causse

Dramaturgie : Julien Drion et Antonin Fadinard

Création sonore : Antoine Layère

Costumes : Angèle Béraud

Régie générale : Illona Jourdan

Avec : Fernanda Barth, Cécile Chatignoux, Pauline Coffre, Sébastien Depommier, Thomas Gourdy, Virgile L. Leclerc, Eugéne Marcuse, Hélène Rencurel*, Robin Causse*, Mathieu Saccusi, Damien Zanoly

*en alternance

 

Vu le 7 septembre 2023 au Terrain de Sport de Fouesnant / Finistère

 

Tournées 2024 :

Mardi 14 mai 2024 : Théâtre du Champ au Roy, Guingamp (22)

Jeudi 16 mai 2024 : Quai des Rêves, Lamballe (22)

Du 22 au 24 mai 2024 : Le Quai, CDN Angers Pays de la Loire (49)

Jeudi 30 mai 2024 : Pronomade(s), Saint-Gaudens (31)

Samedi 1er juin 2024 : L’Estive, Scène Nationale de Foix (09)

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed