À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // HUG, conception et chorégraphie de Rémi Esterle, au Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre de la programmation Danse Élargie du Théâtre de la Ville

HUG, conception et chorégraphie de Rémi Esterle, au Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre de la programmation Danse Élargie du Théâtre de la Ville

Sep 25, 2023 | Commentaires fermés sur HUG, conception et chorégraphie de Rémi Esterle, au Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre de la programmation Danse Élargie du Théâtre de la Ville

 

© Emmanuelle Staüble

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

C’est une marche infinie, long ruban qui se déploierait invisiblement sous leurs pieds. C’est un film où ceux qui sont en mouvement, progressant sur une route nocturne, nous apparaissent paradoxalement inamovibles dans les limites indépassables du cadre de l’image. Ce sont des bandes magnétos luisantes tels des câbles s’élançant vers des poulies, se déroulant comme s’ils étaient filés par d’invisibles Parques. HUG est riche en symboles, travaille la physique comme la métaphysique. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. La science de cette danse est pleine d’une conscience en éveil, cardant l’épaisseur laineuse du temps, en acte, faisant tressaillir l’âme du spectateur.

Rémy Esterle, expert et virtuose du tango, l’aborde loin des clichés, refuse toute acrobatie ou technique spectaculaires. Au contraire HUG investit sa parenté formelle dans l’éloignement, dans une indépendance toute majeure. Ce n’est pas à un « spectacle de tango » de plus auquel on assiste, mais à une performance où les corps se meuvent à l’unisson de l’être. Le chorégraphe dégenre la danse en convoquant un duo de femmes, quand le tango est une forme particulièrement hétéronormée. Et puis, le dispositif de mise en scène, à savoir un tapis roulant sur lequel évoluent les deux danseuses, déporte la danse de salon vers une inextinguible marche mettant en exergue l’oblique, le travers, le profil bien plus que la frontalité. Si la danse de salon, dans son face-à-face imposé à ses protagonistes, peut prendre des allures martiales, faites d’avancées, de reculades, et de contre-offensives, HUG s’impose à l’inverse par sa finesse et sa délicate exécution quand bien même elle serait attelée à une machinerie conséquente, offrant une lecture de l’intimité d’un couple hors des sentiers battus. La plus immédiate qualité de cette pièce réside dans la sensibilité toute précise avec laquelle les deux danseuses, Cécile Rouanne et Camille Serre, l’effectuent, dans leur incarnation à fleur de peau, évitant toute dramatisation, pleinement présentes au mouvement. Leurs regards tracent le dessin de la chorégraphie, pointant le dessein des êtres, aimantant une possible dramaturgie : regards parallèles, brillants d’un devenir commun, ou au contraire, regards se désarticulant, doutant, observant l’autre de biais, ou le fuyant. Rythmés par la marche, ils sont autant de signes donnant lisibilité et chair à ce qui ne serait sinon qu’une abstraction formelle, ils sont l’affleurement d’un indicible texte, vite emporté par la roue du temps. Si le tango est réputé pour sa nervosité, les forces saillantes qu’il met en scène, HUG, tout en souplesse, délie les articulations, arrondit les angles, donnant à cette marche infinie, sans être indemne d’accidents, la fluidité hypnotique d’un sablier se déversant.

Des lumières latérales peignent des profils arrachés en partie à la nuit, comme dans une peinture de George de la Tour. Les visages émergent d’une eau noire, un déhanchement effleure la clarté, une nuque jaillit de l’ombre. Ces deux amies ont l’éternité devant elles, elles pourraient être les figures d’un poème symboliste de Maeterlinck. Dans la succession de leurs pas, emboîtés ou distancés, s’écrivent les éphémères traits d’une vie à deux. Danse profondément consolatrice, quand bien même elle est cernée de l’irrémédiable peur de la perte, nous étreignant dans un doux amer embrassement. Me reviennent en mémoire ces vers du Qohélet (L’Ecclésiaste) :

A deux quand l’un tombe

l’un relève l’autre

mais celui tombé seul

qui le relèvera ?

 

© Emmanuelle Staüble

 

 

HUG, chorégraphie & conception Rémi Esterle

Avec Cécile Rouanne, Camille Serre

Regard extérieur : Damien Manivel

Assistante scénographie : Rachel Testard

Créateur lumière : Fabrice Sarcy

 

Durée : 45 minutes

Le vendredi 15 et samedi 16 septembre 2023 à 20h

 

Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville

31, Rue des Abbesses

75018 Paris

Tél : 01 42 74 22 77

https://www.theatredelaville-paris.com

 

Dans le cadre du Festival Danse élargie

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed