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Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods et Willem de Wolf, Compagnie DE HOE, au Théâtre de la Bastille

Sep 22, 2023 | Commentaires fermés sur Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods et Willem de Wolf, Compagnie DE HOE, au Théâtre de la Bastille

© Koen Broos

fff article de Denis Sanglard

Il y a vingt ans ils s’écharpaient, à propos de tout et de rien, d’un frigo, de la chapelle Sixtine, de l’art baroque, d’un voyage en Grèce… C’était L’homme au crâne rasé, autopsie d’un amour ravageur qui ne s’avouait pas. Cruel et d’une ironie féroce, en creux s’inscrivait déjà une rupture inévitable. Vingt ans après ces deux-là se rencontrent par hasard dans le hall de l’aéroport de Rome. Enfin presque, sur le plateau reste comme figé en l’état, la scénographie de cette création de 2014, strate archéologique d’un passé qui se voudrait révolu. Et ce décor en est-il un se demande nos deux ex ? Si cela est une œuvre d’art, cela tient-il de la performance ou de l’installation ? De la réponse dépendrait alors la présence ou non de Peter et Natali. Et c’est bien ça, une question de perspective, de point de vue entre le vrai et le faux, la fiction et la réalité, les faux-semblants qui traverse cette rencontre pas si hasardeuse que ça comme nous l’apprendrons plus loin.

Et donc le dialogue reprend. Comme s’il fallait crever une fois pour toute un abcès non cautérisé. Et encore une fois le langage les relie et les perd tout à la fois. Au « Je t’entends mais tu ne dis rien » qui ponctuait le dialogue de Peter il y a vingt ans, Natali répond ici « tu m’as appris à regarder ». Comme une réponse définitive aux soubresauts du monde et des certitudes qui vacillent et s’effondrent motivant son engagement politique auprès de La ligue du Nord. Au discours amoureux se substitue bientôt un discours politique, éléments de langage et stéréotypes glaçant d’une extrême droite décomplexée et cynique que confirme la présence d’un tiers, le mari de Natali, conseiller en communication du parti d’extrême droite italien, témoin muet – ou presque – d’une rencontre soudain tendue par cette révélation, observant cette joute verbale, cette conversation devenu impossible, ou vide de sens, parce qu’il n’y plus de langage commun, un même mot n’ayant plus le même signifié pour ces deux-là. Et quand le mari (Willem) prend la parole, en parfait populiste, c’est au public qu’il s’adresse, comme à des électeurs potentiels qu’il faut convaincre. Ce qui est dénoncé là sans fard c’est combien la séduction, en amour comme en politique, est aussi un mécanisme de manipulation, un enjeu de pouvoir qui se joue entre la vérité la vraisemblance. Là on ne se parle plus, on communique. Appelons ça « propagande ».

Et soudain, brusquement, comme il y a vingt ans, quand les mots ne suffisaient plus, devenus impuissants, mais que la force du désir était toujours latente, Peter et Natali en viennent aux mains. Une valse chahutée, une empoignade désespérée où les corps s’accrochent l’un à l’autre tout autant qu’ils se rejettent. Et la question est posée, un homme de gauche peut il aimer une femme d’extrême droite, et inversement ? Peut-on passer, tenu par le désir qui vous fouaille, outre ses convictions ?

Mais si tout cela n’était qu’une comédie de plus, un jeu de manipulation, une rencontre de dupes ? Qui manipule qui ? Qui se sait manipulé ? Sommes-nous également manipulés ? Partie truquée où ces trois jouent diaboliquement de toute ces strates, de ces ambiguïtés retorses, sans que nous spectateurs n’ayons de réponse et que la vérité comme l’horizon semblent s’éloigner plus en s’en approche. Reste le poids des mots et leur réversibilité, la pensée que l’on purge de sa vérité et travestit, les idéaux fascistes banalisées par des éléments de langage qui nous menacent. Et la fin, volontairement et intelligemment ouverte, nous laisse non sur notre faim mais sur un malaise : Willem se dévoile à Peter et nous ne saurons strictement rien de la suite…

Et comme toujours avec la compagnie de Hoe (anciennement De Koe), cette façon formidable et particulière d’être sur un plateau, cette impression d’inventer le texte devant nous, de le vivre sans le jouer. Et paradoxalement de toujours souligner que nous sommes bien sur une scène, que tout ça c’est du théâtre, que le public est avant tout un partenaire à qui l’on s’adresse directement, à qui on peut mentir sans vergogne. Mettre enfin à distance ce qui est énoncé tout en poussant l’illusion de la réalité à son extrême en vidant la théâtralité de tout effet, de tout affect, abolissant de même toute frontière entre la salle et le plateau. C’est toujours une expérience troublante et qui prend ici, par ce qui est énoncé, une profondeur qui vous oblige. Pour mémoire « l’homme nouveau » auquel fait sans doute référence le titre de cette création, le nouvel homme, est une des clefs de voute de l’idéologie fasciste européenne de l’entre-deux-guerre, dans la volonté d’exercer un contrôle absolu sur les individus en les remodelant sur le plan physique et moral à partir de nouvelles valeurs et idéaux, devenant ainsi métaphores de la régénération d’une société nouvelle…

 

© Koen Broos

 

Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods, Willem de Wolf

Avec Natali Broods, Peter Van den Eede, Nico Sturm

Régie technique et son : Bram De Vreese, Shane Van Laer

Traductrice et coach linguistique : Martine Bom

 

Du 14 au 29 septembre 2023

A 20h30, le samedi à 18h30

Relâche les dimanches

Durée 1h30

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

 

Réservations : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

 

 

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