© Guillaume Belvèze
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Grand Crié fait écho bien sûr au grand jeté du ballet classique, ce saut avec grand écart particulièrement spectaculaire. Dans son titre même, Nicolas Barry joue donc des références comme on jouerait des coudes, instituant une nouvelle catégorie qu’il crée avec un brin d’ironie. Le cri, s’il renvoie à une certaine matière sonore, vocale, sera ici pris plutôt dans ce qu’il exige et révèle du corps, du visage, dans leur expressivité écartelée entre l’émotion qui lui donne naissance et le travail musculaire qu’il met en jeu. Le ressort et l’effort. Trois danseurs, un musicien, et Nicolas Barry sont au plateau, servis comme sur un plateau. Carré blanc, quelques chaises, un collier de perle. Ils seront muets, ils seront, mieux dit, parlés par une bande son, voix enregistrée ou opéra. Ils seront les électrons mis en mouvement par un courant vocal. Ce parti pris, s’il renvoie à l’esthétique drag, creuse un vrai sillon sur la durée et procure in fine l’étrange sensation que le spectacle même est ventriloque, cette dissociation des corps et du son, alors même qu’ils sont raccord avec une réelle virtuosité, ouvrant une sorte de néant post-moderne. Si Grand Crié marque, ce n’est pas tant par certains gestes queer, que par sa singularité d’écriture et de montage jouant de l’instabilité, de l’hétérogénéité, de ses éléments, osant même un magistral long silence avant de clore. Nicolas Barry travaille dans son cabaret laboratoire hétéroclite une pensée sauvage réarticulant le monde sensible.
Les voies empruntées par Grand Crié ne sont pas indemnes de maniérisme, et la forme menace de se replier sur elle-même, mais cette tendance risquée est contrebalancée par l’énergie et la fougue joyeuse, toute dionysiaques, de ses interprètes. Grand Crié est une œuvre de jeunesse.
Grand Crié effectue un grand saut dans le vide créé par cette disjonction entre son et image. Cet écart est une sorte de bouche béante, riant grotesquement, un trou noir vertigineux, nous happant jusqu’au fond de la gorge déployée de la cantatrice, pareil à celui de Saturne dévorant l’un de ses fils dans la célèbre peinture noire de Goya. « On dirait qu’on bouge » lance la voix enregistrée de Nicolas Barry. Dansons sinon nous mourrons.
© Guillaume Belvèze
Grand Crié, conception, texte & chorégraphie de Nicolas Barry
Avec Sophie Billon, Nangaline Gomis, Julien Meslage
Composition musicale : Martin Poncet
Lumière : Lucien Vallé
Textes du livret & dramaturgie : Mathilde Soulheban
Artiste peintre : Claude Dhont
Durée : 35 minutes
Le vendredi 15 et samedi 16 septembre 2023 à 20h
Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville
31, Rue des Abbesses
75018 Paris
Tél : 01 42 74 22 77
https://www.theatredelaville-paris.com
Dans le cadre du Festival Danse élargie
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