© François Kohl
fff article de Denis Sanglard
1994, Robyn Orlin est à New-York, sans travail et sans moyen, créait In a corner the sky surenders, un solo dans un carton, le même que ceux des sans-abris de son quartier dont elle observait les mécanismes parfois violent de survie. Un solo subversif comme un manifeste qui non seulement interrogeait les mécanisme de survie mais également la condition de l’artiste, comme de l’art. Une performance brute, bricolée, comme il y a de l’art brut, fait de trois fois rien, une boite pour espace de danse et d’exploration du monde, éclairée avec quelques lampes de poches. On sait combien le regard de Robyn Orlin est aigu et sensible qui ne laisse rien passer des soubresauts et injustices du monde et chaque performance, chaque chorégraphie aussi flamboyante soit elle, exubérante même, est un constat implacable sur les disfonctionnements, le mot est faible, de nos sociétés. C’est à la danseuse et chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré, présence forte et puissance phénoménale, qu’elle confie aujourd’hui son carton. Débarquant là comme une bag-ladies en majesté, s’adonnant à de mystérieuses activités dont elle seule semble avoir le secret. Elle réinvente le monde à sa façon, soliloque, danse, chante, embrasse son corps, disparait dans son carton, déconstruit son palais de papier, fait de ses vêtements un couvre-chef digne de la fashion-week, ou un banal oreiller et s’enroule dans son ample robe devenu sac-de-couchage, demande un massage au public, envoie quelques suppliques à Emmanuelle Macron, Anne Hildago… De ce carton, elle fait sa chambre à soi. Elle est cette clocharde céleste que plus rien ne semble atteindre, libre en sa folie. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant, c’est toute la fragilité, un instinct de survie à vif et crâne de ces déclassés, exclus et mis au ban de notre société libérale, qui s’exprime là violemment sous l’ironie acérée de Robyn Orlin et l’humour ravageur de Nadia Beugré. Et ce qui motive la réactivation de cette performance aujourd’hui, sa toujours pertinence, c’est qu’il semble à Robyn Orlin que l’expérience du confinement due à la COVID, de sa violence même, où chacun était « en boite », à démontré encore une fois que devant ce basculement dans une précarité, voire un déclassement, aussi bien sociale que psychologique, les mêmes mécanismes de survie étaient à l’œuvre. C’est une performance coup-de-poing qui peut certes dérouter parce qu’il semble ne rien s’y passer, que quelques divagations d’une interprète en roue-libre. Ne vous y fiez pas, ce sont ces divagations là qui font que tous ceux qui dans les rues et sur leur carton nous ne regardons plus, les sans-abris, appartiennent encore à l’humanité.
© François Kohl
In a corner the sky surenders-unplugging archival journey…#1(for Nadia !) conception et chorégraphie de Robyn Orlin
Musique et création sonore : Cédrik Fermont
Costumes : Birgit Neppel
Reconstruction du décors : Annie Tolleter
Direction technique : Beatriz Kaysel Velasco e Cruz
Contribution lumières : Romain de Lagarde
Du 22 au 24 septembre 2013
ven. Sam 19h, dimanche 17h
THéâtre de la Ville / Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
réservations : www. theatredelaville-paris.com
Vu le 9 novembre 2022 à Chaillot, Théâtre National de la Danse
comment closed