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Edelweiss [France Fascisme], texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault, au Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier – Festival d’Automne à Paris

Sep 25, 2023 | Commentaires fermés sur Edelweiss [France Fascisme], texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault, au Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier – Festival d’Automne à Paris

 

© Jean-Louis Fernandez

ff article de Denis Sanglard

« Mais je sais qu’il n’y a pas de hasard à choisir ce qui vous déshonore » écrivait Camus à propos de Brasillach qu’il abhorrait et dont il demandait pourtant la grâce. Le I9 juin 1945, Robert Brasillach condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi est fusillé. Voilà où commence Edelweiss [France Fascisme], fresque grimaçante sur la collaboration où Sylvain Creuzevault interroge les mécanismes qui amènent le régime de Vichy au pire, l’engagement d’intellectuels et d’hommes politiques, la droite nationale et réactionnaire, à s’engager auprès de l’Allemagne nazie. Avant de reprendre le fil chronologique qui aboutit à ce procès exemplaire. Alors ils sont tous là ou presque, ceux qui activement et fascinés par le IIIème Reich participèrent au déshonneur de la France pour un avenir européen dans l’Allemagne. Les écrivains Robert Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle, Lucien Rebatet, Céline et les hommes politiques Pierre Laval, Marcel Déat, Philippe Henriot, Jacques Doriot… Et Jeanne Rebatet, seul point de vue féminin pour ce qui est encore considéré comme une histoire d’homme. Ils retrouvent ici leur prénom, l’ignominie entre 1941 et 1945 n’était pas encore entrée dans la postérité et l’Histoire, qui ne gardent que les noms. Et le bruit et la fureur restent à la porte des salons ou des cabinets ministériels, voire des loges de concierges, car ici tout est affaire de discours et d’idéologie où le hasard n’entre pas dans le choix du déshonneur. Il y a comme une abstraction du conflit en lui-même qui reste circonscrit à un débat entre antisémites, anticommunistes, colonialistes et antieuropéens convaincus. Résumé en un seul mot, lancinant leitmotiv, la décadence de la France dont seraient coupables juifs et bolchéviques. La rafle du Vél d’Hiv et la responsabilité de la France, Le S.T.O, Le groupe Manouchian pour la résistance, Léon Blum, sont heureusement bien évoqués en contrepoint indispensable de ce discours abject dont ils sont les victimes tragiques.

Si cela ne nous rappelle rien, Sylvain Creuzevault enfonce le clou et cite nommément, textes à l’appui, les discours de Wauquiez, Zemmour, Le Pen (père et fille), Houellebecq et consort, réactionnaires de tous poils, qui de la décadence ont fait leur levier politique populiste et choux bien gras. Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre aujourd’hui, l’histoire se répète ad-nauseam, le ventre est encore fécond pour que surgisse la bête immonde qui se réveille déjà. Une incise brutale, parenthèse dite par Brasillach comme s’il déposait là son héritage à venir …

Seulement le choix du burlesque, du grotesque ne fonctionne pas ici. Ce qui louche ouvertement vers Brecht reste en dessous de son modèle. Nous sommes dans un entre deux inconfortable, comme si Sylvain Creuzevault d’ordinaire plus audacieux, plus franc du collier, voire plus trash, avançait sur la pointe des pieds, embarrassé par son sujet qu’il maîtrise mais ne parvient pas à mettre en forme. « Regarder la barbarie autrement qu’avec les yeux de l’effroi » c’est comme faire de la littérature avec des bon sentiments, cela ne suffit pas toujours. Faire des personnages aussi complexes, parfois contradictoires comme Lucien Rebatet, des « grimaces », tombe à plat. On ne peut résumer ces « petites merdes », pour lesquels nous n’avons aucune empathie, à ces pantins gesticulant, bouffons réduit à des salonnards glosant sur la décadence de la société en jouant du violoncelle. Difficile d’en faire des salaud sympathiques. Difficile d’en rire. Alors on ne rit pas, ou si peu. Pourtant les comédiens sont tous exceptionnels qui tentent d’éviter la lourdeur caricatural de « la grimace » pour leur apporter une profondeur à défaut d’humanité ou d’héroïsme. Mais le discours de chacun résiste à la théâtralité, du moins à celle-là, rétif à la représentation qui en est donnée, la farce. Malgré nos réticences quand à la forme, le mérite de cette création est de mettre au jour les mécanismes propre à la montée du fascisme que résumait Brecht : « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution en temps de crise ». Le fascisme, mal de notre siècle, ne peut pas mourir écrivait Robert Brasillach. Sombre et juste prémonition.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

Edelweiss [France Fascisme], texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault

De et avec : Juliette Bialeck, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille, Lucie Rouxel, Antonin Rayon

Avec l’amicale participation de Nicolas Bouchaud

Assistanat à la mise en scène : Ivan Marquez

Dramaturgie : Julien Vella

Lumière : Vyara Stevanova

Création musique, son : Antonin Rayon, Loïc Waridel

Scénographie : Jean-Baptiste Bellon, Jeanne Daniel-Nguyen

Vidéo : Simon Anquetil

Maquillages, perruques : Mytil Primeur

Costumes : Constant Chiassai-Polin

Régie générale : Clément Casazza

 

Du 21 septembre au 22 octobre

Du mardi au samedi à 20h, dimanche 15h

Relâche lundi et le dimanche 24 septembre

Durée 2h20

 

Odéon / Ateliers Berthier

1 rue André Suarès

75017 Paris

Réservation : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

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