Grammaire des mammifères de William Pellier, mise en scène de Jacques Vincey, Théâtre Olympia, Tours
  © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒƒ article de Corinne François-Denève Au début, la peur nous envahit. Mais que sommes-nous donc allée faire dans cette galère ? Pourquoi avoir accepté d’aller s’enfermer, un week-end de novembre, dans la salle d’un théâtre, pour subir un texte évidemment contemporain, à prétention philosophique, qui va chercher, entre autres, dans le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein, PENDANT PLUS DE DEUX HEURES (on regarde à nouveau le programme, la durée est « indicative ») ? Certes, les jeunes comédiens et comédiennes de la troupe permanente sont sympathiques et engagé.e.s, et on soutient le spectacle vivant, mais… Bon mais en même temps maintenant qu’on y est… Le spectacle commence. Le plateau est dans la pénombre. Qu’est ce qu’on vous disait. On aura sûrement de la nudité, des chants et des face public avec micros. Pour l’instant les personnages, vêtus de curieux costumes poilus (ou plumés ? écoutez en même temps on n’y voit pas grand chose), psalmodient. Notez, deux heures quinze d’ASMR, c’est sans doute ce qui pouvait nous arriver de moins pire, on viendra nous réveiller quand ce sera fini. Mais l’ASMR déraille. Les voix mécaniques, puis cauteleuses ou sensuelles, commencent à dispenser des préconisations étranges. Les animaux que nous sommes sont renvoyés à leur viande, et, sur les sièges, les viandes commencent à flageoler de rire, tant le propos commence à devenir délicieusement absurde. Puis les voix s’éteignent, les personnages disparaissent, la mue s’opère, les mammifères commencent leur leçon de grammaire – ou de théâtre. Avec nudité, chants et face publics avec micros, mais qui s’en soucie ? Ce qu’il est fin et malin, ce Jacques Vincey. De ce texte que d’aucuns et d’aucunes auraient jugé difficilement irreprésentable, il sait tirer le meilleur. Il le chapitre, l’illustre par des séquences lumineusement dessinées, à leur tour mises en valeur par des changements de registres, de tons, de costumes, d’espaces. Une scénographie fine et subtile, maniée à vue, amène les transitions de façon très fluide. On enveloppe, on dévoile, on glisse et reconstruit ; on évacue ou fait renaître. Le fil rouge du texte ne se perd jamais : il s’agit d’expliquer, ou de montrer, ce que nous sommes, ou qui nous jouons, dans un geste pirandellien qu’une pirouette finale rend encore plus beau. Entretemps, des tableaux se seront succédé, sérieux, poétiques, ou drolatiques – on a, il faut bien le dire, une préférence fort coupable et régressive pour le délicieux tableau de famille façon Cerisaie passée à la moulinette d’Armando Llamas – Anton est complètement pété, le nommons-nous. Ce qu’il est intelligent et généreux, ce Jacques Vincey. Il a doté son CDN d’une troupe permanente de jeunes comédiens et comédiennes, choisis avec une grande finesse, là encore. Les physiques, les voix, les dons, forment véritablement troupe. On comprend le pourquoi de ces 2 h 15 : déjà parce que c’est le temps qu’il faut pour mener à son terme cette odyssée ambitieuse, ensuite, parce qu’il est important que tous les acteurs et actrices soient servi.e.s à la hauteur de leurs jeunes et grands talents. On ne sait qui on préfère, de Cécile Feuillet, et son solo inversé à la Nina Hagen (blonde), de Marie Depoorter, mélange plein de grâce de Gelsomina, Giselle et Nadia Comaneci (oui, oh, écoutez, allez voir), de Nans Mérieux, qui est un peu notre grand-mère à tous et toutes (mais puisqu’on vous le dit !), d’Hugo Kuchel, dont le seul talent n’est pas de tenir dix minutes dans un (petit) flight case, de Garance Degos, sylphide reine au port altier, de Tamara Lipszyc, tragédienne déjantée, d’Alexandra Blajovici, à la douceur décidée et inflexible, ou encore de Romain Gy, transformiste plein d’auto-dérision, et roi de la course sur place. Le spectacle, mené à un train d’enfer et plein d’enthousiasme, se termine déjà. Mais pourquoi déjà ? Il n’y a pas encore, je ne sais pas, deux heures de plus ? On ne les verrait pas passer.   © Christophe Raynaud de Lage   Grammaire des mammifères, de William Pellier Mise en scène Jacques Vincey En complicité avec Vanasay Khamphommala, dramaturge et chanteuse et Thomas Lebrun, chorégraphe Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy Assistanat scénographie : Léonard Adrien Bougault Lumières : Diane Guérin Son : Alexandre Meyer Costumes : Céline Perrigon Vidéo : Blanche Adilon-Lonardoni et Maël Fusillier Assistanat mise en scène : Blanche Adilon-Lonardoni Avec : Alexandra Blajovici, Garance Degos, Marie Depoorter, Cécile Feuillet, Romain Gy, Hugo Kuchel, Tamara Lipszyc, Nans Mérieux   Durée : 2 h 15 Du 3 au 13 novembre 2021     Théâtre Olympia CDNT  7 rue de Lucé 37000 Tours 02 47 64 50 50 www.cdntours.fr     Tournée : 1er au 4 décembre 2021 : TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine      Read More →
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Je ne suis plus inquiet, de Scali Delpeyrat, Théâtre de la Ville - Espace Cardin
  © Bruno Venzal   ƒƒ article de Nicolas Brizault Scali Delpeyrat nous présente une suite d’épisodes découpés de son passé, de son présent. Ils sont axés sur ses grands-parents maternels de religion juive et fuyant Paris quelques jours avant les rafles du Vel d’Hiv’, et ayant pu s’installer ensuite dans le Sud-Ouest avec une chance merveilleuse ; sur sa mère, ayant donc depuis saisit un bel accent et rencontré son mari, un peu bavard, fou de Toulouse et profondément athée, prêt à ajouter de gentilles petites blagues à la fin de certaines prières de sa femme. Scali Delpeyrat nous parle de son chat, savoir s’il faut prendre un chat ou pas, qui est le propriétaire de qui, il nous parle de lui-même, une sorte de quand et comment, pourquoi, en jouant lui aussi sur les accents, les rythmes, ses découvertes dans le métro, ses peurs ou encore ses avancées, sans retenues. Ses checks-list ont un rythme presque fascinant, comme la musique arabe qui le surprend et l’emporte. Et aussi s’il s’entendait avec son père ou non, puis il nous emmène à nouveau dans ce bureau de Poste dans lequel les nazis n’ont pas pu obtenir la preuve que sa grand-mère était juive, puis un autre sujet, un nouveau, un retour en arrière et une petite histoire pas encore développée qui part sur les chapeaux de roues. Scali Delpeyrat est seul en scène, il développe tout cela devant nous comme un ami sur-bavard qu’on ne peut plus arrêter, qu’on aime bien, qui nous fait rire, nous étonne, à qui bien-sûr ici ou là on aimerait dire « Laisse-moi parler un peu de temps en temps ! » Nous sommes venus pour le voir et l’écouter, alors nous nous taisons. Et nous nous sentons bien. Même s’il nous avoue comment il « joue » parfois avec ses amis justement, vous savez, ceux que vous croisez en ville, ou pire encore qui sont chez vous, alors que seul avec « son » chat, on se sent parfaitement bien… De la simplicité rapide, une répétition sur-répétée, Je ne suis plus inquiet est d’une simplicité complexe, et tenter sans succès l’ouverture d’un bocal de cornichons, est-ce un hasard ou l’idée présentée du prochain spectacle ?   © Bruno Venzal   Je ne suis plus inquiet, texte, jeu & mise en scène de Scali Delpeyrat Collaboration artistique : Adèle Chaniolleau Scénographie, lumière et costumes : Corto Tremorin     Théâtre de la Ville – Espace Cardin 1 avenue Gabriel, 75008 Paris Réservations : 01 42 74 22 77 du lundi au samedi de 11 h à 19 h www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Eugène Onéguine, de Piotr Ilitch Tchaïkovski, livret de Constantin Chilovski et Tchaïkovski d’après un poème de Pouchkine, mise en scène de Stéphane Braunschweig, Théâtre des Champs-Élysées
  © Vincent Pontet     ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Alors que Willy Decker produisait en 1995 (repris notamment en 2017) à l’Opéra de Paris un Eugène Onéguine très graphique dans une scénographie et des décors assez spectaculaires qui nous avaient enthousiasmé, Stéphane Braunschweig a pris le parti de créer un Eugène Onéguine plus intimiste, tout en délicatesse – mais qui réserve également des surprises –, registre qui sied très bien à cette musique qui « fut écrite en 1878, avec une passion sincère » et « avec tendresse » comme des « scènes lyriques » et non un opéra à proprement parler selon les mots de Tchaïkovski lui-même. L’intrigue extrêmement simple, basée sur le roman en vers éponyme de Pouchkine, avec lequel les librettistes (Constantin Chilovski et le compositeur) prennent des libertés, laisse la part belle à de nombreux grands airs, individuels et collectifs, bien servis au Théâtre des Champs-Élysées par la direction musicale enjouée de la cheffe américaine Karina Canellakis, en particulier avec une attaque brillante de l’Acte II. Les cordes de l’Orchestre National de France sont superbes de rondeur (surtout les graves) et quelques solos instrumentaux (notamment les cors, mais aussi la harpe d’Emilie Gastaud) particulièrement remarquables. La distribution vocale, principalement franco-russe de ce nouvel Eugène Onéguine est par ailleurs enthousiasmante. Gelena Gaskarova est dans cette production une Tatiana de substitution (en remplacement d’Avannina Santoni) de choix car elle a déjà joué ce rôle plusieurs fois, même si elle n’a pas la flamboyance d’Anna Netrebko qui a marqué le rôle ces dernières années, dans la production susmentionnée mise en scène par W. Decker. Si dans le premier Acte, la projection de la voix de la soprane russe n’est pas idéale et passe même difficilement la fosse parfois, il faut pour sa défense souligner qu’elle est mise en difficulté dès le premier air avec Olga par la mise en scène les plaçant de dos en milieu de plateau. Elle reste toutefois encore trop en retenue dans le (très) long air de la lettre à Onéguine, mais se rattrape dans le troisième Acte, aussi belle et majestueuse dans sa robe rouge recouverte de dentelle noire, qu’émouvante dans son duo avec Onéguine. Jean-Bastien Bou campe un Onéguine idéal, plus torturé que jamais. Le baryton français, au répertoire éclectique, mais que l’on rencontre plus souvent dans des œuvres françaises que russes et que l’on avait adoré dans le rôle de Claude dans l’opéra éponyme de Thierry Escaich à Lyon en 2013, joue pour la deuxième fois ce rôle-titre, avec brio. Jean-François Borras est un Lenski imposant et convaincant, qui occupe la scène avec évidence et agilité sur le plan vocal, plus caricatural ou excessif peut-être sur le plan de la comédie, d’abord extrêmement romantique, puis classiquement désespéré lors du bal, dans sa scène d’adieu et le fameux « kuda kuda ». Alisa Kolosova, est une Olga enjouée, aussi puissante vocalement que son partenaire ténor, et offre à son rôle de mezzo une palette très large de nuances toutes maîtrisées. Parmi les seconds rôles, Jean Teitgen est irrésistiblement séduisant en Prince Grémine, son timbre riche de basse le disputant à une présence altière remarquable. Mireille Delunsh est en revanche et avec regret décevante dans le rôle de la mère des deux sœurs, parfois recouverte par la fosse. On peut également être un peu décontenancé par l’accent de M. Triquet, rôle explicitement français incarné dans cette distribution par Marcel Beekman, ténor néerlandais. Le célèbre chœur des paysans est très gaiement chanté par le Chœur de l’opéra de Bordeaux, à l’exception de l’attaque imparfaite de « nous rentrons la moisson » et l’impression de quelques légers décalages avec l’orchestre. Il est accompagné dans plusieurs scènes par quatre danseurs, dans des chorégraphies faciles et parfois un peu plaquées (comprenant une hola d’un effet hasardeux) dans leurs costumes blancs, plus kolkhoziens que dix-neuviémistes, tranchant avec ceux de leurs maîtres. Ce sont des choix délibérés du metteur en scène Stéphane Braunschweig dont on ne peut que louer la recherche poussée sur cette œuvre, bénéficiant de sa connaissance approfondie des génies russes du théâtre du XIXème (il a mis en scène tout Tchekhov), qui apporte de nouveaux éclairages à cet opéra. Le décalage des costumes fait partie de sa réflexion entre le monde d’hier et de demain, la classe supérieure d’abord habillée dans l’esprit de son siècle dans les deux premiers Actes, puis dans un esprit début du siècle suivant dans l’Acte III, tranchant avec ceux des paysans, et d’une autre manière avec Onéguine affublé tout au long de l’opéra d’une même redingote, renforçant l’image de dégradation de ce personnage original devenant crépusculaire, sorte de mort vivant traversant chaque Acte, tout comme sa vie. A l’exception de la scène de bal et de celle du duel, sommes toutes classiques, la scénographie et cette quatrième mise en scène du directeur de l’Odéon au Théâtre des Champs-Élysées sont extrêmement intéressantes et novatrices. L’ennui dans la campagne russe de l’Acte I est très bien rendu par un sol vert parsemé de livres rouges puis de chaises blanches, d’où va surgir de manière surprenante et saisissante, la chambre de Tatiana, petit refuge à ses tourments de jeune fille pour la première fois éprise à l’Acte I, puis de femme mariée de l’Acte III replongée dans le souvenir et les sensations de cet amour contrarié (et répondant bien au « je redeviens l’enfant que j’étais »). Plus surprenante encore est la scène du second bal du début de l’Acte III. Ce n’est en l’occurrence pas un nouveau bal qui est représenté, mais une salle de casino enfumée où les femmes habillées de manière plus moderne et provocante, s’affairent comme les hommes autour des tables de Roulette sous l’œil attentif des croupiers, et sont emmenés, deux par deux, après avoir les yeux bandés d’un morceau de tissu noir, par une porte dérobée, avec mystère mais dans un esprit sulfureux, qui laisse croire que tous les plaisirs sont permis hors champ, sauf paradoxalement à Onéguine, laissé seul et abattu sur une scène qui se dépouille de tous ses décors. Onéguine n’est pourtant pas un sinistre dandy, rôle que la société de l’époque l’a contraint à porter pour dissimuler son homosexualité si l’on décode certains passages du livret permettant un rapprochement avec la propre vie de Tchaïkovski. A la différence se son héros opératique, le compositeur se maria, union vouée à l’échec, qui fut retentissant, à la différence de celui qu’il dépeint avec une emphase nostalgique de Tatiana résolue à la fidélité à son époux en dépit de sa flamme jamais éteinte pour son amour impossible de jeunesse. Cet épilogue relève moins d’une morale surannée que d’une réflexion sur la dualité si fréquente et universelle entre la vie réelle et la vie rêvée, conduisant à un décalage identitaire parfois intolérable.   © Vincent Pontet   Eugène Onéguine, de Piotr Ilitch Tchaïkovski Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig Direction musicale, Karina Canellakis Direction du Chœur, Salvatore Caputo Chorégraphie Marion Lévy Lumières, Marion Hewlett Costumes Thibault Vancraenenbroeck   Avec les solistes : Mireille Delunsch, Gelena Gaskarova, Alisa Kolosova, Jean-François Borras, Jean-Sébastien Bou, Jean Teitgen, Delphine Haidan, Yuri Kissin, Marcel Beekman, Stanislas Siwiorek Et : l’Orchestre National de France et le Chœur de l’opéra National de Bordeaux     Durée 2 h 30 (avec entracte de 20 minutes) Vu le 13 novembre 2021 A 19 h 30 les 15, 17 et 19 novembre 2021       Théâtre des Champs-Élysées 15 avenue Montaigne – 75008 Paris www.theatrechampselysees.fr      Read More →
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Thomas joue ses perruques, mis en scène par Hélène François, au Théâtre du Rond-Point
  © DR   ƒƒ article de Denis Sanglard Il serait trop facile de dire que cette création n’est pas du tout capillotractée… Thomas Poitevin, héros du confinement – on attendait ses vignettes postées quotidiennement sur Instagram comme un acte de résistance à la morosité et l’anémie journalière que la pandémie provoquait – est désormais sur scène avec toutes ses perruques. On pouvait craindre ce passage d’un format à l’autre mais ça passe crème. On y perd bien un peu de notre intimité avec chacun des personnages que nous avions l’impression d’inviter chez nous en tête à tête mais l’essentiel demeure. Sous chaque perruque, c’est toute une humanité en marche qui boitille, avance et cahote vaille que vaille. Thomas, Caroline, Pierre, Hélène, Jordan, Aimé, Laurence, Daniel, Dieu… Portraits caustiques et tendres de paumés et ratés, d’atrabilaires et de naïfs, de gaffeurs impénitents. Une comédie humaine empastillée, microfiction où se révèlent sous les faux-semblants les fêlures et les fragilités d’une existence pas si rose que ça, la difficulté du vivre-ensemble, à deux ou en groupe, quand déjà cohabiter avec soi-même relève du défi quotidien. Ecriture finement ciselée et maîtrisée (ils sont quatre à la barre, Thomas Poitevin, Hélène François, Stéphane Foenkinos et Yannick Barbe) pour chacun des personnages, portraits plus acidulés que vitriolés, que Thomas Poitevin, sous la perruque, croque avec gourmandise en quelques traits saillants, une légère inflexion de la voix, sans caricaturer jamais. Il y a même, on le devine, une certaine empathie pour ses loosers magnifiques. On rit beaucoup, on louche quelque peu sur notre voisin en pensant que… mais cette tragi-comédie-là, pan sur le bec !, c’est aussi la nôtre. Comparaison n’est pas raison mais on se dit que ce gaillard là est l’héritier, à l’heure du stand-up, de Claude Véga, Sophie Daumier, Alex Métayer, Sylvie Jolie, Valérie Lemercier, Muriel Robin et consorts… Petit dernier emperruqué d’une grande famille qui, sans insolence mais avec beaucoup d’acuité, observe le monde comme il va, pas très fort c’est vrai, pour en extraire sa vérité et son ridicule.   © DR   Thomas joue ses perruques de Thomas Poitevin, Hélène François, Stéphane Foenkinos et Yannick Barbe Direction artistique et mise en scène Hélène François Régie générale Thibault Marfisi Création son Guillaume Duguet Création lumières Bastien Courthieu Avec Thomas Poitevin   Du 5 au 23 novembre à 20 h 30 Du 24 au 28 novembre à 18 h 30 Dimanche 7, 14 et 21 novembre relâche Représentations supplémentaires les samedi 13, 20 et 27 novembre à 15 h.   Théâtre du Rond-Point 2bis avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris Réservations 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr     Tournée :  1er Décembre 2021 : L’AZIMUT, ANTONY – CHÂTENAY-MALABRY (92) 14 Décembre 2021 : MA SCÈNE NATIONALE,  MONTBELIARD (25) 16 Décembre 2021 : ACB SCÈNE, BAR-lE-DUC (55) 17 Décembre 2021 : LE QUAI DES ARTS, ARGENTAN (61) 2022 14 Janvier 2022 : THÉÂTRES EN DRACÉNIE, DRAGUIGNAN (83) 20 Janvier 2022 : THÉÂTRE + CINÉMA, SCÈNE NATIONALE GRAND NARBONNE (11) 22 Janvier 2022 : FESTIVAL SOLO, THÉÂTRE DE CHELLES (77) 25 Janvier 2022 : L’EQUINOXE, SCÈNE NATIONALE DE CHÂTEAUROUX (36) 27 Janvier 2022 : CC CHARLIE CHAPLIN, VAULX-EN-VELIN (69) 29 Janvier 2022 : THÉÂTRE LA SOURCE, VOLVIC (63) 2-14 Février 2022 : THÉÂTRE DE LA TOISON D’OR DE BRUXELLES, BELGIQUE 11 Mars 2022 : L’ESPACE DES ARTS, CHALON-SUR-SAÔNE (71) 14-16 Mars 2022 : MAISON DE LA CULTURE, AMIENS (80) 26 Mars 2022 : L’ATALANTE, MITRY-MORY (77) 7 Avril 2022 : LA TRAVERSE, LE BOURGET-DU-LAC (73) 8 Avril 2022 : THÉÂTRE EN ROND, SASSENAGES (38) 14 Avril 2022 : LA PASSERELLE, NOUAILLÉ-MAUPERTUIS (86)    Read More →
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Dark noon de Fix&Foxy au Théâtre Nanterre-Amandiers
  © Soren Meisner   ƒƒ article de Nicolas Thevenot La scène est un lopin de terre, à s’approprier : un rectangle à la couleur ocre, râpeux comme une toile émeri, où les corps s’affrontent et tombent et se relèvent sans fin. La dramaturgie est une économie : des subsistances, des corps comme marchandise, de la violence comme loi ultime des échanges. Et une économie de signes, avant toute chose, interrogeant, déconstruisant : de quelles représentations sommes-nous faits, nous qui, enfants, fûmes nourris de westerns-spaghettis ou sans spaghettis, de John Wayne, de chevauchées fantastiques, de règlements de compte à Ok Corral et ailleurs, nous qui jouâmes aux indiens et aux cow-boys tuant et mourant pour de rire ? White dominant male. Dark noon raconte à vive allure, à la sauce épique et burlesque, l’histoire et l’invention des Etats-Unis depuis les premières arrivées de migrants européens, en passant par l’anéantissement des autochtones, la guerre civile, la ruée vers l’or, jusqu’à cette brutale et toujours actuelle certitude d’être le peuple élu pour dominer le monde. C’est une histoire dont le fondement même est la violence (pour ceux qui en douteraient voir également, Gangs of New York de Martin Scorsese) et le racisme, et dont le développement est scandé par les massacres, les génocides, l’esclavage, suivant cette injonction toujours renouvelée d’avancer et de se multiplier (Go forth and multiply!). Et puis c’est l’histoire des vainqueurs, blancs, telle qu’ils se la racontent, et, faisant tâche d’huile telle qu’elle s’infiltra et domina les imaginaires et cultures des autres sociétés. Tue Biering, metteur en scène danois du collectif Fix&Foxy, s’en empare, et lui fait la peau ainsi qu’à la forme qui lui est irrémédiablement associée, le western, cette autre face de la même médaille. Sauf qu’ici, les bourreaux et vainqueurs seront incarnés par des acteurs noirs Sud-Africains. Comme une inversion de signe s’instillant jusque dans l’histoire même du théâtre : ici les acteurs se poudrent le visage en white face, comme une nouvelle inversion, celle du black face des minstrels shows. Mais un signe s’inverse-t-il aussi simplement et surement quand il s’agit de représentations sociales, quand il s’agit de racisme ? Le négatif d’un négatif opère-t-il comme un curatif ? Ce qui est certain, c’est que cette troupe virtuose porte énergiquement cette mise en scène et en récit exhibant les stéréotypes et les schèmes du western ad nauseam. Avec leur corps pleins et nerveux, avec leurs cris et leurs proférations poussant à son paroxysme la voix du maître, ils prennent possession de ces figures, comme s’ils en devenaient possédés. Dans cette représentation théâtrale qui met en abîme les représentations sociales et historiques, leur jeu est acte pur, débarrassé de tout affect, leur jeu est une performance hic et nunc qui emporte tout sur son passage, y compris le peuple des spectateurs qui peuvent devenir à l’occasion figurants de l’épopée. Cette puissance qu’ils déploient est magnifique, alors même que leur tâche semble aussi épuisante et aliénante que les Danaïdes et leur tonneau, eux se dépensant sans compter pour remplir ces formes creuses, vaines, viles et mortifères, que sont les mécanismes de la domination coloniale, raciste. Les figures finiront par se craqueler progressivement, laissant entendre dans la langue du township, qui une parole, qui un chant, qui une lamentation, comme si la violence exorcisée sur scène venait ici se confondre avec celle qui macula l’histoire de l’Afrique du Sud. C’est ici que Dark noon touche au plus juste. Par un ultime témoignage les masques tombent et les visages vibrent au diapason d’un récit intime. Fendant l’armure de notre mal.   © Soren Meisner   Dark noon, conception et mise en scène de Tue Biering Chorégraphie et mise en scène : Nhlanhla Mahlangu Scénographie : Johan Kølkjær Création son : Ditlev Brinth Création lumières : Christoffer Gulløv Création accessoires : Marie Rosendahl Chemnitz Création costumes : Camilla Lind Création vidéo : Rasmus Kreiner Avec Bongani Bennedict Masango, Joe Young, Lillian Tshabalala, Mandla Gaduka, Siyambonga Alfred Mdubeki, Katlego Kaygee Letsholonyana, Thulani Zwane   Durée : 2 h   Du 12 au 20 novembre 2021 Mardi, mercredi 19 h 30, jeudi, vendredi 20 h 30, samedi 18 h et dimanche 15 h     Nanterre Amandiers 7 avenue Pablo-Picasso 92022 Nanterre Cedex Tél : 01 46 14 70 00 https://nanterre-amandiers.com   Tournée : Théâtre du Nord : Du 25 au 27 novembre      Read More →
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La seconde surprise de l’amour, de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon, au Théâtre de l’Odéon / Berthier
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒƒ article de Denis Sanglard La seconde surprise de l’amour mis en scène par Alain Françon est une merveille d’intelligence, de (fausse) simplicité et de grâce. Point de mièvrerie ici, de maniérisme, de mignardise, de préciosité, de marivaudage abscons. Marquise et chevalier sont dépoudrés, sans affectation aucune, mis à nu. Ce que met en scène Alain Françon c’est le langage, la puissance absolue de la parole qui métamorphose les êtres. Il n’y en somme rien à voir mais tout à entendre. L’espace est vide, abstrait, une toile peinte en fond de scène, rien qui ne fasse obstacle à ce qui est énoncé pour entendre la puissance du verbe de Marivaux, cette langue sublime du XVIIIème, qui bruisse au rythme des cœurs confus. Ce que met en scène magistralement Alain Françon c’est cette surprise, cette stupeur qui bouleverse les personnages, le chevalier et la marquise, et que trahit le verbe et le souffle. Mise en scène fluide qui épouse les méandres de leur désir irrépressible, instinctif et retenu tout à la fois. Et c’est là, entre ces deux pôles justement, contradictoires, qui voit le verbe s’opposer en vain à l’instinct, travestir les sentiments, retarder l’aveux, avant l’effondrement des corps – tomber en amour n’est pas qu’une image ici – que la mise en scène signe toute son intelligence et son éclat. Contradiction qui impose un rythme, une appréhension de la langue singulière. Ce n’est pas tant le verbe qui est performatif ici que le souffle, l’élan qui trahit l’instinct, le désir où l’amitié n’est qu’amour se refusant à l’aveux. C’est à l’écoute de ces battements maîtrisés puis affolés que répond avec finesse la mise en scène, ces brusques élans du cœur qui voit la parole jusque-là contenue soudain s’affranchir de toute réserve, sans fragmentation, et laisse brutalement chacun, la marquise et le chevalier, libérés et désemparés avant de se révéler à eux-mêmes. Et puis il y a le corps, qu’Alain Françon n’oblitère pas. Ces corps  bientôt accordés qui vibrent à l’unisson et se gonflent au fur et à mesure d’une sève nourricière, par le verbe toujours qui nourrit. Corps social, corseté se découvrant corps singulier, libéré. Toujours cette parole qui fait ployer progressivement, au fil du discours, le corps de la marquise jusqu’à son effondrement, désencagé – désengagé ? – des conventions. Pas pour les domestiques, leur affaire est pliée en cinq-sept. Ces deux-là, Lubin et Lisette, parole et corps déliés au risque de l’effronterie et dont le bonheur dépend de celui de leur maître, provoquent cette altération, cette stupeur, obligent en quelque sorte cette vérité qui sourd au long de ce balbutiement, ce bégaiement des cœurs et des âmes. « Je ne croyais pas l’amitié si dangereuse. » dit la marquise. Tout est dit. Il fallait bien pour exprimer ces mouvements du cœur infimes et délicats des comédiens virtuoses. Georgia Scalliet donne là une grande composition, une de plus, offrant à la marquise et dans la confiance accordée au verbe, au silence aussi, de subtiles, délicates et troublantes variations, une rare profondeur dans le trouble qui la voit se débattre et se défendre d’un amour qui s’impose à elle. L’incroyable Suzanne De Baecque, Lisette, épatante, aux inflexions du corps unique, regardons ses mains !, une façon étonnante de se tenir physiquement là, bien à elle, une façon de dire aussi, dépoussiérant en une scène, dès sa première apparition, la convention du genre. Une révélation. Pierre-François Garel, chevalier dérouté par ses propres sentiments, au risque de la chute est d’une justesse sans faille. Thomas Blanchard, Lubin, le corps bien planté, tout de gouaille et de liberté frondeuse, est lui aussi dans une vérité confondante. Rodolphe Congé, le pédant et pique assiette Hortensius, évite avec bonheur le ridicule et la caricature. Et Alexandre Ruby, le Comte, d’une beauté rigide, blessé et digne malgré l’échec amoureux, aristocratique jusqu’au bout. Heureuse distribution, homogène, dirigée au cordeau, pour une création qui nous révèle Marivaux et sa grande finesse, dépouillé enfin de tout marivaudage, ce cliché devenu ici bien obsolète.   © Jean-Louis Fernandez     La seconde surprise de l’amour, de Marivaux Mise en scène d’Alain Françon Avec Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet Interprète de la musique Floriane Bonanni, Faustine de Mones del Pujol, Hélène Devilleuneuve Dramaturgie, assistant à la mise en scène David Tuaillon Scénographie Jacques Gabel Lumière Joël Hourbeigt Costumes Marie La Rocca Assistée d’isabelle Flosi Musique Marie-Jeanne Séréro Chorégraphie Caroline Marcadé Coiffure, maquillage Judith Scotto Son Pierre Bodeux   Du 5 novembre au 4 décembre 2021 Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h Relâche le 7 novembre   Durée 1 h 50     Représentation avec audiodescription le 28 novembre Représentation surtitré en anglais les samedi 13, 20, 27 novembre et 4 décembre Représentation surtitré en français Le vendredi 3 décembre   Odéon – Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier 1 rue André Suarès 75017 Paris Réservations 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu   Tournée : 9/19 décembre : TNP-Villeurbanne 20/21 Janvier : Théâtre Liberté-Toulon 1er/5 février : Théâtre de Caen 10/19 février : Théâtre Montansier / Versailles 8/12 mars : Théâtre Dijon-Bourgogne, CDN 16/18 mars : Théâtre de Colmar, scène nationale 24/1er avril : Théâtre National de Strasbourg 6/9 avril : Théâtre du Jeu de Paume-Aix en Provence 13/16 avril : Théâtre de Saint Etienne, CDN 26/27 avril : Théâtre de Beauvaisis, scène nationale      Read More →
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Le bruit des loups, création d’Etienne Saglio, au Théâtre du Rond-Point
  © Prisma Laval   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Promenons-nous dans les bois… Balayer les quelques feuilles récalcitrantes d’une plante anémique et se retrouver tout soudain transporté, au réel, dans une sombre forêt où rôde loup silencieux, renard facétieux et géant protecteur, voilà qui participe de la magie. Et l’adulte devenu enfant sous nos yeux ébahis, une illusion ? Etienne Saglio signe une création sensible et ô combien merveilleuse et enchanteresse, d’une pure beauté crépusculaire. Magicien des temps modernes, référence incontournable de la magie nouvelle, entre high-tech et arsenal classique, il fait surgir à vue sur le plateau, sans que nous n’y comprenions goutte, sans que nous y prenions garde, tout un univers proprement fantastique. Loup, doux géant, belette, un cerf même, et une drôle de bestiole, un renard aussi plat que l’étole à poil de nos arrière-grand-mères, étrange maître de cérémonie, irrésistible de drôlerie, de facétie. Les yeux grand-ouverts, ébahis, on ne s’étonne bientôt plus de rien. Ni de cette plante récalcitrante se refusant à entrer dans son pot et boxant son jardinier et que l’on retrouve, libre enfin, dans cette étrange et inquiétante forêt, gambadant et jouant à la balançoire. Ni de ses rats tenus par la queue, trempés dans l’huile sans doute et mangé tout cru, souvenir appliqué de nos comptines enfantines. Ni de ses tapis de feuilles mortes en voyage, manteau pour protéger l’enfant apeuré. Le tonnerre gronde et tonne, les éclairs zèbrent le théâtre, l’orage fait trembler la forêt et la salle qui se tait soudain. Les oiseaux se sont faits silencieux et on frissonne, oui, et la peur est là, nos terreurs enfantines enfouies surgissent sans crier gare. Le remord de nos cruautés innocentes à tuer les écureuils nous taraude. Etienne Saglio nous précipite dans un cauchemar d’une nature qui reprend ses droits, le terrain de jeu d’une enfance affranchie des adultes, où l’on peine à distinguer le vrai du faux, l’illusion de la réalité. Qu’importe à vrai dire, se poser la question serait renoncer à cette part d’enfance en nous que réveille cet illusionniste. Hologramme, électronique, chausse trappe, lumière, jeu d’ombre, marionnette… on sait tout ça, on se doute de tout ça, mais on feint fermement de l’ignorer. Une résistance inutile tant on finit par tomber naturellement dans les chausse-trappes d’Etienne Saglio qui nous fait prendre avec bonheur des vessies pour des lanternes magiques.   © Prisma Laval   Le bruit des loups, création et interprétation Etienne Saglio Avec Bastien Lambert en alternance Murielle Martinelli, Guillaume Delauney, Emile, Boston Dramaturgie et regard extérieur : Valentine Losseau Regard extérieur : Raphaël Navarro Scénographie : Benjamin Gabrié Musique : Madeleine Cazenave Création et régie lumière : Alexandre Dujardin Création sonore et régie son : Thomas Watteau Conception machinerie et régie plateau : Simon Maurice et Jérémie Quintin Régie générale et régie plateau : Yohann Nayet Régie plateau : Louise Bouchicot Conception et régie vidéo : Camille Cotineau Création informatique : Tom Magnier Régie informatique : Nicolas Guichard et Thibaut Champagne Jeu d’acteur : Albin Warette Costume : Anna Le Reun Coachs animaliers : Félix Tréguy et Pascal Tréguy     Du 3 au 20 novembre 2021 à 20 h 30 Dimanche 15 h, relâche les lundis et le 11 novembre     Théâtre du Rond-Point 2bis av. Franklin D. Roosevelt 78008 Paris Réservations 01 44 95 98 21 www.theatreduronpoint.fr     Tournée 02 et 03 décembre 2021 : Le manège, scène nationale de Maubeuge 15 au 22 décembre 2021 : La comédie de Genève 06 au 08 janvier 2022 : Centre dramatique national de Nice 27 et 28 janvier 2022 : Equilibre / Fribourg (Suisse) 1er au 03 février 2022 : Le quai / Angers 28 février au 1er mars 2022 : L’Equinoxe, scène nationale de Châteauroux 05 et 06 mars 2022 : L’Hectare / Vendôme 18 et 19 mars 2022 : Le Channel, scène nationale de Calais 31 mars au 2 avril 2022 : L’Espace des arts, scène nationale de Chalon/Saône 07 au 10 avril 2022 : La comédie, scène nationale de Clermont-Ferrand 18 au 20 mai 2022 : Maison de la culture, scène nationale de Bourges 09 et 10 juin 2022 : Maillon scène européenne / Strasbourg 20 juin au 1er juillet 2022 : Théâtre national de Bretagne / Rennes      Read More →
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Pédagogie de l’échec, texte et mise en scène de Pierre Notte, au Théâtre des déchargeurs
    © Antoine-Baptiste Waverunner   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Ils ne sont plus que deux, coincés dans ce bureau du septième étage suspendu dans le vide. Autour d’eux le néant, l’immeuble semble s’être effondré. Tremblement de terre ou virus, conflit mondial, on ne saura pas. Pas même eux, coincés entre terre et ciel, qui n’ont été prévenu de rien, désormais les pieds aux murs ou du moins ce qu’il en reste. « Communication interne de merde » soupire agacée la supérieure à son assistant de direction. Qu’importe à vrai dire, il faut continuer. Continuer à produire du travail. Continuer surtout à reproduire coûte que coûte et quoi qu’il en coûte le schéma relationnel en entreprise, le respect de la hiérarchisation, la soumission au pouvoir. Continuer à traiter ce foutu dossier Delamain et tant pis si l’original est descendu de cinq étage, enterré désormais sous les gravats, il doit bien rester des post-it quelque part sur lesquels reconduire le contrat, non ? C’est une comédie féroce comme Pierre Notte, toujours aussi caustique, sait si bien les trousser. Poussant comme à son habitude l’absurdité d’une situation jusqu’à son acmé et en extraire une vérité pas toujours jolie-jolie. Là, ce sont les mécanismes relationnels internes propres aux entreprises, exacerbés jusqu’à la folie et la cruauté par cette situation complètement loufoque. L’exercice du pouvoir, l’ascendance jusqu’au sadisme, la soumission révoltée. Mauvaise foi et surdité. Ils ne sont plus que deux dans un monde en ruine, mais la bataille fait rage pour continuer d’assoir son autorité, ce qu’il en reste, ou tenter de renverser les rôles. Tous les coups bas sont permis, jusqu’à l’humiliation. Et qui n’a pas rêvé de planter sèchement son stylo dans la cuisse de son chef ? Même l’amour, disons plutôt ici un rapprochement incongru et soudain pour une question de plancher qui menace de s’écrouler, n’échappe pas à la question du pouvoir, de qui dominera l’autre. C’est totalement jubilatoire et d’une vérité grinçante et crue. Car rien n’est fortuit ici, ça sent fortement le vécu, l’expérience. Celle de Pierre Notte, il l’affirme, le confirme « Tous les systèmes ont quelque chose de dingue », et de combien d’entre nous… Pierre Notte qui signe une mise en scène véloce, coinçant littéralement les personnages dans ce huis-clos infernal. Provoquant de fait une tension vertigineuse qui n’aura de cesse de monter et dont il joue avec malice. Ils se marchent dessus ces deux-là ou peu s’en faut, n’ayant comme espace de jeu qu’un étroit couloir délimité au sol par du gaffeur, encombré d’une chaise et d’un caisson de bureau, enjeu là aussi d’une guerre de tranchée. Espace riquiqui pour un pas de deux, un tête à tête avant un corps à corps inévitable qui vire au jeu de massacre jusqu’à un armistice fragile et provisoire. Et puis il y a surtout deux acteurs d’exception. Disons-le tout net, dirigés de main de maître ces deux-là sont ébouriffants. Rien de dire qu’ils jubilent eux aussi à défendre avec énergie ce texte, cette écriture toujours aussi pointue, à jouer de cette partition singulièrement retorse. Complices évidents ils s’en donnent à cœur joie, troublant de sincérité, de vérité dans cette bataille d’égo qui les voit tour à tour monstrueux et désarmés. Et dans cet effondrement qui menace de les engloutir, à résister au vertige du vide qui les entoure, échos sans doute de leur vie minuscule que leur travail gonfle d’importance, apporter une étincelle d’humanité, quand même.   © Antoine-Baptiste Waverunner     Pédagogie de l’échec, texte et mise en scène de Pierre Notte Avec Caroline Marchetti, Franck Duarte Lumières Antonio de Carvalho   Du 3 au 27 novembre 2021 Du mercredi au samedi à 19 h     Théâtre Les Déchargeurs 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris Réservations www.lesdechargeurs.fr      Read More →
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La nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Matthieu Cruciani, théâtre Les Plateaux Sauvages
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault Comment dire… Cette fois-ci, pour mieux décrire l’intensité d’une soirée, on aurait presque envie de « débuter » par la fin. La salle dans le noir, nous indique que c’est terminé, puis la lumière vient insister, et un silence minuscule, presque gêné par un ou deux applaudissements trop enjoués. Ces acclamations sont très vite rejointes, mais ce très court mutisme est significatif : sur ce texte de Bernard-Marie Koltès, Jean-Christophe Folly nous a plus que tenu, il nous a emporté. La nuit juste avant les forêts a été écrit en 1977. Un homme passe ses nuits dans des chambres d’hôtels, un homme perdu ou un homme clair, refusant l’univers violent et faux, l’univers dangereux et si mauvais qui cherche à le détruire. Un soir, il pleut et les hôtels n’existent plus, sont pleins, ou le laissent dehors. Il est comme errant dans un hangar où le béton est victorieux, le vide également, le sale et l’eau glissent partout, autour de lui, sur lui, en lui. Cet homme est seul, comme seul sur Terre, il sait se battre pourtant, cogner, se défendre mais ce soir, c’est comme si tout se cassait la figure, il doit crier sa force et sa vérité, il ne sait pas trop pourquoi, pas trop comment, mais il le doit, il doit dire, alors oui il cherche « (…) une chambre pour une nuit, une partie de la nuit, si on le veut vraiment, si l’on ose demander, malgré les fringues et les cheveux mouillés, malgré la pluie qui ôte les moyens (…) ». Il aperçoit un homme au loin, lui court après, le rejoint et lui raconte, lui explique. Jean-Christophe Folly est seul et nous raconte, la salle est quasiment l’homme d’en face, presque sous la pluie aussi. Le texte défile, court, ne s’arrête qu’une fois ou deux, se retourne, revient en arrière pour mieux prendre son élan, il cherche à nous faire accepter d’ouvrir nos portes. La solitude contre cette multiplicité dangereuse, périlleuse. Mauvaise. Jean-Christophe Folly joue de la tête aux pieds. Nous « écoutons » son visage, son corps, nous « regardons » sa voix, qui sait être ferme, suppliante, désespérée et sûre d’elle. Voix et corps s’enlace pour supplier, expliquer la perte ailleurs et le secours là, et ce minuscule besoin de dormir quelques heures, loin de cette terreur. Les histoires se suivent, non-stop, illustrant avec justice et justesse comment tourne le monde. Celui qui fait croire qu’il fonctionne, celui qui passe pourtant à côté de l’essentiel. Et dont cet homme devant nous, cet homme refusé, cet homme qui refuse, cherche à s’en abriter, en croyant que quelqu’un, là, juste en face, tout près, pourrait comprendre et donner la main, lui faire croire un millième de seconde que le monde n’est pas foutu, pas complètement. Il pleut sur scène, oui, cet homme est trempé pour de vrai, se roule ou tombe dans une flaque d’eau, méchante image du monde et des autres ? Les piliers de béton aux angles parfaits seraient-ils les restes froids du monde ? La terre est là aussi, cette terre qu’une femme a avalée, cette terre qui nous transforme en boue néfaste, sans aucun doute. Cette soirée dégouline. De temps en temps on en sort, pour ne pas se noyer, et l’on s’y replonge avec un grand coup de pied aux fesses, comment tenter de fuir ? Et la musique aussi,  tombe idéalement liée à ce texte et à ce jeu. Elle assassine ici, soutient là, envenime, nocturne, toutes ces histoires, ces appels qui tentent de faire croire qu’on a bien un homme sous les yeux. Elle est comme la seule présente sur scène, aussi. Et donc pour revenir aux applaudissements, ils cessent forcément à un moment donné, il faut aller marcher nous aussi sous la pluie, même si elle n’existe pas ce soir. Et dans le noir, au lointain, comme une silhouette ne sachant pas non plus comment redescendre. Dans le noir. Immobile. Comme nous. Allez savoir ?   © Jean-Louis Fernandez     La nuit juste avant les forêts, écrit par Bernard-Marie Koltès Mise en scène : Matthieu Cruciani Assistanat à la mise en scène : Maëlle Dequiedt Musique : Carla Pallone Scénographie : Nicolas Marie Costumes : Marie La Rocca Lumières : Kelig Le Bars Avec Jean-Christophe Folly     Du 8 au 20 novembre 2021 Du lundi au vendredi à 20 h, le samedi à 17 h Durée 1 h 25 Les Plateaux Sauvages 5 rue des Plâtrières, 75020 Paris Réservations : 01 83 75 55 70 de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h info@lesplateauxsauvages.fr  www.lesplateauxsauvages.fr   En Tournée : Théâtre du Peuple, Bussang (88) les 22 et 23 octobre 2021 Comédie de Reims – CDN (51) du 30 novembre au 3 décembre 2021 Comédie de Caen – CDN de Normandie (14) du 5 au 7 janvier 2022 Le Manège – Scène nationale de Maubeuge (59) le 10 mars 2022 Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne (94) du 22 au 26 mars 2022 Scènes du Jura – Scène nationale (39) le 3 mai 2022        Read More →
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Malandain Ballet Biarritz, Programme Stravinski, par Thierry Malandain et Martin Harriague, Chaillot – Théâtre national de la Danse
  L’Oiseau de feu © Olivier Houeix   ƒƒ article de Nicolas Brizault L’Oiseau de feu et Le Sacre du printemps d’Igor Stravinski, créés par Fokine et Nijinski pour les Ballets Russes, résonnent directement en nous, c’est comme si nous les connaissions presque par cœur, nous savons très bien mentir parfois. Alors cette nouvelle double création, du premier par Thierry Malandain, directeur du Centre Chorégraphique National Malandain Ballet Biarritz et du second par Martin Harriague, artiste associé, sont de grands moments, comme si nous souhaitions ouvrir en grand une fenêtre. Sur ce Malandain Ballet Biarritz, Programme Stravinski. Le Malandain Ballet Biarritz est un des 19 Centres Chorégraphiques Nationaux (CNN) français. Thierry Malandain explique ainsi son superbe et fascinant travail : « Ma culture est celle du ballet classique et sans complexe, j’y demeure attaché. Car si je reconnais volontiers que ses codes artistiques et sociaux sont d’une autre époque, je pense aussi que cette matière héritée de quatre siècle d’histoire donne au danseur des ressources inestimables. » En effet, et c’est ce que nous avons, droit devant nous. Une pureté et un lien entre danseurs et danseuses, L’Oiseau de feu emporte, justement nous ne savons plus où nous sommes. Cela peut paraître un peu facile et c’est pourtant vrai. Les couleurs jouent, soulignent les pas, la musique et les pas se lient. Un ensemble ineffable, l’oiseau, le feu existent, aucun doute. Un entracte nous laisse plus que charmés et Le Sacre du printemps, nous l’attendons fermement. La scène vide, un piano droit, les premières notes et les « personnages » sortent de ce piano, s’en libèrent ou en naissent, allez savoir. Un moment superbe. La « (…) sensation obscure et immense à l’heure où la nature renouvelle ses formes (…) » comme le disait Igor Stravinski et les images utilisées par Martin Harriague, qui cherche à donner comme une image brute, pourquoi pas violente ici où là. Le Printemps a du mal à s’extraire du sol, du ciel et du temps, alors il se bat, tout premier qu’il est, pour vaincre, réussir. Martin Harriague nous donne l’impression de donner de grands coups de pelle dans le sol. Ça passe et ça casse. Par exemple deux personnages, comme mythiques, portent des masques de vieillards, comme ceux que l’on trouve dans toutes les boutiques d’accessoires, comme énergies nécessaires pour se mouvoir. Ils sont laids et « cassent » tout, nous sommes sur terre nous aussi. Dans nos listes de courses ou nos retours en métro, mais plus à Chaillot. Stravinski s’envole vers le bas. Les mouvements deviennent presque lourds ici où là. Oui, on peut comprendre. Apprécier complètement, c’est beaucoup moins sûr.   Le Sacre du printemps © Olivier Houeix   Malandain Ballet Biarritz, Programme Stravinski, Thierry Malandain et Martin Harriague L’Oiseau de feu, musique d’Igor Stravinski Chorégraphie : Thierry Malandain Costumes : Jorge Gallardo Lumières : François Menou Réalisation costumes : Véronique Murat, assistée de Charlotte Margnoux Maîtres de ballets : Richard Coudray & Giuseppe Chiavaro Ballet pour 22 danseurs Le Sacre du printemps, musique d’Igor Stravinski Chorégraphie et scénographie : Martin Harriague Lumières : François Menou et Martin Harriague Costumes : Mieke Kockelkorn Réalisation costumes : Véronique Murat, assistée de Charlotte Margnoux Réalisation décor / accessoires : Frédéric Vadé Assistantes chorégraphes : Françoise Dubuc, Nuria López Cortés Ballet pour 18 danseurs     Chaillot – Théâtre national de la Danse 1 place du Trocadéro 75116 Paris Tél. 01 53 65 31 00 www.theatre-chaillot.fr    Read More →
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The notebook, d’après Agota Kristof, spectacle conçu par Forced Entertainment, Théâtre de la Bastille / Festival d’Automne à Paris
  © Hugo Glendinning   ƒƒƒ article de Denis Sanglard The notebook, d’après le roman Le grand cahier d’Agota Kristof ou le récit d’apprentissage et d’initiation de frères jumeaux dans l’enfer de la Grande Guerre, quelque part en Europe Centrale. Livrés à eux-mêmes, surmontant la faim, le froid, la haine de leur grand-mère, sale et illettrée, qui les recueille malgré elle, ils notent à la première personne du pluriel, au jour le jour le chaos qui les entoure, l’effondrement et la fin d’un monde que signent le vice, la cruauté et l’opportunisme. Récit implacable et sans nulle émotion, froideur d’une écriture blanche, dans cette volonté de décrire les faits dans leur réalité et brutalité absolues, sans jugement jamais. Enfants immoralistes et monstrueux, pas d’autre morale que la leur forgée par les événements traversés, ils sont le symptôme de la déréliction d’un pays ravagé bientôt livré à la dictature. Tim Etchells, de Forced Entertainment, avec intelligence se refuse, on peut dire ça, à adapter ce texte. Il est donné dans sa forme première, lu par deux artistes exceptionnels, Richard Lowdon et Robin Arthur. Lu texte en main – The notebook – et subtilement mis en scène. Un minimalisme et une grande minutie, qui laissent ainsi toute la place à cette écriture singulière dans sa forme et sans faire obstacle non plus au contenu du récit. Habillés à l’identique, même costume avachi et même pull bordeaux, chaussés des mêmes lunettes, Richard Lowdon et Robin Arthur s’expriment d’une même voix, d’un même souffle. Sans passion et comme détachés d’eux-mêmes et des événements relatés. C’est un « nous » gémellaire quelque peu effrayant. Ils ne se ressemblent pas, non, mais bientôt, au fil du récit, l’illusion est là, l’illusion est telle qu’on ne les distingue plus l’un de l’autre. Ils ne font plus qu’un. Et sur ce plateau nu, ce qu’ils expriment là sans affect apparent, sans émotion aucune, d’une voix aussi blanche que l’écriture, dans une synchronisation parfaite, et malgré un humour noir propre au texte qu’ils semblent ignorer, est indicible. Il sourd bientôt un étrange malaise qui s’épand lentement comme un mascaret que rien ne peut arrêter. Et toute la force intrinsèque de ce roman, dans son propos sans appel, vous submerge et vous noie bientôt. Le récit prend ainsi une formidable densité, la parole une remarquable intensité. Une création d’une force inouïe dont on ne sort pas tout à fait indemne, ébranlé même, au regard de notre actualité…   © Tim Etchells    The notebook d’après Agota Kristof Spectacle imaginé et conçu par Forced Entertainment d’après Le Grand Cahier d’Agota Kristof Traduction Alan Sheridan Mise en scène Tim Etchells Avec Robin Arthur, Richard Lowdon Scénographie Richard Lowdon Lumières Jim Harrisson   Du 8 au 19 novembre 2021 à 20 h Relâche dimanche et jeudi 11 novembre   Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Réservations 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com      Read More →
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One show woman, un show de Séverine Batier à Anis Gras - Le lieu de l’Autre, Arcueil
  © Bilal Dufrou   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot C’est un nouveau territoire, où elle fait son nid. D’où elle tient perchoir. En regardant la photo du spectacle, on reste interloqué par cette touffe aussi foisonnante montée sur deux jambes, qu’il nous semble avoir vu pour la dernière fois plantée sur la tête d’Hagrid (cf. Harry Potter pour les non-initiés). Elle a du chien diront certains, elle déménage certes, et cela dans tous les sens du terme puisqu’elle vient d’autres terres théâtrales. Elle a notamment arpenté les terres de William Shakespeare, August Stramm, Marguerite Duras. Elle est actrice, d’ailleurs elle créa il y a quelques années un magnifique spectacle consacré à ses paires chez Proust, très justement intitulé Phénix. L’art de l’actrice est un art où l’on se brûle, où l’on y laisse des plumes (de boa), mais c’est un art de la renaissance, un art de la reconstruction, de la réinvention perpétuelle. Le phénix donc, annonciateur de ce One show woman, telle une chrysalide où se percevait à équidistance, avec autant de force et de brillance, les figures proustiennes et quelques autres et l’actrice qui les portaient. Sans que l’on puisse démêler celle qui nous subjuguait le plus : La Berma, la Sarah Bernhardt, la Dietrich, comme les dernières peaux avant l’ultime mue où enfin apparaître nu. Car dans ce nouveau territoire qu’est le stand-up, Séverine Batier a pris place et position, comme une intruse, et c’est entre elle et nous que cela se jouera sans intermédiaires, sans préliminaires. Ce stand-up est celui d’une actrice, la cinquantaine comme une marque de fabrique, mais surtout comme le signe d’une injustice quand l’industrie du spectacle, submergée par la vague #metoo, voit aussi débouler toute une nouvelle génération de jeunes comédiennes pressées et poussant vers la sortie celles qui les ont précédées. Séverine Batier croque avec gourmandise et truculence les péripéties d’une vie placée sous les étoiles de ses trois maîtres : Proust, l’inverti, Lord Byron, l’adorateur des Grecs à la réputation de débauché, et Bukowski, l’obsédé alcoolique – dont elle revendique être l’incarnation. Elle nous fait le récit de ses impossibles rencontres amoureuses, à l’heure de l’internet, elle nous peint à grand trait et dans le détail de ses mésaventures le tableau de notre époque, dans une esthétique qui conjugue l’impressionnisme et le cut-up. On sourit, on rit, on grince des dents. C’est que dans le miroir qu’elle tend pour se mirer on peut aussi voir son propre reflet, et celui de notre monde en perdition où le paquebot Discovery Princess, symbole d’une vie capitaliste et confinée, croise le zodiac prêt à chavirer, rempli de migrants. Le rire devant l’absurdité et l’horreur, comme le hoquet de la vie quand on manque de s’étouffer. One show woman est aussi, par-delà l’hilarité qu’il ne manquera pas de provoquer, le spectacle d’une vanité : ce plaire qui tyrannise nos existences, alors même que le temps qui passe nous rappelle de manière de plus en plus insistante l’inanité d’un tel désir. Malgré tout, avec sa force de vie, et sa volonté de ne pas s’en laisser conter par les hommes (c’est elle qui mène la danse), ni de ne jamais se résigner, Séverine Batier construit ses mythologies comme autant d’ombres et lumières sur la scène de la vie. Et c’est finalement nous qui sommes séduits.   © Bilal Dufrou   One show woman, de Séverine Batier dirigée par Chantal de Mage Conseil dramaturgique : Mari-Mai Corbel Lumière : Bilal Dufrou   Durée : 1 heure   Le samedi 30 octobre à 19 h 30       Anis Gras – Le Lieu de l’Autre 55 Avenue Laplace 94110 Arcueil Tél : 01 49 12 03 29 http://lelieudelautre.com      Read More →
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Kolic, de Rainald Goetz, un projet d’Antoine Mathieu, mise en scène d’Alain Françon, au Théâtre 14
    © Lea Maris   ƒƒ article de Denis Sanglard Kolic, troisième partie de la trilogie « Guerre » de Rainald Goetz, auteur allemand contemporain. Guerre où notre rapport au monde dans sa violence, chaos intime et perte de sens d’une vie sans illusion, noyée dans l’alcool. Dernier sursaut avant le dernier saut, la mort, ultime chapitre d’une vie, un champ de bataille grandiose et dérisoire, perdu d’avance. Et pour exprimer ça, cette condensation d’une vie réduite à rien, conduite au néant, une langue acérée, râpeuse, chaotique elle aussi, en lambeaux. Assonances et dissonances, ellipses, syntaxe violentée, grammaire oubliée, phrases fragmentées, inachevées. Exprimant toute à la fois cet effondrement de l’être et l’urgence à dire, à être. Où il est question de philosophie, de physique, de sexe, de mort et de bière. Ou reviennent en sautoir les mot haine et douleur. Inventaire brûlant et acide qu’étanche à peine cette bouteille vidée au long de cette confession, cette diarrhée verbale qui réduit le corps à ses humeurs, merde, pisse et dégueulis. Alors oui, il faut accepter sciemment de se perdre, voire se noyer, dans cette fusion grammaticale et verbale, cette écriture follement libre, ce poème de soiffard, ce récit de guerre, qui signe au fond notre tragédie intime et collective. Et c’est avant tout cette écriture singulière en concentration absolue avec son sujet, notre rapport entre le langage et la violence, qu’Antoine Mathieu et Alain Françon ont mis conjointement, on peut le dire, en scène. Et rien qui ne fasse obstacle au verbe. Un fauteuil au centre d’une pente douce ouverte sur la salle, un écran pour horizon où s’égrènent les numéros de chaque chapitre d’une vie, quelques brefs et rares extraits du texte aussi. Et Antoine Mathieu qui délabyrinthe ce texte, tire les fils d’une vie brouillée d’alcool et d’amertume. Alain Françon, fidèle à lui-même, ne s’embarrasse de rien, va à l’essentiel, au cœur de son sujet, l’écriture hallucinée de Rainald Goetz. C’est épuré et sec, franc du collier. Une ligne claire et cohérente, une adresse frontale au public assumée et sans fioriture. Le poème est ainsi libéré de toute dramaturgie superflu, incarné véritablement par Antoine Mathieu faisant fi de la difficulté du texte qui roule ainsi sans heurt, autosuffisant, projeté sans façon dans la salle puisque rien ne vient faire obstacle entre la scène et le public. Certes ce texte demande un effort, une attention certaine et soutenue. La maestria avec laquelle Antoine Mathieu s’en empare, la liberté formidable dans la contrainte avec laquelle il joue de cette écriture insensée qu’il respecte sans la trahir bluffent.  Mais les chausse-trappes de cette langue qui hoquète et ressasse ne nous épargnent pas et nous laissent parfois sur le bord. Voire même asphyxiés par sa densité anxiogène. Qu’importe à vrai dire, on y revient fissa, fasciné par ce vertige poisseux. Car Antoine Mathieu donne corps, au sens premier, et force vive à ce verbe insensé et heurté qu’il charrie dans une urgence désabusée et une rage sourde, non sans humour parfois, et nous entraîne immanquablement avec lui, dans les méandres d’une pensée profuse et âpre que traduit cette langue sans concession aucune, qui même si elle se dérobe sciemment à nous, possède une force d’attraction inévitable et fatale.     Kolic de Rainald Goetz Traduction de Ina Seghezzi Un projet d’Antoine Mathieu Mise en scène d’Alain Françon Avec Antoine Mathieu Scénographie Jacques Gabel Lumières Léa Maris Image Ina Seghezzi   Du 9 au 27 novembre 2021 20 h mardi, mercredi et vendredi 19 h le jeudi, 16 h le samedi     Théâtre 14 20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris, 01 45 45 49 77        Read More →
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Antigone à Molenbeek & Tirésias, mis en scène par Guy Cassiers à la MC93, avec le Festival d’Automn
    Antigone à Molenbeek © Simon Gosselin     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot De dévisager le contemporain au regard de nos figures mythiques. Ainsi pourrait être sous-titré le diptyque que nous propose Guy Cassiers à la MC93, deux textes qui ricochent sur la surface de l’actualité pour en crever les faux-semblants. Deux textes, deux monologues, dont l’écriture diverge autant par leur nature que par leur point de vue : le premier, Antigone à Molenbeek de Stefan Hertmans, est au plus près de son sujet, à tous les sens du terme : au plus près de l’histoire qu’il raconte mais aussi du sujet en charge de sa mise en récit, Nouria, collant à une réalité si proche de nos yeux qu’il serait presque impossible de la détourer : les attentats terroristes ; le second, Tirésias, extrait d’un recueil poétique de Kae Tempest, comme l’embrassement de l’humanité dans une largeur qui semble illimitée, vision infinie, de son passé, de son présent, de son futur, s’incarnant dans un adolescent, se métamorphosant en femme, compagne, mère, puis à nouveau en homme, prophète. Ineffable poème comme une déclaration dont l’identité du sujet serait constamment mouvante (fluide dirions-nous selon les termes actuels mais sans le réduire aux questions de genre). D’Antigone à Molenbeek, on retiendra la ténuité, la fragilité, la douceur quand bien même elle s’arme de volonté et de détermination. Bien sûr l’usage du micro HF facilite cette sensation de proximité, mais il faut reconnaître à Ghita Serraj cette écoute et cette parole capables de saisir le récit à flanc de nerf dans le temps présent du plateau. Elle nous tient, et si l’on peut avoir quelques réserves sur le texte qui s’enferme et se réduit progressivement à une réalité sourde et aveugle comme un manque d’ambition poétique, Ghita Serraj nous fait entendre au-delà de la synonymie des situations de départ (un cadavre sans sépulture) ce que c’est qu’être une sœur, par cette délicatesse, cette évidence, qui n’ont pas besoin de se faire remarquer ni même de s’exprimer mais qui remplissent l’élan de chacune de ses paroles. De cette vibration, souterraine et souveraine, de cette fraternité à l’échelle familiale comme le motif premier de toute fraternité humaine, de cet amour, on se sent complètement remué. Dans le savant équilibre des images vidéo, de la musique, et du texte porté par les actrices, Guy Cassiers entrelace les formes et crée un dispositif capable de développer la réception du spectateur au-delà de la simple compréhension. Ainsi de la musique de Chostakovitch, interprétée sur scène par les musiciens du Quatuor Debussy, qui jamais ne tombe dans l’illustration ou le sentimentalisme. Non, cette musique s’immisce sensiblement et se retire avec la même organicité que si elle dialoguait avec l’espace et le temps scéniques. Pour Antigone à Molenbeek, elle se déploie telle une puissante caresse consolatrice. Musiciens dont le geste sera suspendu d’entrée de jeu par une Valérie Dréville, magistrale, au service du texte sidérant de Kae Tempest. Tirésias. Que c’est beau ce suspens dans lequel s’engouffre la parole de la comédienne, comme une brèche dans le temps ! Rarement instant de théâtre aura paru plus juste. Qu’elle est belle Valérie Dréville, que l’on sent en travail de bout en bout, accouchant de ces vérités nouvelles que seule la poésie peut arracher en quelques mots ! Elle est multiple, elle est entière, elle est là et ailleurs. Elle est debout devant ces tables transparentes, où les images se forment, se superposent, s’abîment, s’écoulent, telles l’établi du devin. On n’est pas prêt d’oublier ses longs bras tels des serpents s’accouplant, et ce visage se putréfiant sous les assauts du temps. La parole irréductible de Kae Tempest ne pouvait pas trouver plus légitime profératrice. L’intelligence de Guy Cassiers travaillant à la polysémie et à l’ouverture des sens et du sens ne pouvait pas trouver plus bouleversant.e aut.eur.rice. Tandis que la lumière se meurt au plateau, les musiciens et leurs instruments s’affaissent lentement jusqu’à se retrouver couchés au sol, et dans l’écho des derniers mots, l’âme du spectateur se souleva encore une fois, magnifiquement, comme le ressac d’une émotion qui avait débordé les idées et renversé les corps.     Tirésias © Simon Gosselin       Antigone à Molenbeek, mise en scène Guy Cassiers Texte Stefan Hertmans, traduction Emmanuelle Tardif Avec Ghita Serraj   Tirésias, mise en scène Guy Cassiers Texte Kae Tempest, sélection de poèmes tirés du recueil Hold your own Traduction D’ de Kabal et Louise Bartlett Avec Valérie Dréville Assistant à la mise en scène Benoît de Leersnyder Scénographie et vidéo Charlotte Bouckaert Lumières Fabiana Piccioli Musique Dmitri Chostakovitch (quatuors à cordes n°8, 11 et 15) Interprétation version live Quatuor Debussy : Christophe Collette, Emmanuel Bernard (violons), Vincent Deprecq (alto), Cédric Conchon (violoncelle)       Durée : 2 h 45, entracte inclus Du 5 au 14 novembre 2021 A 20 h sauf samedi 18 h, et jeudi, dimanche 16 h         MC93 — maison de la culture de Seine-Saint-Denis 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny   Tél : +33 (0)1 41 60 72 72 https://www.mc93.com   Création : Les Nuits de Fourvière (version live) 11 juin 2021 – 13 juin 2021       En tournée : Théâtre national de Bretagne, Rennes 24 novembre 2021 – 27 novembre 2021 Maillon, Théâtre de Strasbourg — Scène européenne 1 décembre 2021 – 3 décembre 2021 Points communs — Cergy-Pontoise / Val d’Oise 7 décembre 2021 – 8 décembre 2021 La Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche (version live) 5 janvier 2022 – 6 janvier 2022 Le phénix scène nationale Valenciennes 12 janvier 2022 – 13 janvier 2022 Maison de la Culture d’Amiens (version live) 17 janvier 2022 – 18 janvier 2022 Vidy-Lausanne 26 janvier 2022 – 29 janvier 2022 Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence (version live) 2 février 2022 – 3 février 2022        Read More →
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