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Dark noon de Fix&Foxy au Théâtre Nanterre-Amandiers

Nov 15, 2021 | Commentaires fermés sur Dark noon de Fix&Foxy au Théâtre Nanterre-Amandiers

 

© Soren Meisner

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

La scène est un lopin de terre, à s’approprier : un rectangle à la couleur ocre, râpeux comme une toile émeri, où les corps s’affrontent et tombent et se relèvent sans fin. La dramaturgie est une économie : des subsistances, des corps comme marchandise, de la violence comme loi ultime des échanges. Et une économie de signes, avant toute chose, interrogeant, déconstruisant : de quelles représentations sommes-nous faits, nous qui, enfants, fûmes nourris de westerns-spaghettis ou sans spaghettis, de John Wayne, de chevauchées fantastiques, de règlements de compte à Ok Corral et ailleurs, nous qui jouâmes aux indiens et aux cow-boys tuant et mourant pour de rire ?

White dominant male.

Dark noon raconte à vive allure, à la sauce épique et burlesque, l’histoire et l’invention des Etats-Unis depuis les premières arrivées de migrants européens, en passant par l’anéantissement des autochtones, la guerre civile, la ruée vers l’or, jusqu’à cette brutale et toujours actuelle certitude d’être le peuple élu pour dominer le monde. C’est une histoire dont le fondement même est la violence (pour ceux qui en douteraient voir également, Gangs of New York de Martin Scorsese) et le racisme, et dont le développement est scandé par les massacres, les génocides, l’esclavage, suivant cette injonction toujours renouvelée d’avancer et de se multiplier (Go forth and multiply!). Et puis c’est l’histoire des vainqueurs, blancs, telle qu’ils se la racontent, et, faisant tâche d’huile telle qu’elle s’infiltra et domina les imaginaires et cultures des autres sociétés.

Tue Biering, metteur en scène danois du collectif Fix&Foxy, s’en empare, et lui fait la peau ainsi qu’à la forme qui lui est irrémédiablement associée, le western, cette autre face de la même médaille. Sauf qu’ici, les bourreaux et vainqueurs seront incarnés par des acteurs noirs Sud-Africains. Comme une inversion de signe s’instillant jusque dans l’histoire même du théâtre : ici les acteurs se poudrent le visage en white face, comme une nouvelle inversion, celle du black face des minstrels shows. Mais un signe s’inverse-t-il aussi simplement et surement quand il s’agit de représentations sociales, quand il s’agit de racisme ? Le négatif d’un négatif opère-t-il comme un curatif ?

Ce qui est certain, c’est que cette troupe virtuose porte énergiquement cette mise en scène et en récit exhibant les stéréotypes et les schèmes du western ad nauseam. Avec leur corps pleins et nerveux, avec leurs cris et leurs proférations poussant à son paroxysme la voix du maître, ils prennent possession de ces figures, comme s’ils en devenaient possédés. Dans cette représentation théâtrale qui met en abîme les représentations sociales et historiques, leur jeu est acte pur, débarrassé de tout affect, leur jeu est une performance hic et nunc qui emporte tout sur son passage, y compris le peuple des spectateurs qui peuvent devenir à l’occasion figurants de l’épopée. Cette puissance qu’ils déploient est magnifique, alors même que leur tâche semble aussi épuisante et aliénante que les Danaïdes et leur tonneau, eux se dépensant sans compter pour remplir ces formes creuses, vaines, viles et mortifères, que sont les mécanismes de la domination coloniale, raciste.

Les figures finiront par se craqueler progressivement, laissant entendre dans la langue du township, qui une parole, qui un chant, qui une lamentation, comme si la violence exorcisée sur scène venait ici se confondre avec celle qui macula l’histoire de l’Afrique du Sud. C’est ici que Dark noon touche au plus juste. Par un ultime témoignage les masques tombent et les visages vibrent au diapason d’un récit intime. Fendant l’armure de notre mal.

 

© Soren Meisner

 

Dark noon, conception et mise en scène de Tue Biering

Chorégraphie et mise en scène : Nhlanhla Mahlangu

Scénographie : Johan Kølkjær

Création son : Ditlev Brinth

Création lumières : Christoffer Gulløv

Création accessoires : Marie Rosendahl Chemnitz

Création costumes : Camilla Lind

Création vidéo : Rasmus Kreiner

Avec Bongani Bennedict Masango, Joe Young, Lillian Tshabalala, Mandla Gaduka, Siyambonga Alfred Mdubeki, Katlego Kaygee Letsholonyana, Thulani Zwane

 

Durée : 2 h

 

Du 12 au 20 novembre 2021

Mardi, mercredi 19 h 30, jeudi, vendredi 20 h 30, samedi 18 h et dimanche 15 h

 

 

Nanterre Amandiers

7 avenue Pablo-Picasso

92022 Nanterre Cedex

Tél : 01 46 14 70 00

https://nanterre-amandiers.com

 

Tournée :

Théâtre du Nord : Du 25 au 27 novembre

 

 

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