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Kolic, de Rainald Goetz, un projet d’Antoine Mathieu, mise en scène d’Alain Françon, au Théâtre 14

Nov 09, 2021 | Commentaires fermés sur Kolic, de Rainald Goetz, un projet d’Antoine Mathieu, mise en scène d’Alain Françon, au Théâtre 14

 

 

© Lea Maris

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Kolic, troisième partie de la trilogie « Guerre » de Rainald Goetz, auteur allemand contemporain. Guerre où notre rapport au monde dans sa violence, chaos intime et perte de sens d’une vie sans illusion, noyée dans l’alcool. Dernier sursaut avant le dernier saut, la mort, ultime chapitre d’une vie, un champ de bataille grandiose et dérisoire, perdu d’avance. Et pour exprimer ça, cette condensation d’une vie réduite à rien, conduite au néant, une langue acérée, râpeuse, chaotique elle aussi, en lambeaux. Assonances et dissonances, ellipses, syntaxe violentée, grammaire oubliée, phrases fragmentées, inachevées. Exprimant toute à la fois cet effondrement de l’être et l’urgence à dire, à être. Où il est question de philosophie, de physique, de sexe, de mort et de bière. Ou reviennent en sautoir les mot haine et douleur. Inventaire brûlant et acide qu’étanche à peine cette bouteille vidée au long de cette confession, cette diarrhée verbale qui réduit le corps à ses humeurs, merde, pisse et dégueulis. Alors oui, il faut accepter sciemment de se perdre, voire se noyer, dans cette fusion grammaticale et verbale, cette écriture follement libre, ce poème de soiffard, ce récit de guerre, qui signe au fond notre tragédie intime et collective. Et c’est avant tout cette écriture singulière en concentration absolue avec son sujet, notre rapport entre le langage et la violence, qu’Antoine Mathieu et Alain Françon ont mis conjointement, on peut le dire, en scène. Et rien qui ne fasse obstacle au verbe. Un fauteuil au centre d’une pente douce ouverte sur la salle, un écran pour horizon où s’égrènent les numéros de chaque chapitre d’une vie, quelques brefs et rares extraits du texte aussi. Et Antoine Mathieu qui délabyrinthe ce texte, tire les fils d’une vie brouillée d’alcool et d’amertume. Alain Françon, fidèle à lui-même, ne s’embarrasse de rien, va à l’essentiel, au cœur de son sujet, l’écriture hallucinée de Rainald Goetz. C’est épuré et sec, franc du collier. Une ligne claire et cohérente, une adresse frontale au public assumée et sans fioriture. Le poème est ainsi libéré de toute dramaturgie superflu, incarné véritablement par Antoine Mathieu faisant fi de la difficulté du texte qui roule ainsi sans heurt, autosuffisant, projeté sans façon dans la salle puisque rien ne vient faire obstacle entre la scène et le public. Certes ce texte demande un effort, une attention certaine et soutenue. La maestria avec laquelle Antoine Mathieu s’en empare, la liberté formidable dans la contrainte avec laquelle il joue de cette écriture insensée qu’il respecte sans la trahir bluffent.  Mais les chausse-trappes de cette langue qui hoquète et ressasse ne nous épargnent pas et nous laissent parfois sur le bord. Voire même asphyxiés par sa densité anxiogène. Qu’importe à vrai dire, on y revient fissa, fasciné par ce vertige poisseux. Car Antoine Mathieu donne corps, au sens premier, et force vive à ce verbe insensé et heurté qu’il charrie dans une urgence désabusée et une rage sourde, non sans humour parfois, et nous entraîne immanquablement avec lui, dans les méandres d’une pensée profuse et âpre que traduit cette langue sans concession aucune, qui même si elle se dérobe sciemment à nous, possède une force d’attraction inévitable et fatale.

 

 

Kolic de Rainald Goetz

Traduction de Ina Seghezzi

Un projet d’Antoine Mathieu

Mise en scène d’Alain Françon

Avec Antoine Mathieu

Scénographie Jacques Gabel

Lumières Léa Maris

Image Ina Seghezzi

 

Du 9 au 27 novembre 2021

20 h mardi, mercredi et vendredi

19 h le jeudi, 16 h le samedi

 

 

Théâtre 14

20 avenue Marc Sangnier

75014 Paris, 01 45 45 49 77

 

 

 

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