Queen-size, chorégraphie de Mandeep Raikhy, Théâtre de la Ville / Focus Inde
  © Desmond Roberts   ƒƒ article de Denis Sanglard Voilà une création toute simple qui ne révolutionnera pas la danse contemporaine. Sauf que, remise dans son contexte, elle prend toute sa force de subversion et de révolte. Face au machisme patriarcal de la société indienne qui engendre violence envers les femmes et homophobie, la réponse de Mandeep Raikhy claque, sans appel. Au centre de son travail, le corps. Ici masculin. Deux hommes en leurs ébats sexuels sur un lit traditionnel, le sharpoy, chorégraphié comme un corps à corps sensuel et charnel ou rien n’est éludé, du premier regard comme un appel, aux positions érotiques sans équivoques, est une réponse cinglante à l’article 377 du code pénal indien qui criminalise toute relation homosexuelle. Mandeep Raikhy ne s’embarrasse pas de circonvolutions ou de métaphores. Jouant de l’obscène comme un formidable outil critique, c’est-à-dire de la transgression et de la révélation. Là est bien la première transgression, politique devant le conservatisme et la réaction, une législation liberticide. La danse, la performance comme révélation d’un tabou, mettant au jour ce qui doit être caché, exposant l’intime dans le champ public comme une réalité qu’on ne peut occulter, cristallisant toutes les crispations d’une société sur les questions d’identité. La seconde, artistique, est d’imposer une danse qui ne s’inspire en rien de la danse traditionnelle indienne mais de chercher avec obstination un vocabulaire résolument contemporain plus à même d’être accordé à ses interrogations. Le résultat ici peut paraître au regard des créations actuelles occidentales quelque peu malingre ou simpliste. Mais c’est avant tout un formidable pied de nez à la tradition et à la culture traditionnelle indienne fortement enracinée, voire identitaire. Aux symboles, aux sources religieuses des danses traditionnelles, il substitue un ancrage dans une réalité crue qui rejoint de fait son engagement politique. Cet objet performatif tout autant que chorégraphique, dans son dispositif immersif, quadrifrontal, offre ses corps en joute amoureuse et sexuelle au regard ou au refus. Il y a donc ici aussi une interrogation logique sur l’obscène et sa représentation. Qu’est ce qui, du regard porté ou de l’objet exposé, est le plus obscène ? Mandeep Raikhy n’impose rien, c’est le choix du spectateur, de regarder, rester ou partir, puisque cela lui est offert, cette chorégraphie d’à peine 45 minutes, tournant en boucle durant plus de deux heures. C’est dans notre regard porté, voire notre jugement que naît l’obscène. Ou pas. Mandeep  Raikhy renvoie ainsi chacun de nous à sa propre réflexion. On a vu des interrogations menées bien plus loin, Queen-size peut sembler moins radicale que d’autres performances occidentales. Mais encore une fois remettons les choses dans leur contexte. Queen-size, au regard de la création indienne contemporaine, possède une charge subversive, audacieuse, voire courageuse qu’on ne peut qu’encourager.   Queen-size, chorégraphie de Mandeep Raikhy Création son Yasuhiro Morinaga Lumières Jonathan O’Hear Costumes Virkein Dhar Technique Govind Singh Direction des répétitions Manju Sharma Design du sharpoy Lalit Khatana Danse et collaboration artistique Lalit Khatana & Parinay Mehra   Du 28 au 30 mars 2019 A 20h / 20h45 / 21h30   Théâtre de la Ville Espace Cardin / Studio 1 avenue Gabriel 75008 Paris   Réservations  01 42 74 22 77 www.théâtredelaville-paris.fr   Tournée :   4 avril 2019 KLAP Maison pour la Danse 5 avenue Rostand 13003 Marseille        Read More →
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Le postillon de Lonjumeau, opéra-comique d’Adolphe Adam, livret d’Adolphe de Leuven et Léon-Levy Brunswick, mise en scène de Michel Fau, direction musicale d’Emmanuel Charles
  © Stefan B   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Chargé par Louis XV de trouver de nouvelles voix pour l’Opéra, le marquis de Corsy en transit à Lonjumeau tombe en arrêt devant celle du postillon Chapelou, chargé de le conduire. Il est bien décidé à embarquer illico cette perle providentielle malgré le refus de Chapelou qui a d’autres chats à fouetter. C’est le jour de son mariage et Madeleine l’attend pour leur nuit de noce. Mais finalement convaincu, perspective de gloire et d’argent en vue, adieu Madeleine. Dix ans plus tard Chapelou devenu Saint-Phar, vedette de l’Opéra, décide de séduire Madame de Latour. Qui n’est autre que Madeleine, devenue riche par héritage, bien décidée à se venger. Le moyen, le mariage ! Devenu bigame et donc promis à la pendaison, tout semble perdu. Mais tombent les masques et tout s’arrange. Ah ! qu’il est beau le postillon de Lonjumeau ! Opéra-comique d’une grande élégance et d’une légère amoralité d’Adolphe Adam, plus connu pour la musique du ballet Giselle, œuvre disparue depuis le siècle dernier, ou presque, après une gloire durable au long du dix-neuvième siècle. Et le voilà magnifiquement mis en scène par Michel Fau, grand et fin amateur d’opéra, on le sait. Et comme à son habitude, cette signature particulière, toiles peintes, chromos aux couleurs acidulées, saturées, jusque dans les costumes somptueux de Christian Lacroix. Un univers factice et toc qui souligne avec beaucoup d’humour la théâtralité, la convention mais n’oublie jamais la musique. Tout concourt au bonheur d’une soirée exceptionnelle où les applaudissements nourris ponctuaient les grands airs, véritables prouesses vocales maîtrisées. Une mise en scène volontairement plate, sans réelle perspective, se déroulant le plus souvent en avant-scène et devant une toile peinte pour mettre en valeur les chanteurs solistes, au plus près de la salle. L’utilisation du plateau dans sa profondeur, offrant quelque peu de relief, n’est au service que de l’ensemble, et particulièrement du chœur, disposé là comme autant de jolis sujets, tableaux vivants animés par le chant. Michel Fau reconstitue ainsi un dix-huitième de carton-pâte coloré, clin d’œil malicieux et pastiche de l’opéra du dix-huitième siècle rococo, dont il ne garde que quelques traces, quelques signes, de cette époque et ce milieu, de cette intrigue qui use avec malice du théâtre dans le théâtre, de ses coulisses, l’envers du décor, une mise en abyme dont Michel Fau n’abuse pas, se contentant avec justesse de suivre la fable au plus près. L’orchestre est dirigé avec sensibilité et grande nuance par Sébastien Rouland qui souligne la richesse de la partition, particulièrement dans les grands airs et les duos pour le moins virtuoses. Bénéficiant d’un casting vocal de haut niveau, dont Michael Spyres, parfait dans le rôle de Chapelou, tout en rondeur, qui bouffonne sans barguigner et avec talent mais n’oublie pas le contre-ré attendu de sa partition ardue. Florie Valiquette, Madeleine / Madame de Latour, n’est pas en reste dans la comédie ni dans la pyrotechnie vocale. Son double rôle impose une double voix et il est merveille d’entendre cette voix prendre une telle ampleur avec son ascension sociale. Et comme le précisait Adolphe Adam lui-même il ne faut en rien négliger les seconds rôles. Et c’est vrai qu’ils sont tous épatants, tant vocalement que dans la comédie. Et n’oublions pas le chœur Accentus de même et haute tenue vocale. C’est aussi une des réussites de cette création de voir une troupe dans son ensemble s’emparer avec un tel enthousiasme de cette création qu’elle porte au plus haut. Oui, qu’il est beau le postillon de Lonjumeau !   © Stefan Brion   Le postillon de Lonjumeau, opéra-comique d’Adolphe Adam Livret d’Adolphe de Leuven et Léon-Levy Brunswick Direction musicale Sébastien Rouland Mise en scène Michel Fau Décors Emmanuel Charles Costumes Christian Lacroix Lumières Joël Fabing Maquillage Pascale Fau   Assistante musicale Stéphanie-Marie Legrand Cheffe de chant Cécile Restier Assistant mise en scène Damien lefevre Assistant costumes Jean-Philippe Pons   Chapelou / Saint-Phar Michael Spyres Madeleine / Madame de Latour Le marquis de Corcy Franck Leguérinel Biju / Alcindor Laurent Kubla Rose / Michel Fau Louis XV / Yannis Ezziadi Bourdon / Julien Clément Chœur Accentus / Opéra de Rouen Normandie Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie   Du 30 mars au 9 avril 2019 Les 30 mars, 1er, 3, 5 et 9 avril à 20h Le 7 avril à 15h   Salle Favart Opéra-Comique 1, place Boieldieu 75002 Paris Réservations 01 70 23 01 31 www.opera-comique.com      Read More →
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Tropismes, chorégraphie d'Olivier Dubois, au Centquatre-Paris
  © François Stemmer   ƒƒƒ article de Toulouse Maître de l’écriture chorégraphique contemporaine, Olivier Dubois n’a décidément pas l’intention de s’essouffler aujourd’hui. Si nous regardons le résultat artistique de ses derniers spectacles, nous ne pouvons faire que le constat d’une œuvre majeure et puissante. Tropismes s’ajoute enfin à ce chapelet de chefs-d’œuvre, alliant une recherche profonde dans l’écriture chorégraphique et une réflexion sensible sur la danse. Pas n’importe quel type de danse par ailleurs… Ici, le chorégraphe et ses huit danseurs explorent le vocabulaire du clubbing et des danses de soirées. Le spectacle s’organise ainsi comme un grand ballroom, savamment chorégraphié, et accompagné d’une musique techno tout à fait entraînante. Une danse fédératrice et vitaminée, dont les beats du night-club par moments se conjuguent à une gestuelle de danses folkloriques. Cela rappelle et convoque ainsi au plateau le caractère de rassemblement festif, populaire, ou d’union sociale que supposent de telles danses. Et c’est précisément la sensation organique que nous transmet ces magnifiques danseurs : celle d’être ensemble et d’entrer dans la danse à l’unisson de nos altérités. Un désir précieux et militant, une capacité salvatrice de la danse, quand on envisage notre monde contemporain, qui de plus en plus nous divise, et où le peu de liens sociaux ne cessent de péricliter et de se défaire. Il est d’ailleurs tout à fait intéressant de noter combien ces gestuelles – du clubbing au folklore – ne cessent d’envahir et de contaminer le paysage institutionnel de la danse contemporaine, et nombre de spectacles – tels que Crowd de Giselle Vienne ou encore Bits de Maguy Marin – peuvent raisonner amplement avec la proposition d’Olivier Dubois. Il faut enfin saluer la prouesse et l’ingéniosité de l’écriture chorégraphique que Dubois développe dans son spectacle. On y devine des rythmiques complexes, mais c’est surtout d’une chorégraphie au cardiogramme dont il s’agit là. Sur les une heure et quarante minutes de spectacles, les danseurs, d’une force véritablement héroïque, trouvent peu de répit autant physiquement que mentalement. Leur concentration ne lâche jamais sa constance, et si le spectacle s’ouvre dans une marche en rythme, sorte de danse sacrale qui semble dessiner une géométrie secrète et tracer l’espace des festivités à venir, les danseurs basculent bientôt dans une ronde-techno-effrénée qui ne reviendra plus sur ses pas. On tombe alors dans la joie de l’épuisement, proche de la transe, un espace de grâce et de joyeuse bacchanale qui convoque dans le corps ces forces dionysiaques inouïes. Le noir se fait et nous surprend. Nous applaudissons essoufflés – bien qu’assis depuis un certain temps que nous n’avons pas vu passer – comme par étrange compassion physique envers l’exploit et la générosité sans nom de ces danseurs, et nous sortons le cœur transpirant la joie et l’envie de danser jusqu’au petit matin.   © François Stemmer   Tropismes, chorégraphie d’Olivier Dubois Interprètes : Cyril Accorsi, Marie laure Caradec, Steven Hervouet, Aimée Lagrange, Sophie Lèbre, Sébastien Ledig, Vianney Maignan, Sandra Savin & François Caffenne Assistante artistique : Karine Girard Compositeur & interprète : Francois Caffenne Guitariste interprète : Thomas Ricou Régie son : Jean-Philippe Borgogno Lumières : Emmanuel Gary Costumes : Laurence Chalou Notation chorégraphique : Estelle Corbière   Du 29 mars au 1er avril à 21h30   Centquatre-Paris 5 rue Curial 75019 Paris   Réservations au 01 53 35 50 00 www.104.fr   Métro Riquet (ligne 7), Stalingrad (lignes 2, 5 et 7), Marx Dormoy (ligne 12) Gare Rosa Parks (RER E, T3b) Bus 54 et 60  Read More →
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Logos, chorégraphie Adel El Shafey — Festival Printemps de la danse arabe, Institut du Monde Arabe
© D.R.   ƒƒ article de Marguerite Papazoglou Pour la deuxième journée du festival de danse arabe (22 mars – 28 juin 2019), deux visions singulières du corps confronté à l’adversité : Logos un solo d’Adel El Shafey est suivi de Sur le pas de ta porte duo à trois de Selim Ben Safia. Deux chorégraphes qui s’inscrivent résolument dans le paysage de la danse contemporaine. Recherche chorégraphique et abstraction (mais) qui ne font pas l’économie d’une parole polémique.   Logos, de et avec Adel El Shafey. Adel El Shafey au geste souple et acéré, incroyable danseur autodidacte des battles de danses urbaines, a cette rare capacité à pouvoir jouer librement de cette qualité féline immédiatement reconnaissable chez les danseurs hip-hop, la transposer dans de « nouveaux » mouvements ou la faire disparaître au profit d’autres qualités et postures corporelles. Il signe et interprète un solo de 17 minutes très dense, d’une recherche chorégraphique fouillée et aboutie. Le titre est direct quant à son objet : Logos, langage et raison, c’est-à-dire le langage dans sa matérialité et dans son rapport constitutif de la relation à soi. Non pas donc l’échange mais le soliloque. Nous n’entendrons pas de mots mais leur bruissement ou vrombissement ou écho interne : bande son saisissante ; chorégraphie du logos. Le mouvement, même s’il est constamment nourri par une colonne vertébrale sans repos, focalise sur les mains décrivant des figures aériennes dans l’espace proche, dont le phrasé oscillatoire et irrégulier évoque de façon très expressive celui de la parole et de ses ponctuations. Sur cette base se construit une dramaturgie avec l’évolution du monde intérieur du personnage où l’on perçoit les conditions de vie, la peur, la tentative d’abnégation, l’acharnement à attendre et à espérer, l’aplatissement, la nécessité de la survie. Chutes, coups, obstacles, flingues entraperçus mais toujours comme à travers le filtre du dialogue intérieur qui arrondit les angles, entre mouvements antagonistes qui toujours reviennent vers le corps du conflit intérieur et tentative de se réapproprier les choses, c’est superbe. Cette danse dont la possibilité de  la marche est exclue finit par s’ériger petit à petit — on repense au célèbre Erection de Pierre Rigal mais avec un propos plus direct — jusqu’à une station debout, bien campée, regard face… et une cagoule noire. Là, le geste sera à nouveau posé, rhétorique, puis incessant, de plus en plus mécanique, raide, automatisé, accompagné par un grésillement étouffant de la décidément très belle bande son cosignée par Murcof, Bryn Jones et Rick Corrigan. Tout en reprenant le stéréotype de la radicalisation du jeune homme devenant terroriste, Adel El Shafey réussit à aborder le phénomène dans un mouvement d’exposition et non d’explication, en visitant les qualités du discours dans les corps, en dessinant des glissements intimes subtils. Pièce fascinante et aboutie mais qui ressemble à un premier chapitre d’une pièce plus large. A suivre ?     Logos, de et avec Adel El Shafey Chorégraphe, interprète : Adel El Shafey Assistante chorégraphe : Maëlle Deral Musique : Murcof, Bryn Jones et Rick Corrigan Lumières : Gérard Garchey   Le 23 mars à 20h à l’Institut du Monde Arabe   Durée 17 minutes   Institut du Monde Arabe 1 Rue des Fossés Saint-Bernard 75005 Paris   Réservation au 01 40 51 38 38 www.imarabe.org/fr/actualites/spectacles/2019/le-printemps-de-la-danse-arabe1 www.imarabe.org     Tournée – A gulf between us, Adel El Shafey Le 19 avril 2019 à 20h45  Théâtre du Rond Point — Valréas 32 Rue des Cordeliers 84600 Valréas Réservation au 04 90 35 21 45 www.theatredurondpointpaca.com      Read More →
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Le Lac des cygnes, Ballet de l’Opéra du Rhin, Chorégraphie de Radhouane El Meddeb, Chaillot-Théâtre national de la danse / Printemps de la danse arabe
  © Agathe Poupeney   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Un Lac des cygnes d’une belle eau ! Radhouane El Meddeb signe une création d’une étrange et superbe facture. Où respectant le vocabulaire classique, la forme, il l’inscrit ce néanmoins et délibérément dans une modernité troublante. Pas de princes ni de princesses, pas la moindre plumes, mais l’ensemble du corps de ballet comme un seul et même personnage, protéiforme, mouvant, ou chacun peut réclamer son titre, sa couronne avant de revenir au sein du groupe, cygnes sur pointes dont le claquement des chaussons sur le plateau et dans le silence qui sourd parfois, trouant la partition mélancolique de Tchaïkovski, rappelle le claquement brutal d’ailes alourdies par l’eau, prenant leur envol. Mais la force de cette chorégraphie tient moins au vocabulaire, à son respect teinté de douce ironie et d’admiration réelle, qu’à cette attention toute particulière à la métamorphose. Du danseur au cygne, dans l’incarnation, par le mouvement, certes, mais aussi et surtout du danseur à l’objet de sa danse. Pas pour rien si parfois semble régner sur le plateau une étrange confusion, parfaitement maîtrisée, où le corps de ballet semble en attente, dans l’expectative de son envol, envol qui acte cette métamorphose, où les regards échangés, signature usuelle de Radhouane El Meddeb, participent de même à ce brusque passage d’un état l’autre. Regard de défi, de défiance, d’une volonté de dépassement, amorce d’un changement d’état. Ce regard, c’est aussi la part d’humanité rendue au danseur, trop souvent absent ou du moins fixe, figé, conventionnel dans la danse classique. Ce regard-là, volontaire, c’est déjà inscrire ce Lac des Cygnes dans la modernité, le désincarcérer de son corset suranné et mythique. Ce que demande Radhouane El Meddeb semble ne pas être dans la perfection absolue, trop souvent froide et technique, mais dans la présence prégnante du danseur, son appropriation consciente d’un art, la réactivation des traces mémorielles, inconscientes parfois, de la danse et portées, enfouies en chacun des corps, mais nouées désormais à son expérience personnelle, sa perception du monde. Sa fragilité. Et c’est ce qui semble ici flagrant, combien chaque danseur tout en ne faisant qu’un avec le corps de ballet conserve sa part irréductible d’humanité. Ensemble et séparément, simulis et singulis, telle paraît la devise de cette version du Lac des Cygnes, sous le signe de l’altérité, au-delà du genre. Ainsi nous ne sommes plus dans la restitution, la reconstitution mais dans l’interrogation. Celle de Radhouane El Meddeb mais également celle des danseurs. Que signifient la danse classique aujourd’hui, et plus généralement la danse dans son ensemble, et surtout sa transmission. Entre tradition, appropriation et juste trahison, sans laquelle il ne peut y avoir de création. Ainsi de cette image forte, drôle cependant, de ces danseuses se débarrassant avant le final de leurs chaussons, laissés négligemment en tas, pour pieds nus sauter de nouveau, raides et droites, presque lourdes, très loin des premiers envols et de la grâce. Dépouillées soudain de leur apparat classique. Libérées, soulagées d’un carcan pour un mouvement redevenu naturel, joyeux même. Un retour à la réalité. Autre et ultime métamorphose. Radhouane El Meddeb acte là de façon nette l’histoire de la danse – son histoire aussi – descendue désormais des cieux jamais atteints pour un retour au sol, son appui, qui à l’aube du vingtième siècle faisait entrer avec fracas la danse dans la modernité. Et cette porosité d’un vocabulaire à l’autre, nourrit l’un par l’autre, l’un contre l’autre, est sans doute selon Radhouane El Meddeb une des réponses possible, laissant provisoirement au vestiaire les oripeaux de la danse classique, comme ses tutus suspendus sur leurs cintres à cour et jardin. C’est dans la mémoire et le corps des danseurs que résident aujourd’hui ces oripeaux, traces résiduelles et mémorielles. Mais la plus belle image, la plus représentative du moins, semble être ce tutu nuageux au lointain, suspendu entre ciel et terre, arrêté dans son envol. Et c’est peut-être là la clef de cette chorégraphie subtile et bien plus retorse qu’elle n’y paraît, sous l’exercice sincère d’admiration, dans cet entre-deux fragile, entre le rêve d’un envol et la chute inévitable, prévisible, cette oscillation constante à vouloir, obstiné, défier la gravité, conscient et lucide d’être rattrapé toujours par la réalité, la pesanteur, qui acte la danse. Sans doute, les pieds désormais nus et sur terre, la danse contemporaine accompagne la marche du monde. Là on retrouve l’engagement et toute la démarche de ce chorégraphe, par-delà la danse et par elle, cette volonté entêtée de révéler la fragilité et l’état du monde. Sous ce lac, affleure notre tragédie, notre humanité.   © Agathe Poupeney   Le Lac des cygnes, chorégraphie Radhouane El Meddeb Scénographie Annie Tolleter Lumières Éric Wurtz Costumes Celestina Agostino, assistée de Karine Richard Musique Piotr Illitch Tchaïkovski Direction artistique Bruno Bouché Maîtres de ballet  Claude Agrafeil, Adrien Boissonet Pièces pour 32 danseurs   Du 27 au 30 mars 2019 à 20h30 Jeudi à 14h30 et 19h45 Samedi à 15h30   Chaillot-Théâtre national de la danse Place du Trocadéro 75008 Paris Réservations 01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr      Read More →
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Les Sorcières de Salem, d’Arthur Miller, mise en scène et version scénique d'Emmanuel Demarcy-Mota, Théâtre de la Ville-Espace Cardin
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault Les Sorcières de Salem a été jouée pour la première fois à Broadway en 1953. Arthur Miller reçut une Antoinette Perry Award pour cette pièce où la fin du 17e siècle fait rebondir les spectateurs médusés en plein milieu de la lutte contre le Maccarthysme. Miller reprend toutes les ficelles de cette histoire terrible, qui eut lieu dans une petite ville du Massachusetts  en 1692. Deux petites filles, de 9 et 11 ans, en sont le point de départ. Elles se disent habitées par le démon, plongées dans des convulsions terribles, avec deux ou trois amies, puis d’autres encore, contamination surprenante, de la faute tout d’abord et peut-être, de la servante antillaise de l’une des deux, leur ayant appris à converser avec Satan… D’autres « sorcières » apparaîtront. Des procès terribles suivront, environ mille personnes seront condamnées, 19 exécutées, d’autres jetées en prison, hommes et femmes, sans défense et sans le sous, ou au contraire en possession de grandes terres fort convoitées, hasard, malheureux et innocent hasard, n’est-ce pas ? Comme disait Michelet en 1862, dans La sorcière, non sur Salem mais sur cette même idée : « On trouva des supplices exprès ; on leur inventa des douleurs. On les jugeait en masse, on les condamnait sur un mot. » Cette pièce se sert de cette histoire comme « vocabulaire. » Le véritable, profond sujet est le magma du Maccarthysme secouant les Etats-Unis dans les années 1950. Miller sera lui-même une sorcière, dénoncée en 1956 par son ami Elia Kazan, poussé vers ce geste immonde exactement pour les mêmes raisons que dans Les Sorcières de Salem : s’il ne « vendait » personne, il serait accusé d’outrage à la commission et sa carrière foutue. Alors il en « dénonça » douze, dont Miller. Le HUAC (House Committee on Un-American Activities) cherchait, pourfendait, poussait à donner des noms, trouvait le mal sous chaque pas, ce terrifiant communisme, monstre noir qui rôdait partout et dont Miller s’était approché. Il était donc, sinon le diable en personne, du moins un incube à deux doigts d’épouser Marylin Monroe. Horreur, malheur, putréfaction !!! Miller avait assisté en effet à quelques réunions, signé ici ou là des pétitions. Pour ne rien arranger, il refusa de donner d’autres noms, la sorcière se débattait ! Il fut condamné pour outrage en 1957, condamnation annulée par la cour d’Appel américaine en 1958. Emmanuel Demarcy-Mota comme assez souvent, nous offre une présentation forte du texte de Miller. Le danger est là, celui du 17e siècle tout comme celui du 21e, oui, nous sommes à nouveau en plein dans ces immondes disputes guerrières. L’apparition d’abord énervante puis acceptée, d’un téléphone portable, nous fait saisir tout cela. Les fillettes sont devenues ici des adolescentes, ou des femmes quittant presque cette ère surprenante. Tous ces comédiens et comédiennes avancent dans le texte avec sobriété, poids, présence. Les Sorcières de Salem poussent la folie simple et amusante à être remplacée par les condamnations, la mort, la peur, aujourd’hui. Toute cette simplicité de jeu nous donne l’impression de « lire » ce texte fort de Miller. La beauté du jeu des sorcières nous emporte, la colère est là, les questions pleuvent. On sort de la salle un peu plus fort, poussé vers une réflexion contemporaine, une attention plus forte oui, soyons sur nos gardes pour tenter d’échapper aux folies disgracieuses de notre époque.   © Jean-Louis Fernandez     Les Sorcières de Salem, d’Arthur Miller Mise en scène & version scénique  Emmanuel Demarcy-Mota Assistant à la mise en scène  Christophe Lemaire 2e assistante à la mise en scène  Julie Peigné Scénographie  Yves Collet & Emmanuel Demarcy-Mota Lumières  Christophe Lemaire & Yves Collet Costumes  Fanny Brouste Musique  Arman Méliès Création vidéo  Mike Guermyet Maquillage  Catherine Nicolas Création sonore  Flavien Gaudon Accessoires  Christophe Cornut Assistant lumières  Thomas Falinower Assistante costumes  Alix Descieux-Read Réalisation costumes  Albane Cheneau, Margaux Ponsard Assistant son  Nathan Chenaud Joffart Conseiller artistique  François Regnault Training physique  Nina Dipla Travail vocal  Maryse Martines Version française du texte  François Regnault, Julie Peigné, Christophe Lemaire   Avec Élodie Bouchez, Serge Maggiani, Sarah Karbasnikoff, Philippe Demarle, Sandra Faure, Jauris Casanova, Lucie Gallo, Jackee Toto, Marie-France Alvarez, Stéphane Krähenbühl, Éléonore Lenne, Gérald Maillet, Grace Seri, Charles-Roger Bour     Théâtre de la Ville-Espace Cardin 1, avenue Gabriel 75008 Paris   Réservations : T+ 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com   Métro lignes 1, 8, 12 : Arrêt Concorde, sortie N°7 avenue Gabriel Métro lignes 1, 13 : Arrêt Champs-Elysées Clemenceau Bus 24, 42, 52, 72, 73, 84 et 94 : Arrêt Place de la Concorde      Read More →
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Je m’appelle Ismaël, texte et mise en scène de Lazare au T2G - Théâtre de Gennevilliers
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒ article de Nicolas Thevenot Présenté comme un projet hors-norme, parce qu’il embrasse l’art cinématographique, la musique et le théâtre, Je m’appelle Ismaël l’est aussi par l’énergie combative qu’il déploie pendant presque trois heures. Telle une mer déchaînée, cette fable donne libre cours à sa furie surréaliste, à ses embardées de science-fiction et de série B, sans jamais reprendre son souffle. Il y sera question d’un complot ourdi par un certain Alain Melon, psychiatre financé par Hollywood. A l’aide des disquettes du programme Laura, les humains seront « resetés », sans mémoire, réduits ainsi à l’état de moutons bêlant à la démocratie et au « narco-capitalisme » (Narco c’est connard à l’envers nous dit Lazare). Il y aura Jésus-Christophe (JC, comme une réminiscence nietzschéenne), le poète (Gérard de Nerval), les Scripts Doktors (officiant au Festival de Cannes), Perceval, son cheval, et tant de choses qu’il serait vain et difficile d’en rendre compte. Ce monde sorti de la tête d’Ismaël, saturé de fictions naïves et déroutantes, de personnages ubuesques, de rebondissements aberrants, est un antidote au flux ininterrompu, en zappance permanente, que la société de consommation 2.0 applique à nos cerveaux. Il y a quelque chose de dionysiaque dans ce capharnaüm. Il y a aussi quelque chose de politique dans ce rapport poétique au réel qui déboulonne et fait riper les vérités : quand le monde est abreuvé de TINA (« there is no alternative ») décliné dans toutes les langues sur le mode de la vérité absolue, il est vital de retourner au fondamental : à cette enfance que l’on pensait endormie et qui se réveille hurlant ses rêves. « Nos pensées bougent autour de nous comme des débris » diagnostique le docteur Alain Melon. Notre monde, nous dit Lazare rejoignant Valère Novarina, est désormais un monde de communicants : un monde de l’efficacité, où les mots ont un sens défini une fois pour tous, où la création est réduite à la portion congrue laissant place au marketing et aux Scripts Doktors qui corrigent désormais le monde où nous vivons… Lazare a conçu son projet au lendemain des attentats de 2015. Pourtant, contrairement à d’autres œuvres initiées dans le même contexte (on pense au troisième volume de Vernon Subutex, ou au Je suis Fassbinder de Falk Richter), on n’y trouve pas cette lucidité mélancolique qui résonnait douloureusement dans le contrecoup de l’événement. On n’y trouve pas non plus de questionnement sur ce que l’événement terroriste faisait à nos esprits, à l’inverse de l’écrivain Don de Lillo qui constatait dans son roman Mao II que le terrorisme réussissait ce que l’écrivain avait tenté de faire avec le roman sans y parvenir : pénétrer et modifier l’imaginaire des hommes. Comme si Don de Lillo réalisait que cette violence-là par les émotions qu’elle mettait en jeu au plus profond de nos êtres archaïques, atteignait cette fameuse aura de l’œuvre, conceptualisée par Walter Benjamin à l’époque de la reproduction des œuvres : L’aura est l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. Pour Lazare, le monde de l’aura de Walter Benjamin a été dévoyé en monde de Laura, du nom du programme financé par Hollywood pour décérébrer l’humanité. Dans cette satire intranquille, l’attentat n’a pas laissé de traces, la société a fait le ménage des mémoires, recouvrant immédiatement l’horreur par une frénésie fictionnelle et consommatrice accrue. Les vanités offertes aux masses en remède au drame ont étouffé les folies poétiques et bienfaitrices d’un Gérard de Nerval.   © Jean-Louis Fernandez   Je m’appelle Ismaël, texte et mise en scène Lazare Collaboration artistique Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Marion Faure Scénographie Vincent Gadras Lumières Kelig Le Bars Son Jonathan Reig Costumes Léa Perron Cheffe opératrice Audrey Gallet Assistanat musical Laurie Bellanca Avec Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Audrey Gallet, Odile Heimburger, Thibault Lacroix, Olivier Leite, Emile Samory Fofana, Philippe Smith, Veronika Soboljevski, Julien Villa et Marion Faure   Séquences filmées Réalisateur Lazare Montage Lazare, Anne-Sophie Bussière, Jeanne Sarfati Chefs opérateu·trice·s Nicos Argilet, Balthazar LAB, Thomas Bataille, Robin Fresson, Audrey Gallet, Frédéric Mainçon Ingénieur son Matthieu Perrot Régie générale Bruno Bléger et Bertrand Sombsthay Régie lumière Alexandre Rätz Régie vidéo Sébastien Sidaner Poursuiteur Yoan Weintraub Habilleuse Marion Xardel Avec les acteur·trice·s de Je m’appelle Ismaël et Axel Bogousslavski, Vincent Brousseau, Alain Fride, Lisa Guez, Julie Hega,  Louis Jeffroy, Abdel Lamrani, Lazare, Olivier Martin-Salvan, Cécile Massinéo, Mourad Musset, Ouria, Jean-François Perrier, Bernard Traversa, Deila Vogur et la voix d’Alexandre Michel   Du 21 mars au 1er avril 2019 Durée 2h50   T2G – Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national 41 avenue Grésillons 92230 Gennevilliers   Réservation au +33 (0) 1 41 32 26 26 www.theatre2gennevilliers.com   Tournée Le vendredi 3 mai 2019 Le Liberté – Scène Nationale Toulon Grand Hôtel – Place de la Liberté 83000 Toulon Réservation au + 04 98 00 56 76 www.theatre-liberte.fr   Du 4 au 8 juin 2019 Théâtre de la Ville (Théâtre des Abbesses) 31, rue des Abbesses 75018 Paris Réservation au + 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Into the Woods, musique et chansons de Stephen Sondheim, livret James Lapine, mise en scène Olivier Bénézech, au Théâtre de la Croix-Rousse
© Frédéric Iovino   ƒƒ article de Victoria Fourel      C’est l’histoire du Petit Chaperon Rouge. Et de Raiponce. Et d’une sorcière, d’un loup, d’un boulanger. Et aussi de Cendrillon. C’est l’histoire de tous les héros qui peuplent les imaginaires et les cultures, dans un musical moderne et décalé. Musicalement, l’œuvre de Sondheim parvient dès le départ à garder l’équilibre entre comédie musicale et instrumentations modernes. Précis, inventifs, les thèmes se déclinent tout au long du spectacle, portés par des voix presque toujours parfaitement maîtrisées. On apprécie donc d’être face à un spectacle qui met en valeur cette œuvre classique et furieusement contemporaine. On est d’ailleurs davantage dans le théâtre contemporain ici que dans le musical grand public. Le plateau se dévoile de plus en plus en profondeur, dans une scénographie construite en couches, s’enfonçant de plus en plus dans la forêt. De la même façon, les personnages sont tantôt dans une extrême modernité volontairement kitsch, tantôt dans un classique appuyé et drôle. Le spectacle saute d’époque en époque, jouant avec les contes traditionnels et le rôle capital qu’ils tiennent dans la société actuelle : celui de la transmission, de la leçon de morale, du partage par le récit. On sent que la complexité des histoires entrecroisées, de la musique et de ces couches de compréhension donnent du fil à retordre à la mise en scène. C’est la première, et cela ne se passe pas sans un certain nombre d’accrochages. Changements de décors, rythme, notes difficiles à atteindre… Tout cela est compliqué à assembler. Et malgré une forte identité et une belle tenue globale, on voit parfois un tout petit peu les fils. Revisite de nos contes traditionnels, écho avec leur rôle au sein de la famille, et avec les combats de notre temps, Into the woods est une œuvre unique, qui résiste parfois aux adaptations. Si nous n’avons plus à traverser les bois pour faire face à nos combats, nous devons pourtant toujours apprendre à cohabiter, à nous battre ensemble et à transmettre les leçons du passé aux plus jeunes. C’est là que la comédie musicale prend son sens, entre fantaisie, technique et vraie œuvre complète.   © Frédéric Iovino   Into the Woods, musique et paroles Stephen Sondheim Livret James Lapine Mise en scène Olivier Bénézech Lumières Jean-Baptiste Cousin Scénographie Olivier Bénézech et Grégory Leteneur Costumes Frédéric Olivier Chorégraphie Johan Nus Avec Sinan Bertrand, Dalia Constantin, Scott Emerson, Grégory Garell, Bastien Jacquemart, Alyssa Landry, Jérôme Pradon, Jasmine Roy, Charlotte Ruby, et l’orchestre de l’Opéra de Reims.   Du 19 au 23 mars 2019 Du mardi au vendredi à 20h et le samedi à 19h30   Durée 2h30 avec entracte     Théâtre de la Croix-Rousse Place Joannès Ambre 69004 Lyon Réservation au 04 72 07 49 49 www.croix-rousse.com    Read More →
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I hope, de Caroline Breton & Charles Chemin, Festival Etrange Cargo à la Ménagerie de Verre, Paris
  © Clélia Schaeffer   ƒ article de Marta Plou I hope ouvre la 22ème édition du festival interdisciplinaire Etrange Cargo. Début : Caroline Breton, pantalon noir, chaussures et T-shirt blancs, est fondue dans le public et nous interpelle au sujet d’une photographe, seul sujet de ses propres photos, comprenez Francesca Woodman, dont une citation est en exergue sur la feuille de salle : « Les choses du réel ne me font pas peur, seulement celles qui sont au fond de moi. » Charles Chemin réplique, toujours à partir de la salle. Un portrait de Caroline Breton où elle serait moins objet d’investigation que sujet à interpréter et à exposer, telle pourrait être la devise de ce solo où metteur en scène et interprète se retrouveraient à collaborer dans une jolie configuration : côte à côte. Une seule matière chorégraphique tout du long : des postures issues de photos préexistantes ou supposées — le statut réaliste ou fictionnel du portrait n’entrant pas en jeu ici —, toutes plus ou moins stéréotypées, notamment du point de vue de la représentation genrée, et s’auto-indiquant comme poses photographiques. Après un premier temps de découverte desdites « photos », nous entrons dans une construction digne des labyrinthes de miroirs des fêtes foraines. Comme sur un écran à trois dimensions, dans une temporalité tout aussi lisse, une femme-poupée exécute une chorégraphie minimale consistant à se déplacer, prendre une orientation, créer la posture, figer, relâcher et recommencer. Mais d’adhésion entre l’interprète et son objet ou encore pourrait-on dire de vérité ontologique, on n’en aura pas, ni dans les poses ni dans la neutralité de l’entre-deux, car derrière ce changement perpétuel rien ne change vraiment. C’est un portrait où le dévoilement intime n’a jamais lieu. Plutôt que des strates du sujet, ce qui impliquerait des relations de profondeur, ce seraient plutôt des facettes d’identité ou un échantillonnage diachronique que l’on voit se tresser. L’existence même d’une identité qui serait le fil de la cohérence ou le fondement d’une vérité ontologique du sujet est mise en question. Cette errance a quelque chose d’assez poétique dans le lâcher-prise du sens et la répétition acharnée de la matière brute. Cependant ce parti-pris (?) de rester d’un bout à l’autre de la pièce dans ce mode de l’indication essouffle tant la performeuse — car c’est une véritable gageure que de maintenir la tension avec quelque chose qui reste toujours en deçà de l’expression tant du corps que de l’émotion — que le public, un peu lassé à la longue de ce jeu de gestes fléchés. L’intervention de deux autres performeuses vers la moitié du spectacle vient un peu étoffer la construction mais pas de véritable bascule. Le temps est long et le tout se serait effondré sans l’intervention ultime mais peut-être trop tardive ou trop peu exploitée du texte qui donne l’ouverture nécessaire à la pièce aveugle. En même temps que s’ouvre l’espace vers le fond de la scène où se trouve l’installation électroacoustique de Dom Bouffard jusque-là maintenu dans la pénombre, nous entendons la voix de Caroline Breton accompagnée de sonorités soudain hurlantes. Ce passage à la parole est une transformation : toujours à travers cette même chorégraphie de postures, alors transfigurées, les nuances apparaissent et ce qui n’était qu’images de clichés sociaux et de représentations normées de la femme deviennent des moments incarnant cette complexité qui s’appelle vivre : anecdotes ou quotidien, âges, entourages, combats, trouble, peur, chemin vers une émancipation — psychologique, sociale, féministe — tout cela apparaît avec l’adjonction de ces mots, eux-mêmes énoncés par bribes — émiettés mais non pas exsangues —, mots de Caroline Breton, Charles Chemin, Virginia Woolf ou extraits du discours d’Ashley Judd (actrice et militante féministe ayant contribué à la chute du magnat Weinstein) à la Womens’March en 2017. En reprenant ses mots, « I’m a nasty woman », Caroline Breton réitère cet acte qui a été appelé « libération de la parole des femmes », acte libérateur car tranchant dans le vif des représentations sexistes. Identité/portrait comme série de représentations versus comme acte de parole ? Comme fabrique au contact de l’infinité du réel ? Comme produit de cette fabrication ? Finalement (ne pas) regarder « au fond de soi ? »  On sort de ce spectacle poussé vers ces réflexions mais peu touchés, par une pièce restée trop maigre.   © Clélia Schaeffer   I hope, de Caroline Breton & Charles Chemin Mise en scène  Charles Chemin Création sonore  Dom Bouffard Lumière  Charles Chemin & Sacha Daniel Objets scéniques  Robin Chemin Assistante  Alice Stern Conseil scénographique  Adrian Damian Conseil dramaturgique  Nils Haarmann Participation scénique Alice Stern Elsa Cecchini Textes Caroline Breton, Charles Chenin, Virginia Woolf, discours de la Women’s march 2017 à Washington DC.   Avec Caroline Breton   Du 12 au 14 mars 2019 à 20h30 Durée 1h10   Ménagerie de Verre 12/14 rue Léchevin 75011 Paris Réservation : 01 43 38 33 44 www.menagerie-de-verre.org    Read More →
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Lettres jamais écrites, textes de Pauline Bureau, Véronique Côté, Marc-Antoine Cyr, Marie Desplechin, Emmanuelle Destremau, Delphine de Vigan, Laurance Henry, Annick Lefebvre, Sylvain Levey, Fabrice Melquiot, Anne-Marie Olivier, Estelle Savasta, Karin Serres, Luc Tartar, Catherine Verlaguet, mise en scène d’Estelle Savasta, Compagnie Hippolyte a mal au cœur, au Théâtre de Chaillot
    © Danica Bijeljac    ƒƒƒ article de Isabelle Blanchard La pièce est issue d’un travail de la metteure en scène, Estelle Savasta, de la Compagnie Hippolyte a mal au cœur, et d’une classe de seconde d’un lycée de Cavaillon. En 2015 et pendant un an, ils ont au travers d’un atelier écrit des lettres. Des lettres à une personne, à soi-même, à une idée, à un futur. Puis La metteure en scène a fait parvenir ces lettres à des écrivains qui y ont répondu. Ainsi ce sont ces lettres et leur réponse qui nous sont données. Quinze en tout même si seulement sept sont jouées par représentation. Au début du spectacle les comédiens expliquent le processus de création de la pièce, le travail des lycéens avec Estelle Savasta et les réponses des auteurs, autrices. Ensuite, ils demandent au public de choisir sept lettres en se basant sur le titre de chacune. La scène est bordée des quatre côtés par les spectateurs, et au plateau évoluent deux comédiens, un homme et une femme, dans un décor très sobre représentant un bureau, un lit et une table basse. Nous voici plongés dans l’intimité, le quotidien d’adolescents, mais aussi ce qui semble un ring aux les idées, les envies, les peurs luttent et se mêlent. Le passage au plateau de ces lettres semble si naturel. L’ambiance est chaleureuse, l’écoute est attentive nous oscillons entre émotion et sourire tout au long du spectacle, les comédiens entraînent et créent un lien avec le public, à l’écoute de l’émotion suscitée. Les thèmes graves sont abordés si sensiblement que finalement au sortir du théâtre on est envahi par une énergie et une vitalité, une envie de ne pas, ne plus se décevoir. Les comédiens jouent juste sans parodier, ni mimer, ils nous embarquent, entre rire et émotion et nous font passer d’une lettre à une autre, d’un univers à un autre doucement et spontanément.  Alors bien sûr, les thèmes peuvent plus ou moins toucher selon son vécu mais toutes ces lettres sont tellement délicates, tellement essentielles qu’il est impossible de rester de marbre. Je dois avouer avoir adoré ces lettres si bien écrites. Chacune nous plonge dans un univers, un monde intérieur à la fois si spécifique à son auteur, autrice et si universel. C’est une réminiscence d’un temps passé (pour certains !), d’un état parfois oublié mais que fait resurgir à notre mémoire la pièce. Les réponses sont également des bijoux mais on s’y attend car la liste des écrivains ayant participé à la création est très alléchante. C’est une pièce à multiples facettes et multiples perspectives (quasi infinies) grâce au choix des textes par le public et aux possibilités laissés par l’alternance des comédiens. Cela donne envie d’aller voir chaque représentation du spectacle.   © Danica Bijeljac   Lettres jamais écrites, de Pauline Bureau, Véronique Côté, Marc-Antoine Cyr, Marie Desplechin, Emmanuelle Destremau, Delphine de Vigan, Laurance Henry, Annick Lefebvre, Sylvain Levey, Fabrice Melquiot, Anne-Marie Olivier, Estelle Savasta, Karin Serres, Luc Tartar, Catherine Verlaguet Mise en scène Estelle Savasta Son François Sallé Lumières Guillaume Parra Accessoires Kristelle Paré   Avec (en alternance) Olivier Constant / Fabrice Gaillard, Sara Louis / Valérie Puech     Du 19 au 23 mars 2019 Mardi 19 mars à 14h30 et 19h45 Mercredi 20 mars à 10h00 et 19h45 Jeudi 21 mars à 14h30 et 19h45 Vendredi 22 mars à 14h30 et 20h30 Samedi 23 mars à 19h45   A partir de 15 ans Durée 1h   Théâtre national de la Danse-Chaillot 1 place du Trocadéro 75116 Paris   Réservation au 01 53 65 31 00 www.theatre-chaillot.fr      Read More →
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Saint-Félix, mise en scène d’Élise Chatauret, au Centquatre-Paris
  © Hélène Harder   ƒƒƒ article de Toulouse Il y a déjà deux ans, Elise Chatauret partait sur les routes de campagne, un micro en poche, récolter les témoignages des quelques habitants de Saint-Félix. Sans jamais cartographier son enquête, nous comprenons bien vite qu’il s’agit d’un petit hameau, et nous décelons la volonté de cette jeune et brillante metteur en scène de décrire factuellement le paysage rural français – un sujet, par ailleurs, que nous ne voyons que trop peu sur les scènes de théâtre et qu’il fait du bien de convoquer de la sorte au plateau avec autant de finesse et d’intelligence. Nous sommes donc en plein dans l’esthétique du théâtre documentaire – proche à bien des égards du type « striptease », du fait d’un certain humour et d’une part de bizarrerie faite de banalité – qui, tout en déroulant son enquête, glisse peu à peu dans une dramaturgie étonnante, celle-ci s’efforçant de désarçonner le registre habituel du documentaire pour construire le spectacle selon une architecture bien plus baroque et anguleuse. Tout en jouant des codes du documentaire, cette joyeuse équipe crée une nouvelle forme de spectacle. Les morceaux et fragments de cette histoire dialoguent entre eux selon plusieurs exercices de style, et complètent un à un cette enquête faite de trous et de zones d’ombres. Le spectacle bascule enfin, et ajoute à cette investigation tout aussi artistique que journalistique une autre enquête, qui donne au spectacle une saveur plus proche du thriller ou du roman policier. En effet, c’est au travers du suicide d’une jeune fille désillusionnée et partie vivre à la campagne, que nous allons essayer de lire et de décrypter la vie à Saint-Félix. Au delà de ce fait divers, nous tenterons d’en analyser un phénomène générationnel inquiétant, qui place l’homme dans une crise identitaire forte, à la recherche de sens et de repères. Ce spectacle balaye donc une somme très riche de sujets, tous aussi actuels et alarmants, avec l’humilité et la délicatesse de partir de l’étude de cas précis et avec l’unique ambition de toucher à ce qu’il y a de plus sincère et de plus vrai, sans vouloir prétendre inventer la vérité. Quatre acteurs, tous formidables, prennent en charge cette histoire dans une scénographie ingénieuse et mouvante, qui ne cesse de se transformer et de faire respirer le spectacle. Le registre de jeu et la direction qu’ils prennent est tout à fait étonnante, et se situe sur une ligne ténue entre, d’une part, une extrême distance avec les rôles et les personnages qu’ils habitent et, d’autre part, une profonde incarnation. Sans savoir si c’est une volonté première, c’est du moins le sentiment qu’il s’en dégage et qui place le jeu dans une médiation et une écoute assez troublante. Élise Chatauret allie un propos à une esthétique forte, et c’est une artiste qu’il nous faut suivre.   © Hélène Harder   Saint-Félix, écriture et mise en scène : Elise Chatauret Dramaturgie et collaboration artistique :Thomas Pondevie Création sonore : Lucas Lelièvre Scénographie et costumes : Charles Chauvet Marionnettes : Lou Simon Lumières : Marie-Hélène Pinon Avec : Solenne Keravis, Justine Bachelet, Charles Zévaco et Emmanuel Matte   Du 12 au 23 mars à 20h30   Le Cenquatre-Paris 5 rue Curial 75019 Paris   Réservations au 01 53 35 50 00 www.104.fr   Métro Riquet (ligne 7), Stalingrad (lignes 2, 5 et 7), Marx Dormoy (ligne 12) Gare Rosa Parks (RER E, T3b) Bus 54 et 60      Read More →
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Le Pays lointain, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Clément Hervieu-Léger, à l'Odéon-Théâtre de l'Europe
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒƒ article de Denis Sanglard C’est un protocole d’adieu, bouleversant, celui d’une génération flamboyante, vite cramée, fauchée par le sida, celle de Koltès, Guibert, Copi, Lagarce… Une génération homosexuelle qui s’inventait au jour le jour un présent pour oublier un passé qui ne lui appartenait pas, ou si peu, dans l’urgence absolue d’être et ne plus vouloir paraître, trouver sa vérité enfin, ignorant qu’elle n’envisagerait bientôt plus le futur qu’elle contribuait à inventer. Une génération qui se voulait cynique et qui n’était qu’écorchée vive. Vite condamnée. Une misanthropie joyeuse et féroce, lucide et volontaire au risque de l’incompréhension. Le temps des amis fidèles, peu, et des amants infidèles par poignées, pour ne jamais s’engager ou si précautionneusement, si maladroitement. Juste cette peur qui vous taraudait, celle de l’engagement, même pour une nuit, même dans les backrooms, quand la mort rôde et qu’il ne reste que peu de temps à vivre. Le Pays lointain c’est un peu ça, c’est tout ça et bien plus encore. Ultime pièce, testamentaire, de Jean-Luc Lagarce comme un cadeau donné avec grande précaution, délicatement et subrepticement posé là avant de disparaître brutalement. Le bilan d’une vie, le témoignage d’une courte époque qui joue les sales prolongations, une fable pour les générations à venir. Parce que tout semble, toujours, recommencer. Et qui en son temps, cruelle ironie, ne fut pas reçue. Il a fallu attendre l’obstination de François Rancillac à l’aube des années deux mille pour découvrir cette pièce flamboyante et générationnelle qui ressasse, augmentées, les mêmes préoccupations que dans son œuvre, une dernière variation autour d’un même thème, le retour de l’enfant prodigue, l’aveu impossible. Louis revient dans sa famille, dans son pays, pour annoncer sa mort prochaine. Mais il ne vient pas seul, c’est tout un cortège qui l’accompagne. Sont là les compagnons d’une vie, vivants et morts. Cette famille que l’on s’est choisie, la famille élue, décorsetée des conventions ou qui se voudrait telle. Les amants, ceux d’un soir, à peine vus déjà disparus. Les autres encore, les guerriers, qui se détachèrent découragés ou restèrent, obstinés comme « l’amant mort déjà », le préféré ou du moins qui voulut le croire. Et l’ami « longue date », le bien-nommé, celui qui veille, protège, lucide, peu disert, silencieux, toujours à l’écoute, sacrifié volontaire. Chronique amoureuse, litanie et suppliques d’amants qui supplée au silence têtu de Louis, l’aveu qui ne vient jamais, jamais ne viendra sans doute. Ils sont tous là donc qui dessinent par fragments, à chacun sa vérité, vraie ou fausse, le portrait de Louis. Et par incidence le leur. Et puis ceux de la famille, la vraie, restée au pays, la sœur, le frère, la belle-sœur et la mère. Et le père, mort lui aussi. Qui ont tant à dire, à reprocher, et qui achève le portrait, assénant leurs quatre vérités pour cracher enfin une souffrance, la leur, devant cette absence qui les met à nu, à vif. Et vouloir rassembler soudain ces deux familles c’est tenter au risque de l’échec prévisible de nouer le passé au présent, une tentative de réconciliation avec soi-même avant la mort qui vous mord aux chevilles. Pas de temporalité ici mais une chronologie qui se chevauche, un présent comme recomposé, une mise à plat linéaire, le temps d’une fable, d’une existence où vivants et morts dialoguent autour d’un mystère, Louis. Et cette parole circule comme ce bouquet de fleurs apporté qui embarrasse, dont on se débarrasse comme on peut et n’en finit pas de passer de mains en mains. Déposé au pied des morts, père ou amants, offert aux vivants, la mère, la belle-sœur, pour revenir et finir en toute logique dans les mains de « Longue date », juste avant l’ultime regret de Louis, plus que l’aveu, ce cri qu’il n’aura jamais poussé non plus, préfigurant sans doute là sa disparition prochaine, un bouquet en attente d’être déposé sur sa tombe par l’unique ami fidèle pas encore découragé. Lagarce touche ici au mystère d’une vie, nos mille et uns arrangements, nos tricheries, nos mensonges. Louis n’est pas un héros, c’est un enfant de son siècle, celui d’un affranchissement crâne à peine commencé, déjà fracassé devant une réalité, une saloperie de virus qui fauche vos espérances pas encore amorcées. Alors on s’arrange, on bricole, on fait comme on peut avec la vérité et les siens. On ment, on se tait, on invente. Le Pays lointain c’est un adieu au monde, joyeux et mordant. D’une ironie féroce et désespérée. Et cette langue si travaillée et précise, tant qu’on la ressace, la fouaille comme on cherche entêté jusqu’à trouver le mot juste, exacte toujours, et le rythme, si singulier qui en découle,  tant reconnaissable chez Jean-Luc Lagarce. Etrange et merveilleux paradoxe de cette langue qui se veut hésitante, répétitive, embarrassée, butée et qui est plus qu’un formidable exercice de style. Lagarce est ce styliste prodigieux qui a fait de la forme même de sa langue un creuset dans lequel chaque personnage trouve son épaisseur, sa grâce, son épiphanie. Ecriture du désastre intime ou collectif, c’est du pareil au même. Ecoutons rien que ça, le monologue du frère, Antoine (Guillaume Ravoire). Ou encore celui de Catherine, (Aymeline Alix). Et c’est ça que Clément Hervieu-Léger met en scène, avec une énergie folle, cette parole sans complaisance mais si terriblement lucide, si terriblement drôle, politesse du désespoir, qui ne cesse de circuler des uns aux autres, cascade, rebondit mais glisse sur Louis, de plus en plus silencieux, tentant de happer le mystère, les mystères ?, d’une vie et d’une génération testamentaire. Une parole qui griffe chacun, spectateur inclus et hante longtemps après le plateau, échos chorale se refusant à mourir. Clément Hervieu-Léger la prend à bras le corps cette écriture, dans ses pleins et ses déliés, sa fluidité heurtée et sa haute précision chirurgicale. Ne bride rien, ne trahit pas. Il ne fait pas acte d’audace mais fait bien mieux, met à nu l’œuvre de cet écorché qu’était Jean-Luc Lagarce, et donc son écriture et sa fable, se dégage de tout artifice, lui rend ainsi toute sa terrible modernité et complexité. Circulation de la parole, circulation des corps Clément Hervieu-Léger tresse l’une et L’autre. Entraîne avec lui les acteurs à son diapason. Tous, tous absolument, résolument engagés et formidables dans cette création, comme en état d’urgence, conscient de faire œuvre indispensable. Eux non plus ne lâchent rien dans cette appréhension de la langue. Elle ne les broie pas elle les exhausse. Jusque dans leur silence, leur sidération. Car si l’on parle beaucoup, on écoute aussi. Il faut la voir là, l’entendre même cette attention envers chacun qui ne quitte jamais le plateau. A se demander si ce sont les acteurs ou les personnages qui écoutent, exercice d’admiration pour l’art de chaque acteur et camarade ainsi offert, ou attention à ce qui est révélé de Louis, la parole énoncée. Les deux sans nul doute. Ce que l’on ressent c’est combien ils se sentent dépositaires de cette parole, de cette œuvre ultime. Pas un personnage qui ne soit dessiné avec justesse et profondeur jusque dans leurs contradictions. On ne peut jouer Lagarce sur la pointe des pieds. La cruauté, car son théâtre est cruel, le désastre du monde ne s’exprime pas autrement que par un engagement total, une confiance en l’œuvre, en l’auteur, au metteur en scène. Nul ne rechigne à la tâche, nul ne se cabre. Il faudrait les nommer tous. De l’immense  Nada Strancar, la mère, à Loïc Corbery, Louis, d’Audrey Bonnet, Suzanne, à Vincent Dissez, Longue Date… et comme Lagarce avait la sienne, Clément Hervieu-Léger a réuni ici sa famille. Et l’on est bouleversé, au-delà de la mise en scène même, de cette prise de relais qui perdure et prolonge une œuvre qui trouve là sa pérennité.   © Jean-Louis Fernandez   Le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce Avec Aymeline Alix, Louis Berthélemy, Audrey Bonnet, Clémence Boué, Loïc Corbery (de la Comédie Française), Vincent Dissez, Françoise Nambot, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro, Nada Strancar, Stanley Weber Collaboration artistique Frédérique Plain Musique Pascal Sangla Scénographie Aurélie Maestre Costumes Caroline de Vivaise Lumière Bertrand Couderc Son Jean-Luc Ristord Coiffure/maquillage David Carvalho Nunes     Du 15 mars au 7 avril 2019 à 19h30 Le dimanche à 15h Relâche le lundi Odéon / Théâtre de l’Europe     Théâtre de l’Odéon Place de l’Odéon 75006 Paris   Réservations 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu    Read More →
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Pièce d’actualité n°12 : DU SALE ! conception, montage et mise en scène par Marion Siéfert au Théâtre de la Commune – Aubervilliers
  © Matthieu Bareyre   ƒƒƒ article de Nicolas Thévenot Les Pièces d’actualités sont un peu la marque de fabrique du Théâtre de la Commune : passer commande à un artiste en lui posant la question : « la vie des gens ici, qu’est-ce qu’elle inspire à votre art ? » Réalisées dans une économie particulière, en porosité avec un territoire et sa population, incluant parfois des amateurs, de magnifiques projets ont ainsi vu le jour : dont la puissance naît de la fragile beauté d’êtres et de vérités enfin révélés au monde. DU SALE ! a été conçu dans ce contexte par Marion Siéfert, artiste associée au Théâtre de la Commune, dont le précédent spectacle Le grand sommeil (programmé par le Festival d’Automne) nous avait éblouis par son caractère déjà singulier et transgressif. Réunissant une danseuse de popping et de Lite feet (Janice Bieleu) et une rappeuse (Laetitia Kerfa aka Original Laeti), DU SALE ! nous touche et nous émeut à nouveau de plein fouet. Ce spectacle confirme également l’intelligence de Marion Siéfert à créer de subtils dispositifs dramaturgiques nourris d’une matière documentaire. Ça commence dans le silence d’une salle qui se décide à faire silence. Dans l’attente de cette jeune fille, assise en tailleur au fond de la scène, concentrée et souriante, confiante. Un beau visage rond, encadré de longues tresses. Elle se lève avec hésitation, amorce une marche au fond de ce plateau noir, à nu, dont le volume étroit n’a jamais autant évoqué celui d’une cathédrale. De cette marche naît la danse, une manière d’habiter le monde, une pulsion d’un corps au contact du monde, une danse qui avec virtuosité s’insinue et s’amplifie en partant de presque rien : des accélérations, des ralentis, des chocs amortis, des gestes inconscients, des chutes arrêtées avant même la chute, des enroulés, des bras qui palpent un espace matière… Se déployant sur scène dans un rapport sensible aux spectateurs, Janice Bieleu nous apprivoise et déplace finalement notre attention ailleurs, vers un lieu plus précieux encore : loin de la performance technique (parfaite pourtant), au plus près de l’être qui danse ! Nous dégageant des préjugés affectant la danse hip-hop, surgit la figure émouvante de son interprète. On ressent dans cette marche chaotique, fracturée, où la grâce advient malgré et avec les coups qui semblent impacter le corps, une certaine désolation, comme si cette danse donnait à voir ce que le monde nous fait, ce qu’il peut produire de violence sur nos corps, mais on assiste aussi, avec autant d’émotion, à cette capacité de résistance, cette résilience à toute épreuve, où la volonté humaine, quand bien même elle encaisse, garde le contrôle de ses gestes, continue à agir. Le sale, dans les codes du rap, renvoie à l’argent sale, mais le terme s’est enrichi d’un sens plus large et renvoie désormais à tout ce que la morale réprouve. Pour rapper du sale, il faut une énergie démesurée nous dit-on et on veut bien le croire. On ajoute : un héroïsme éthique sans faille puisé au plus profond de la vie. Original Laeti est cette héroïne, matinée de fêlures qui rendent sa force encore plus attachante et imposante. Lorsqu’elle apparaît, elle nous saisit immédiatement par l’exigence et la lucidité de son rap, par la nécessité vitale d’aller au bout de ce qu’elle a à dire, quand bien même il y aura toujours la tentation de fuir. On sent chez Original Laeti la même source vive, furieuse et pourtant maîtrisée, qui coule chez Angelica Liddell (cette référence me saute aux yeux avant même de la retrouver plus tard dans l’interview de Marion Siéfert), faisant d’elle une « femme puissante » (pour reprendre le titre du roman de Marie NDiaye). La lame acérée de son rap dessine sans concession, sans jamais s’apitoyer, avec souvent beaucoup d’humour, le monde qu’elle voit et le monde qu’elle vit. Il y a du Jean de La Bruyère chez Original Laeti. « Où sont les hommes libres ? » frappe par sa justesse toute ramassée. Original Laeti assume, elle, avec toute la précarité que cela peut imposer, cette liberté. Avec aussi toute la détermination et la combativité que cela exige quand il s’agit de choisir sa vie dans la cité et dans la société où les rôles, pour être plus précis : les cases, sont définis à l’avance. Elle a l’énergie et la beauté de ces herbes sauvages capables de fissurer les dalles de béton. Herbe folle au regard de certain.e.s, retournant l’insulte comme un gant, elle brandit salement (au sens défini un peu plus haut) ces étendards de « pute » ou de « soumise » pour les faire briller de tout leur éclat, et faire apparaître à l’inverse la morne soumission et l’aliénation des mecs/hommes à leur schème viriliste. Original Laeti revendique son sexe comme une arme, et elle lâche ses coups qui n’ont rien à envier aux ahanements du mâle pris dans le sexe féminin. Car en plus d’être rappeuse, Original Laeti est maîtresse dans l’art du stand up, la scène de drague dans le métro est à mourir de rire. Chemin faisant, en robe de princesse froufroutante, elle remet les pendules à l’heure du genre de manière magistrale et piétine allégrement le patriarcat de nos sociétés ! Jusqu’à incarner, comme une évidence, Lady Macbeth, cette autre héroïne dont la puissance inquiète les hommes depuis des siècles. DU SALE ! n’est pas le spectacle de rap et de hip hop à la mode comme l’industrie et l’institution culturelle en produisent tant, reproduisant paresseusement les stéréotypes, reconduisant sans gêne les stigmates associés et les catégories assignées aux cultures urbaines. DU SALE !, c’est le portrait délicat de deux femmes libres qui dansent et rappent leur vie. Choisissant leurs mots, choisissant leurs gestes, elles osent s’offrir au monde. On ne peut que les aimer.   © Matthieu Bareyre     Pièce d’actualité n°12 : DU SALE !, conception, montage et mise en scène Marion Siéfert Créé en collaboration avec, et interprété́ par Janice Bieleu et Laetitia Kerfa aka Original Laeti Avec les raps d’Orignial Laeti Collaboration artistique Matthieu Bareyre Lumière David Pasquier Son Patrick Jammes Costumes Valentine Solé     Du 13 au 24 mars 2019 Durée 1h30   La Commune Centre Dramatique National – Aubervilliers 2 rue Édouard Poisson 93 300 Aubervilliers Réservation au 01 48 33 16 16 www.lacommune-aubervilliers.fr     Tournée   Du 5 au 7 avril 2019 Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national 7 avenue Pablo-Picasso 92022 Nanterre Cedex   Réservation au +33 (0)1 46 14 70 00 www.nanterre-amandiers.com    Read More →
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Que viennent les Barbares, mise en scène de Myriam Marzouki, à la MC93
  © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒ article de Toulouse Avec Que viennent les Barbares, Myriam Marzouki ouvre un débat qui transpire d’actualité et pose cette question qui peut tant déranger : « qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? » Il s’agit-là d’une pièce bien didactique et faite avec exemplarité. Une pièce qui sait prendre la bonne distance et la juste mesure sur notre monde, et porter un regard – non pas seulement critique mais davantage factuel et nuancé – sur la situation. Et c’est en évaluant la situation globale que naissent différentes situations scéniques. On bascule alors de la réalité à la fiction, du grand débat national à des fragments d’existences ou des expériences singulières. La dramaturgie de cette proposition, toute bien pensée, est ainsi faite de scénettes, comme autant de fragments, qui les uns au regard des autres forment la mosaïque sociale de notre France. Myriam Marzouki ose aller parfois dans les clichés et les images d’Epinal pour en dégager certains points qu’il est urgent de convoquer à la scène. C’est davantage la question d’appartenance qu’elle semble poser en convoquant la figure de l’étranger, tout en faisant comprendre qu’il existe bien une tendance à conditionner l’altérité et créer ces figures d’étrangers dans notre histoire et nos schémas sociaux. C’est avec une joyeuse équipe de six acteurs que nous plongeons à la fois dans les mythes qui ont fait la gloire et la honte de la France. C’est sans hésiter que Myriam Marzouki s’amuse à convoquer sur scène des figures historiques incarnées avec beaucoup de ludisme. Ainsi des penseurs comme Lévi-Strauss prennent la parole, et se retrouvent à discuter avec l’administration française pour la demande de citoyenneté. En résulte des scènes tout à fait amusantes et qui construisent l’architecture du spectacle sous un bon modèle de dialogue platonicien en quête d’une certaine vérité. A nous ensuite, spectateurs, d’en tirer nos propres conclusions… C’est enfin en confrontant un métissage de figures et de personnages qu’on tente de comprendre la raison qui les sépare comme celle qui les rassemble, et comment fonctionne intrinsèquement une communauté. Bien évidemment, cette pluralité d’histoires et de caractères, rattachés les uns aux autres, sont soigneusement pensés pour créer les pires contrepoints, comme aussi les meilleurs et les plus absurdes. S’en dégage alors un humour évident, mais aussi un certain onirisme qui déplace le curseur esthétique du spectacle vers un théâtre de l’image et du sensoriel. Cela advient davantage à la fin du spectacle qui, suite à une autoroute de l’histoire et de la logique, prend un virage et bifurque vers les chemins de la métaphore. L’écriture, textuelle comme scénique, prend alors une nouvelle dimension poétique, qui fait respirer le spectacle, ouvre de nouvelles perspectives (bien plus métaphysiques) et stimule le paysage imaginaire du spectateur.   © Christophe Raynaud de Lage   Que viennent les Barbares, texte et dramaturgie Sébastien Lepotvin et Myriam Marzouki Mise en scène Myriam Marzouki Avec des extraits de Constantin Cavafis et Jean Sénac, et des passages librement inspirés des interviews et récits de Mohamed Ali, James Baldwin et Claude Lévi-Strauss Scénographie Marie Szersnovicz Lumière Christian Dubet Son Jean-Damien Ratel Costumes Laure Maheo Assistante à la mise en scène et regard chorégraphique Magali Caillet-Gajan Stagiaire assistant à la mise en scène Timothée Israël Construction décor Ateliers de la MC93   Avec Louise Belmas, Marc Berman, Yassine Harrada, Claire Lapeyre Mazérat, Samira Sedira, Maxime Tshibangu     Du 13 au 23 mars 2019 Durée 1h40   MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny   Réservation au 01 41 60 72 72 www.mc93.com   Métro Ligne 5 : Station Bobigny – Pablo Picasso Tramway T1 : Station Hôtel-de-ville de Bobigny – Maison de la Culture Bus 146, 148, 303, 615, 620 : Station Bobigny – Pablo Picasso Bus 134, 234, 251, 322, 301 : Station Hôtel-de-ville      Read More →
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