À l'affiche, Critiques // Le Lac des cygnes, Ballet de l’Opéra du Rhin, Chorégraphie de Radhouane El Meddeb, Chaillot-Théâtre national de la danse / Printemps de la danse arabe

Le Lac des cygnes, Ballet de l’Opéra du Rhin, Chorégraphie de Radhouane El Meddeb, Chaillot-Théâtre national de la danse / Printemps de la danse arabe

Mar 29, 2019 | Commentaires fermés sur Le Lac des cygnes, Ballet de l’Opéra du Rhin, Chorégraphie de Radhouane El Meddeb, Chaillot-Théâtre national de la danse / Printemps de la danse arabe

 

© Agathe Poupeney

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Un Lac des cygnes d’une belle eau ! Radhouane El Meddeb signe une création d’une étrange et superbe facture. Où respectant le vocabulaire classique, la forme, il l’inscrit ce néanmoins et délibérément dans une modernité troublante. Pas de princes ni de princesses, pas la moindre plumes, mais l’ensemble du corps de ballet comme un seul et même personnage, protéiforme, mouvant, ou chacun peut réclamer son titre, sa couronne avant de revenir au sein du groupe, cygnes sur pointes dont le claquement des chaussons sur le plateau et dans le silence qui sourd parfois, trouant la partition mélancolique de Tchaïkovski, rappelle le claquement brutal d’ailes alourdies par l’eau, prenant leur envol. Mais la force de cette chorégraphie tient moins au vocabulaire, à son respect teinté de douce ironie et d’admiration réelle, qu’à cette attention toute particulière à la métamorphose. Du danseur au cygne, dans l’incarnation, par le mouvement, certes, mais aussi et surtout du danseur à l’objet de sa danse. Pas pour rien si parfois semble régner sur le plateau une étrange confusion, parfaitement maîtrisée, où le corps de ballet semble en attente, dans l’expectative de son envol, envol qui acte cette métamorphose, où les regards échangés, signature usuelle de Radhouane El Meddeb, participent de même à ce brusque passage d’un état l’autre. Regard de défi, de défiance, d’une volonté de dépassement, amorce d’un changement d’état. Ce regard, c’est aussi la part d’humanité rendue au danseur, trop souvent absent ou du moins fixe, figé, conventionnel dans la danse classique. Ce regard-là, volontaire, c’est déjà inscrire ce Lac des Cygnes dans la modernité, le désincarcérer de son corset suranné et mythique. Ce que demande Radhouane El Meddeb semble ne pas être dans la perfection absolue, trop souvent froide et technique, mais dans la présence prégnante du danseur, son appropriation consciente d’un art, la réactivation des traces mémorielles, inconscientes parfois, de la danse et portées, enfouies en chacun des corps, mais nouées désormais à son expérience personnelle, sa perception du monde. Sa fragilité. Et c’est ce qui semble ici flagrant, combien chaque danseur tout en ne faisant qu’un avec le corps de ballet conserve sa part irréductible d’humanité. Ensemble et séparément, simulis et singulis, telle paraît la devise de cette version du Lac des Cygnes, sous le signe de l’altérité, au-delà du genre. Ainsi nous ne sommes plus dans la restitution, la reconstitution mais dans l’interrogation. Celle de Radhouane El Meddeb mais également celle des danseurs. Que signifient la danse classique aujourd’hui, et plus généralement la danse dans son ensemble, et surtout sa transmission. Entre tradition, appropriation et juste trahison, sans laquelle il ne peut y avoir de création. Ainsi de cette image forte, drôle cependant, de ces danseuses se débarrassant avant le final de leurs chaussons, laissés négligemment en tas, pour pieds nus sauter de nouveau, raides et droites, presque lourdes, très loin des premiers envols et de la grâce. Dépouillées soudain de leur apparat classique. Libérées, soulagées d’un carcan pour un mouvement redevenu naturel, joyeux même. Un retour à la réalité. Autre et ultime métamorphose. Radhouane El Meddeb acte là de façon nette l’histoire de la danse – son histoire aussi – descendue désormais des cieux jamais atteints pour un retour au sol, son appui, qui à l’aube du vingtième siècle faisait entrer avec fracas la danse dans la modernité. Et cette porosité d’un vocabulaire à l’autre, nourrit l’un par l’autre, l’un contre l’autre, est sans doute selon Radhouane El Meddeb une des réponses possible, laissant provisoirement au vestiaire les oripeaux de la danse classique, comme ses tutus suspendus sur leurs cintres à cour et jardin. C’est dans la mémoire et le corps des danseurs que résident aujourd’hui ces oripeaux, traces résiduelles et mémorielles. Mais la plus belle image, la plus représentative du moins, semble être ce tutu nuageux au lointain, suspendu entre ciel et terre, arrêté dans son envol. Et c’est peut-être là la clef de cette chorégraphie subtile et bien plus retorse qu’elle n’y paraît, sous l’exercice sincère d’admiration, dans cet entre-deux fragile, entre le rêve d’un envol et la chute inévitable, prévisible, cette oscillation constante à vouloir, obstiné, défier la gravité, conscient et lucide d’être rattrapé toujours par la réalité, la pesanteur, qui acte la danse. Sans doute, les pieds désormais nus et sur terre, la danse contemporaine accompagne la marche du monde. Là on retrouve l’engagement et toute la démarche de ce chorégraphe, par-delà la danse et par elle, cette volonté entêtée de révéler la fragilité et l’état du monde. Sous ce lac, affleure notre tragédie, notre humanité.

 

© Agathe Poupeney

 

Le Lac des cygnes, chorégraphie Radhouane El Meddeb

Scénographie Annie Tolleter

Lumières Éric Wurtz

Costumes Celestina Agostino, assistée de Karine Richard

Musique Piotr Illitch Tchaïkovski

Direction artistique Bruno Bouché

Maîtres de ballet  Claude Agrafeil, Adrien Boissonet

Pièces pour 32 danseurs

 

Du 27 au 30 mars 2019 à 20h30

Jeudi à 14h30 et 19h45

Samedi à 15h30

 

Chaillot-Théâtre national de la danse

Place du Trocadéro

75008 Paris

Réservations 01 53 65 30 00

www.theatre-chaillot.fr

 

 

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