Critiques // I hope, de Caroline Breton & Charles Chemin, Festival Etrange Cargo à la Ménagerie de Verre, Paris

I hope, de Caroline Breton & Charles Chemin, Festival Etrange Cargo à la Ménagerie de Verre, Paris

Mar 22, 2019 | Commentaires fermés sur I hope, de Caroline Breton & Charles Chemin, Festival Etrange Cargo à la Ménagerie de Verre, Paris

 

© Clélia Schaeffer

 

ƒ article de Marta Plou

I hope ouvre la 22ème édition du festival interdisciplinaire Etrange Cargo. Début : Caroline Breton, pantalon noir, chaussures et T-shirt blancs, est fondue dans le public et nous interpelle au sujet d’une photographe, seul sujet de ses propres photos, comprenez Francesca Woodman, dont une citation est en exergue sur la feuille de salle : « Les choses du réel ne me font pas peur, seulement celles qui sont au fond de moi. » Charles Chemin réplique, toujours à partir de la salle. Un portrait de Caroline Breton où elle serait moins objet d’investigation que sujet à interpréter et à exposer, telle pourrait être la devise de ce solo où metteur en scène et interprète se retrouveraient à collaborer dans une jolie configuration : côte à côte. Une seule matière chorégraphique tout du long : des postures issues de photos préexistantes ou supposées — le statut réaliste ou fictionnel du portrait n’entrant pas en jeu ici —, toutes plus ou moins stéréotypées, notamment du point de vue de la représentation genrée, et s’auto-indiquant comme poses photographiques.

Après un premier temps de découverte desdites « photos », nous entrons dans une construction digne des labyrinthes de miroirs des fêtes foraines. Comme sur un écran à trois dimensions, dans une temporalité tout aussi lisse, une femme-poupée exécute une chorégraphie minimale consistant à se déplacer, prendre une orientation, créer la posture, figer, relâcher et recommencer. Mais d’adhésion entre l’interprète et son objet ou encore pourrait-on dire de vérité ontologique, on n’en aura pas, ni dans les poses ni dans la neutralité de l’entre-deux, car derrière ce changement perpétuel rien ne change vraiment. C’est un portrait où le dévoilement intime n’a jamais lieu. Plutôt que des strates du sujet, ce qui impliquerait des relations de profondeur, ce seraient plutôt des facettes d’identité ou un échantillonnage diachronique que l’on voit se tresser.

L’existence même d’une identité qui serait le fil de la cohérence ou le fondement d’une vérité ontologique du sujet est mise en question. Cette errance a quelque chose d’assez poétique dans le lâcher-prise du sens et la répétition acharnée de la matière brute. Cependant ce parti-pris (?) de rester d’un bout à l’autre de la pièce dans ce mode de l’indication essouffle tant la performeuse — car c’est une véritable gageure que de maintenir la tension avec quelque chose qui reste toujours en deçà de l’expression tant du corps que de l’émotion — que le public, un peu lassé à la longue de ce jeu de gestes fléchés. L’intervention de deux autres performeuses vers la moitié du spectacle vient un peu étoffer la construction mais pas de véritable bascule. Le temps est long et le tout se serait effondré sans l’intervention ultime mais peut-être trop tardive ou trop peu exploitée du texte qui donne l’ouverture nécessaire à la pièce aveugle.

En même temps que s’ouvre l’espace vers le fond de la scène où se trouve l’installation électroacoustique de Dom Bouffard jusque-là maintenu dans la pénombre, nous entendons la voix de Caroline Breton accompagnée de sonorités soudain hurlantes. Ce passage à la parole est une transformation : toujours à travers cette même chorégraphie de postures, alors transfigurées, les nuances apparaissent et ce qui n’était qu’images de clichés sociaux et de représentations normées de la femme deviennent des moments incarnant cette complexité qui s’appelle vivre : anecdotes ou quotidien, âges, entourages, combats, trouble, peur, chemin vers une émancipation — psychologique, sociale, féministe — tout cela apparaît avec l’adjonction de ces mots, eux-mêmes énoncés par bribes — émiettés mais non pas exsangues —, mots de Caroline Breton, Charles Chemin, Virginia Woolf ou extraits du discours d’Ashley Judd (actrice et militante féministe ayant contribué à la chute du magnat Weinstein) à la Womens’March en 2017. En reprenant ses mots, « I’m a nasty woman », Caroline Breton réitère cet acte qui a été appelé « libération de la parole des femmes », acte libérateur car tranchant dans le vif des représentations sexistes. Identité/portrait comme série de représentations versus comme acte de parole ? Comme fabrique au contact de l’infinité du réel ? Comme produit de cette fabrication ? Finalement (ne pas) regarder « au fond de soi ? »  On sort de ce spectacle poussé vers ces réflexions mais peu touchés, par une pièce restée trop maigre.

 

© Clélia Schaeffer

 

I hope, de Caroline Breton & Charles Chemin

Mise en scène  Charles Chemin

Création sonore  Dom Bouffard

Lumière  Charles Chemin & Sacha Daniel

Objets scéniques  Robin Chemin

Assistante  Alice Stern

Conseil scénographique  Adrian Damian

Conseil dramaturgique  Nils Haarmann

Participation scénique Alice Stern Elsa Cecchini

Textes Caroline Breton, Charles Chenin, Virginia Woolf, discours de la Women’s march 2017 à Washington DC.

 

Avec Caroline Breton

 

Du 12 au 14 mars 2019 à 20h30

Durée 1h10

 

Ménagerie de Verre
12/14 rue Léchevin
75011 Paris

Réservation : 01 43 38 33 44

www.menagerie-de-verre.org

 

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