© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault
Les Sorcières de Salem a été jouée pour la première fois à Broadway en 1953. Arthur Miller reçut une Antoinette Perry Award pour cette pièce où la fin du 17e siècle fait rebondir les spectateurs médusés en plein milieu de la lutte contre le Maccarthysme.
Miller reprend toutes les ficelles de cette histoire terrible, qui eut lieu dans une petite ville du Massachusetts en 1692. Deux petites filles, de 9 et 11 ans, en sont le point de départ. Elles se disent habitées par le démon, plongées dans des convulsions terribles, avec deux ou trois amies, puis d’autres encore, contamination surprenante, de la faute tout d’abord et peut-être, de la servante antillaise de l’une des deux, leur ayant appris à converser avec Satan… D’autres « sorcières » apparaîtront. Des procès terribles suivront, environ mille personnes seront condamnées, 19 exécutées, d’autres jetées en prison, hommes et femmes, sans défense et sans le sous, ou au contraire en possession de grandes terres fort convoitées, hasard, malheureux et innocent hasard, n’est-ce pas ? Comme disait Michelet en 1862, dans La sorcière, non sur Salem mais sur cette même idée : « On trouva des supplices exprès ; on leur inventa des douleurs. On les jugeait en masse, on les condamnait sur un mot. »
Cette pièce se sert de cette histoire comme « vocabulaire. » Le véritable, profond sujet est le magma du Maccarthysme secouant les Etats-Unis dans les années 1950. Miller sera lui-même une sorcière, dénoncée en 1956 par son ami Elia Kazan, poussé vers ce geste immonde exactement pour les mêmes raisons que dans Les Sorcières de Salem : s’il ne « vendait » personne, il serait accusé d’outrage à la commission et sa carrière foutue. Alors il en « dénonça » douze, dont Miller. Le HUAC (House Committee on Un-American Activities) cherchait, pourfendait, poussait à donner des noms, trouvait le mal sous chaque pas, ce terrifiant communisme, monstre noir qui rôdait partout et dont Miller s’était approché. Il était donc, sinon le diable en personne, du moins un incube à deux doigts d’épouser Marylin Monroe. Horreur, malheur, putréfaction !!!
Miller avait assisté en effet à quelques réunions, signé ici ou là des pétitions. Pour ne rien arranger, il refusa de donner d’autres noms, la sorcière se débattait ! Il fut condamné pour outrage en 1957, condamnation annulée par la cour d’Appel américaine en 1958.
Emmanuel Demarcy-Mota comme assez souvent, nous offre une présentation forte du texte de Miller. Le danger est là, celui du 17e siècle tout comme celui du 21e, oui, nous sommes à nouveau en plein dans ces immondes disputes guerrières. L’apparition d’abord énervante puis acceptée, d’un téléphone portable, nous fait saisir tout cela. Les fillettes sont devenues ici des adolescentes, ou des femmes quittant presque cette ère surprenante. Tous ces comédiens et comédiennes avancent dans le texte avec sobriété, poids, présence. Les Sorcières de Salem poussent la folie simple et amusante à être remplacée par les condamnations, la mort, la peur, aujourd’hui. Toute cette simplicité de jeu nous donne l’impression de « lire » ce texte fort de Miller. La beauté du jeu des sorcières nous emporte, la colère est là, les questions pleuvent. On sort de la salle un peu plus fort, poussé vers une réflexion contemporaine, une attention plus forte oui, soyons sur nos gardes pour tenter d’échapper aux folies disgracieuses de notre époque.
© Jean-Louis Fernandez
Les Sorcières de Salem, d’Arthur Miller
Mise en scène & version scénique Emmanuel Demarcy-Mota
Assistant à la mise en scène Christophe Lemaire
2e assistante à la mise en scène Julie Peigné
Scénographie Yves Collet & Emmanuel Demarcy-Mota
Lumières Christophe Lemaire & Yves Collet
Costumes Fanny Brouste
Musique Arman Méliès
Création vidéo Mike Guermyet
Maquillage Catherine Nicolas
Création sonore Flavien Gaudon
Accessoires Christophe Cornut
Assistant lumières Thomas Falinower
Assistante costumes Alix Descieux-Read
Réalisation costumes Albane Cheneau, Margaux Ponsard
Assistant son Nathan Chenaud Joffart
Conseiller artistique François Regnault
Training physique Nina Dipla
Travail vocal Maryse Martines
Version française du texte François Regnault, Julie Peigné, Christophe Lemaire
Avec Élodie Bouchez, Serge Maggiani, Sarah Karbasnikoff, Philippe Demarle, Sandra Faure, Jauris Casanova, Lucie Gallo, Jackee Toto, Marie-France Alvarez, Stéphane Krähenbühl, Éléonore Lenne, Gérald Maillet, Grace Seri, Charles-Roger Bour
Théâtre de la Ville-Espace Cardin
1, avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations : T+ 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
Métro lignes 1, 8, 12 : Arrêt Concorde, sortie N°7 avenue Gabriel
Métro lignes 1, 13 : Arrêt Champs-Elysées Clemenceau
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