À l'affiche, Critiques // Pièce d’actualité n°12 : DU SALE ! conception, montage et mise en scène par Marion Siéfert au Théâtre de la Commune – Aubervilliers

Pièce d’actualité n°12 : DU SALE ! conception, montage et mise en scène par Marion Siéfert au Théâtre de la Commune – Aubervilliers

Mar 18, 2019 | Commentaires fermés sur Pièce d’actualité n°12 : DU SALE ! conception, montage et mise en scène par Marion Siéfert au Théâtre de la Commune – Aubervilliers

 

© Matthieu Bareyre

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thévenot

Les Pièces d’actualités sont un peu la marque de fabrique du Théâtre de la Commune : passer commande à un artiste en lui posant la question : « la vie des gens ici, qu’est-ce qu’elle inspire à votre art ? » Réalisées dans une économie particulière, en porosité avec un territoire et sa population, incluant parfois des amateurs, de magnifiques projets ont ainsi vu le jour : dont la puissance naît de la fragile beauté d’êtres et de vérités enfin révélés au monde.

DU SALE ! a été conçu dans ce contexte par Marion Siéfert, artiste associée au Théâtre de la Commune, dont le précédent spectacle Le grand sommeil (programmé par le Festival d’Automne) nous avait éblouis par son caractère déjà singulier et transgressif. Réunissant une danseuse de popping et de Lite feet (Janice Bieleu) et une rappeuse (Laetitia Kerfa aka Original Laeti), DU SALE ! nous touche et nous émeut à nouveau de plein fouet. Ce spectacle confirme également l’intelligence de Marion Siéfert à créer de subtils dispositifs dramaturgiques nourris d’une matière documentaire.

Ça commence dans le silence d’une salle qui se décide à faire silence. Dans l’attente de cette jeune fille, assise en tailleur au fond de la scène, concentrée et souriante, confiante. Un beau visage rond, encadré de longues tresses. Elle se lève avec hésitation, amorce une marche au fond de ce plateau noir, à nu, dont le volume étroit n’a jamais autant évoqué celui d’une cathédrale. De cette marche naît la danse, une manière d’habiter le monde, une pulsion d’un corps au contact du monde, une danse qui avec virtuosité s’insinue et s’amplifie en partant de presque rien : des accélérations, des ralentis, des chocs amortis, des gestes inconscients, des chutes arrêtées avant même la chute, des enroulés, des bras qui palpent un espace matière… Se déployant sur scène dans un rapport sensible aux spectateurs, Janice Bieleu nous apprivoise et déplace finalement notre attention ailleurs, vers un lieu plus précieux encore : loin de la performance technique (parfaite pourtant), au plus près de l’être qui danse ! Nous dégageant des préjugés affectant la danse hip-hop, surgit la figure émouvante de son interprète.

On ressent dans cette marche chaotique, fracturée, où la grâce advient malgré et avec les coups qui semblent impacter le corps, une certaine désolation, comme si cette danse donnait à voir ce que le monde nous fait, ce qu’il peut produire de violence sur nos corps, mais on assiste aussi, avec autant d’émotion, à cette capacité de résistance, cette résilience à toute épreuve, où la volonté humaine, quand bien même elle encaisse, garde le contrôle de ses gestes, continue à agir.

Le sale, dans les codes du rap, renvoie à l’argent sale, mais le terme s’est enrichi d’un sens plus large et renvoie désormais à tout ce que la morale réprouve. Pour rapper du sale, il faut une énergie démesurée nous dit-on et on veut bien le croire. On ajoute : un héroïsme éthique sans faille puisé au plus profond de la vie.

Original Laeti est cette héroïne, matinée de fêlures qui rendent sa force encore plus attachante et imposante. Lorsqu’elle apparaît, elle nous saisit immédiatement par l’exigence et la lucidité de son rap, par la nécessité vitale d’aller au bout de ce qu’elle a à dire, quand bien même il y aura toujours la tentation de fuir. On sent chez Original Laeti la même source vive, furieuse et pourtant maîtrisée, qui coule chez Angelica Liddell (cette référence me saute aux yeux avant même de la retrouver plus tard dans l’interview de Marion Siéfert), faisant d’elle une « femme puissante » (pour reprendre le titre du roman de Marie NDiaye). La lame acérée de son rap dessine sans concession, sans jamais s’apitoyer, avec souvent beaucoup d’humour, le monde qu’elle voit et le monde qu’elle vit. Il y a du Jean de La Bruyère chez Original Laeti. « Où sont les hommes libres ? » frappe par sa justesse toute ramassée. Original Laeti assume, elle, avec toute la précarité que cela peut imposer, cette liberté. Avec aussi toute la détermination et la combativité que cela exige quand il s’agit de choisir sa vie dans la cité et dans la société où les rôles, pour être plus précis : les cases, sont définis à l’avance.

Elle a l’énergie et la beauté de ces herbes sauvages capables de fissurer les dalles de béton. Herbe folle au regard de certain.e.s, retournant l’insulte comme un gant, elle brandit salement (au sens défini un peu plus haut) ces étendards de « pute » ou de « soumise » pour les faire briller de tout leur éclat, et faire apparaître à l’inverse la morne soumission et l’aliénation des mecs/hommes à leur schème viriliste. Original Laeti revendique son sexe comme une arme, et elle lâche ses coups qui n’ont rien à envier aux ahanements du mâle pris dans le sexe féminin. Car en plus d’être rappeuse, Original Laeti est maîtresse dans l’art du stand up, la scène de drague dans le métro est à mourir de rire. Chemin faisant, en robe de princesse froufroutante, elle remet les pendules à l’heure du genre de manière magistrale et piétine allégrement le patriarcat de nos sociétés !

Jusqu’à incarner, comme une évidence, Lady Macbeth, cette autre héroïne dont la puissance inquiète les hommes depuis des siècles.

DU SALE ! n’est pas le spectacle de rap et de hip hop à la mode comme l’industrie et l’institution culturelle en produisent tant, reproduisant paresseusement les stéréotypes, reconduisant sans gêne les stigmates associés et les catégories assignées aux cultures urbaines. DU SALE !, c’est le portrait délicat de deux femmes libres qui dansent et rappent leur vie. Choisissant leurs mots, choisissant leurs gestes, elles osent s’offrir au monde. On ne peut que les aimer.

 

© Matthieu Bareyre

 

 

Pièce d’actualité n°12 : DU SALE !, conception, montage et mise en scène Marion Siéfert

Créé en collaboration avec, et interprété́ par Janice Bieleu et Laetitia Kerfa aka Original Laeti

Avec les raps d’Orignial Laeti

Collaboration artistique Matthieu Bareyre

Lumière David Pasquier

Son Patrick Jammes

Costumes Valentine Solé

 

 

Du 13 au 24 mars 2019

Durée 1h30

 

La Commune

Centre Dramatique National – Aubervilliers
2 rue Édouard Poisson

93 300 Aubervilliers

Réservation au 01 48 33 16 16

www.lacommune-aubervilliers.fr

 

 

Tournée

 

Du 5 au 7 avril 2019

Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national

7 avenue Pablo-Picasso

92022 Nanterre Cedex

 

Réservation au +33 (0)1 46 14 70 00

www.nanterre-amandiers.com

 

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