© Desmond Roberts
ƒƒ article de Denis Sanglard
Voilà une création toute simple qui ne révolutionnera pas la danse contemporaine. Sauf que, remise dans son contexte, elle prend toute sa force de subversion et de révolte. Face au machisme patriarcal de la société indienne qui engendre violence envers les femmes et homophobie, la réponse de Mandeep Raikhy claque, sans appel. Au centre de son travail, le corps. Ici masculin. Deux hommes en leurs ébats sexuels sur un lit traditionnel, le sharpoy, chorégraphié comme un corps à corps sensuel et charnel ou rien n’est éludé, du premier regard comme un appel, aux positions érotiques sans équivoques, est une réponse cinglante à l’article 377 du code pénal indien qui criminalise toute relation homosexuelle. Mandeep Raikhy ne s’embarrasse pas de circonvolutions ou de métaphores. Jouant de l’obscène comme un formidable outil critique, c’est-à-dire de la transgression et de la révélation. Là est bien la première transgression, politique devant le conservatisme et la réaction, une législation liberticide. La danse, la performance comme révélation d’un tabou, mettant au jour ce qui doit être caché, exposant l’intime dans le champ public comme une réalité qu’on ne peut occulter, cristallisant toutes les crispations d’une société sur les questions d’identité. La seconde, artistique, est d’imposer une danse qui ne s’inspire en rien de la danse traditionnelle indienne mais de chercher avec obstination un vocabulaire résolument contemporain plus à même d’être accordé à ses interrogations. Le résultat ici peut paraître au regard des créations actuelles occidentales quelque peu malingre ou simpliste. Mais c’est avant tout un formidable pied de nez à la tradition et à la culture traditionnelle indienne fortement enracinée, voire identitaire. Aux symboles, aux sources religieuses des danses traditionnelles, il substitue un ancrage dans une réalité crue qui rejoint de fait son engagement politique. Cet objet performatif tout autant que chorégraphique, dans son dispositif immersif, quadrifrontal, offre ses corps en joute amoureuse et sexuelle au regard ou au refus. Il y a donc ici aussi une interrogation logique sur l’obscène et sa représentation. Qu’est ce qui, du regard porté ou de l’objet exposé, est le plus obscène ? Mandeep Raikhy n’impose rien, c’est le choix du spectateur, de regarder, rester ou partir, puisque cela lui est offert, cette chorégraphie d’à peine 45 minutes, tournant en boucle durant plus de deux heures. C’est dans notre regard porté, voire notre jugement que naît l’obscène. Ou pas. Mandeep Raikhy renvoie ainsi chacun de nous à sa propre réflexion. On a vu des interrogations menées bien plus loin, Queen-size peut sembler moins radicale que d’autres performances occidentales. Mais encore une fois remettons les choses dans leur contexte. Queen-size, au regard de la création indienne contemporaine, possède une charge subversive, audacieuse, voire courageuse qu’on ne peut qu’encourager.
Queen-size, chorégraphie de Mandeep Raikhy
Création son Yasuhiro Morinaga
Lumières Jonathan O’Hear
Costumes Virkein Dhar
Technique Govind Singh
Direction des répétitions Manju Sharma
Design du sharpoy Lalit Khatana
Danse et collaboration artistique Lalit Khatana & Parinay Mehra
Du 28 au 30 mars 2019
A 20h / 20h45 / 21h30
Théâtre de la Ville
Espace Cardin / Studio
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations 01 42 74 22 77
Tournée :
4 avril 2019
KLAP Maison pour la Danse
5 avenue Rostand 13003 Marseille
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