© Fabienne Rappeneau
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Un axiome critique bien connu veut que toute pièce qui utilise un morceau de Niagara soit forcément une bonne pièce. La chanson en question, Pendant que les champs brûlent, n’est d’ailleurs pas une simple illustration sonore, mais un véritable programme. Autour du petit pavillon de banlieue où vivent les parents de la jeune adolescente Anna, se déclarent en effet des incendies : de bons voisins veilleurs mettent le feu aux camionnettes des prostituées, drogués, délinquants qui stationnent dans le coin. Quant à la mère d’Anna, qu’on voit se déhancher sur la musique de Niagara, elle brûle d’un feu intérieur, celui de sa frustration. Son mari est veule, elle s’ennuie, elle ne comprend pas sa fille.
D’Anna, on apprendra petit à petit des choses, au fur et à mesure que se déroule la journée, scandée par des cartons indiquant la succession des heures et des lieux (chez Anna, au lycée professionnel Arthur Miller…). Anna a les yeux vairons, ce qui la dote sans doute d’une double lucidité. Elle est aussi très en avance dans son développement, et donc très en retard pour l’institution scolaire, qui l’a parquée, casée dans un BEP hôtellerie. De cases, il est d’ailleurs beaucoup question ici. Case que la boîte présente sur le plateau, métaphore de l’intériorité d’Anna, et espace qui s’ouvre de temps en temps en faisant battre de larges panneaux. Case dans laquelle le père dépassé tente de se réfugier, à un moment de la pièce. Cases dans lesquelles on ne rentre pas, comme ce père, justement, broyé par la bienveillance nouvelle d’un management cruel. Père exploité, mère exténuée, fille harcelée : Les Yeux d’Anna fait aussi la part belle aux exclus, aux précaires : élèves en échec scolaire, jeunes homosexuels brimés, surdoués humiliés.
On connaît la tendresse de Luc Tartar lorsqu’il s’agit d’évoquer la vie des adolescents d’aujourd’hui. Ici, son écriture se fait parfois mutine. Les personnages ont pour nom de famille « Tombe », ce qui est garant de jeux de mots nombreux. Les dialogues du début ont de faux airs de Jean Tardieu (« Natacha/Attache-moi »), ou de Jacques Demy (on pense à « Monsieur Dame » …). La légèreté apparente se teinte cependant vite d’angoisse et de gravité, quand apparaissent les jeunes garçons : Rachid, l’homosexuel, ou Clémentin, le vaurien à la gueule d’ange. La modernité du sujet rejoint des cadres primitifs (fille mise à nue, accusations de sorcellerie) tandis que le texte s’ouvre sur d’autres, ainsi, celui des Sorcières de Salem d’Arthur Miller.
Cécile Tournesol, la metteuse en scène, aère sa mise en scène par l’utilisation d’intertitres, ou de vidéos en noir et blanc, qui font penser à un Truffaut encore plus désenchanté, ou à un Nicholas Ray passé au gris. Dans cette Fureur de vivre des grands ensembles brillent, incandescents, Tigran Mekhitarian (en Sal Mineo arménien) et surtout Louka Meliava, James Dean 2.0, fauve et subtil.
© Fabienne Rappeneau
Les Yeux d’Anna, de Luc Tartar
Mise en scène Cécile Tournesol
Scénographie Bruno Collet
Lumières Patrice Le Cadre
Vidéo/Images Fred Bures, Jean-Thierry Debord, Hadrien Majorel
Musique Aldo Gilbert
Costumes Philippe Varache
Assistant Roman Sitruk
Avec Tigran Mekhitarian ou Théo Askolovitch (Rachid), Louka Meliava (Clémentin, Walter), Cécile Métrich (Monique Tombe), Julien Muller (Jean Tombe), Cécile Tournesol (Barbara)
Du 8 au 20 janvier 2019 à 20h00
Le dimanche à 16h, relâche le lundi
Durée 1h05 sans entracte
Conseillé à partir de 12 ans
Théâtre 13/Seine
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
Réservation au 01 45 88 62 22
http://www.theatre13.com/pages/infos-pratiques/reservations
Tournée 2018/2019
Du 14 au 16 février 2019
Théâtre Eurydice- Plaisir
18 avril 2019
Centre culturel Bures-sur-Yvette
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