Critiques // Critique. « Tu tiens sur tous les fronts » de Christophe Tarkos. Mise en scène Roland Auzet. Théâtre de la Commune

Critique. « Tu tiens sur tous les fronts » de Christophe Tarkos. Mise en scène Roland Auzet. Théâtre de la Commune

Déc 10, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Tu tiens sur tous les fronts » de Christophe Tarkos. Mise en scène Roland Auzet. Théâtre de la Commune

ƒƒ Critique d’ Anna Grahm,

 © Emmanuelle Murbach

L’un et l’autre « bel homme »

Un plateau noir et blanc. Dans le carré noir un homme, dans un fauteuil, sirote un whisky. Sur le carré blanc, un pierrot lunaire l’écoute. Deux hommes, chacun dans leur écrin, chacun dans leur unicité, chacun dans leur monde, l’un émetteur, l’autre dans son espace de réception, l’un parleur volubile et l’autre en situation d’écoute. L’un jongle avec le verbe, l’autre donne au silence son épaisseur. L’un cherche à comprendre le sens de nos vies, modèle la « pâte mot », la malaxe, la triture, l’assouplit, l’autre observe sans mot dire, sans rien maudire, l’autre observe la pensée faite de hauts et de bas, voit qu’elle tourne et retourne sans jamais être statique.

On nous a appris à trancher, pour ou contre, ami ennemi, on veut avoir raison, nous détestons être mis en défaut, nous faisons abstraction de notre complexité en opérant une simplification duelle. Nos deux compères, moitiés clowns, moitiés Blues Brothers se moquent de nos vieux fonctionnements, nous invitent à nous repenser complémentaires. Ils le font avec la complicité d’un piano sans pianiste qui joue avec eux.

Nous ne contrôlons plus rien, nous acceptons que les choses nous échappent, nous sommes embarqués, cueillis, nous sommes comme eux, tour à tour l’un d’eux, « normal’ » ou « différent », à la fois présent et absent, nous sommes semblables à eux, pétris de conflits qu’il faut apprendre à gérer. Penser les oppositions comme un trajet, penser que les jointures qui séparent chacun d’entre nous se touchent, c’est en substance ce que nous dit ce duo malicieux. Nous sommes pris dans le frisson d’une simple poignée de main, nous les rejoignons lorsqu’ils se frôlent, se sourient, s’empoignent. Au-delà du langage, ces deux êtres face à face s’inventent une relation, leurs deux façons d’être au monde trouvent milles manières de se reconnaitre, c’est une rencontre pleine de joie de vivre, c’est l’aventure à « tâtons » de nos relations, c’est un autre regard sur la fabrication de nos identités, c’est la déconstruction de nos petits sursauts de pouvoirs, ce sont d’autres possibilités de se voir, de réexaminer la liste infinie de nos divisions. Tout ce qui les sépare, tout ce que nous nions, tout ce que nous écartons de notre entendement, ils l’acceptent, leurs différences, ils les regardent comme un tout, inter relié, comme un enrichissement.

Un autre, plus un autre, plus tant d’autres

Christophe Tarkos, écrivain performer, décédé le 3O novembre 2004 à 40 ans, a construit de petites mécaniques poétiques qui s’emboitent, se déboitent, se démontent, se remontent. Le metteur en scène Roland Auzet, également compositeur, a imaginé son spectacle autour de cet ensemble de poèmes, il a su nous faire entendre la rythmique, la densité de la langue, il use de la répétition, rondo allegro, orchestre la variation d’un même thème, fait de la composition musicale.

Hervé Pierre, sociétaire de la comédie française, s’imbrique avec Pascal Duquesne, comédien révélé dans « le Huitième jour » pour faire entendre cette voix à la fois tendre et corrosive, s’impliquent, l’un avec l’autre, un monstre de talent et une présence fascinante, s’entremêlent, s’entrelacent deux acteurs décapants, délicieusement délirants. À travers leurs constantes négociations, leurs envies de vivre, leurs observations minutieuses et facétieuses, ils nous éclairent et nous subjuguent.

Il faut dire que le souffle de Christophe Tarkos ouvre perpétuellement du sens, crée des failles dans lesquelles ils s’engouffrent avec jubilation. Émotions, humour, poésie, l’écriture est à la croisée de celle de Gertrud Stein et de Samuel Beckett, elle pointe en creux cette humanité auto centrée, « la pensée du même » qui a besoin d’ordre, qui exclut ce qui ne lui ressemble pas, tout ce qui fait désordre. Le travail de Christophe Tarkos est le fruit d’une rumination, rumination poétique et politique qui fait voler en éclats les règles qui nous aliènent pour ouvrir des possibles inexplorés.

Comme la musique, la création vidéo déplace sans arrêt la réflexion, décale les images, déloge la couleur, impose et évacue les conditionnements, exige de ne pas s’attarder sur les dissemblances et disfonctionnements mais nous transporte, nous entraine, nous élève constamment vers « ce sentiment étrange de fraternité ».

Tu tiens sur tous les fronts
D’après Christophe Tarkos
Conception musique et mise en scène : Roland Auzet
Avec Pascal Duquesne et Hervé Pierre sociétaire de la Comédie-Française
Théâtre de la Commune
2 rue Édouard Poisson – 93304 Aubervilliers
Métro : Aubervilliers – Pantin- Quatre chemins – Navette retour gratuite vers Paris, du mardi au samedi

Jusqu’au 21 décembre 2012 – Du mardi au vendredi à 20h –  Samedi à 18h30 –  Dimanche à 16h30 – Relâche exceptionnelle le jeudi 13 décembre
Réservations :  01 48 33 16 16
http://www.theatredelacommune.com/

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