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Sports group, de Gabrielè Labanauskaité, Gailè Griciuté et Victorija Damerell, au Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du Focus Lituanien

Oct 10, 2024 | Commentaires fermés sur Sports group, de Gabrielè Labanauskaité, Gailè Griciuté et Victorija Damerell, au Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du Focus Lituanien

 

© Martynas Aleksa

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

La musique c’est du sport et réciproquement ! Voilà une performance musicale décalée, exigeant autant de muscles que de souffle, d’une subtile ironie sous le sérieux apparent. Une salle de sport n’est pas forcément une salle de concert, certes, mais telle est pourtant la proposition pour le moins saugrenue proposée par Gabrielè Labanauskaité, Gailè Griciuté et Victorija Damerell. Ici les appareils de musculation et de fitness sont les instruments originaux pour cette partition musclée ne manquant pas d’air. Les poids soulevés sont ainsi reliés à un soufflet lui-même rattaché à quelques tuyaux d’orgues, le tout branché sur un amplificateur. Ce n’est pas de la cornemuse ni du biniou mais cela y ressemble dans son fonctionnement, le son étant nettement plus grave et moins grinçant. Ces mêmes tuyaux, de tailles variables et sur lesquels il arrive que l’on frappe, peuvent à l’occasion se désolidariser et se métamorphoser en oliphant, voire en flûte. Les six instrumentistes-chanteurs soulèvent ainsi de la fonte créant une basse continue sur laquelle se déploie le chant monodique ou polyphonique, parfois syncopé, hérité de la tradition du chant choral traditionnel lituanien, jusqu’au sutartinés. Les textes conçus pour cette création à partir de conversations prises sur le vif dans les salles de sport ou extraits de blogs sont en parfaite harmonie avec ce qui sur le plateau se joue. Discours de développement personnel new-âge (on retient cette phrase choc : « je suis sauvage, je suis folle » et mieux encore « je suis dieu »), culte du corps parfait et sain (et sans une once de graisse)… Le fond rejoint donc avec intelligence et causticité la forme. C’est très malin, certes ludique et diablement inventif mais la critique d’une société du paraître et des apparences, le culte de la jeunesse et de la beauté, discriminatoire de fait, de ses injonctions, est pertinent… Peut-on y voir aussi en filigrane une critique de la société soviétique – et plus largement des régimes totalitaires – dont le sport était une arme de propagande, prônant la culture du bien-être dans la représentation de l’homme fort, « l’homme nouveau soviétique » ? Sans doute aussi mais n’est-ce pas là un faux-nez ?

Cet « homme fort », cellule d’un corps social communautaire, idéal communiste, trente-cinq ans après l’indépendance de la Lituanie, n’a sans doute plus raison d’être. Sauf que des traces coriaces idéologiques subsistent qui entravent le processus démocratique à l’œuvre et le vivre-ensemble. Depuis quatorze ans le système réglementaire lituanien dispose d’une loi similaire à la loi russe anti-gay, loi sur la protection des mineurs contre l’effet néfaste de l’information publique (effet nuisible sur la santé mentale, au développement physique, intellectuel et moral des mineurs), dont l’un des amendements définit l’information nocive comme « méprisant les valeurs familiales et promouvant une famille alternative ». Lois discriminatoires permettant la censure d’ouvrages gays ou de manifestations publiques LGBTQIA+. Cette propagande ouvertement anti-gay sur laquelle s’appuient certaines écoles entrave l’accès à l’information, à l’éducation inclusive. C’est une pierre d’achoppement avec le parlement européen.

Il ne semble donc pas inintéressant de souligner l’engagement de la dramaturge et poétesse Gabrielè Labanauskaité envers la communauté LGBTQIA+ et le féminisme. Est-ce à dire que reprenant « la langue esopienne », un art de la métaphore propre aux artistes lituaniens sous l’occupation soviétique pour détourner la censure et afficher leur opposition et que seul un public averti comprenait, Gabrielè Labanauskaité et ses acolytes usent de ce procédé et le retournant contre un régime démocratique et ses manquements humanitaires, où le corps est un enjeu politique et idéologique hérité de l’Union soviétique, dénoncent cette discrimination ? Sports Group derrière son aspect somme tout sympathique semble bien être plus subversif et instructif qu’on ne le pense… Et alors comment interpréter cette antienne qui préside aux échanges artistiqueS franco-lituanien, soulignée il y encore peu par la première ministre lituanienne Ingrida Šimonytė « L’autre est le même » ? Un espoir de changement qu’engage et oblige la création contemporaine Lituanienne comme le démontre à sa façon Sports Group ?

 

© Martynas Aleksa

 

Sports Group, sur une idée de Gabrielè Labanauskaité

Texte : Gabrielè Labanauskaité, Victorija Damerell

Conception et mise en scène : Gailè Griciuté, Victorija Damerell

Musique : Gailè Griciuté

Mouvement : Greta Stiormer, Victorija Damerell

Scénographie et costumes : Victorija Damerell

Conception des instruments : Gailè Griciuté, Victorija Damerell, Sholto Dobie

Lumières : Julius Kuršis

Son : Ignas Juzokas

Avec : Agnè Semenoviciuté, Denisas Kolomyckis, Gintarè Smigelskytè, Justina Mykolaitytè, Jura Elenna Sedytè, Vaidas Bartušas

 

Du 8 au 9 octobre 2024, 20h

 

Théâtre des Abbesses

31 rue des Abbesses

75018 Paris

Réservation : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

 

2024 est l’année de la Lituanie en France. Le Théâtre de la Ville pendant trois semaines (29 septembre-20 octobre) propose un panorama de la jeune génération artistique lituanienne dans sa diversité (théâtre, danse, performance, musique, marionnettes) témoignant des bouleversements de son histoire…

Renseignements : www.theatredelaville-paris.com

 

 

 

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