Critiques // « De la Race en Amérique » et « À portée de Crachat » / Odyssées en Yvelines

« De la Race en Amérique » et « À portée de Crachat » / Odyssées en Yvelines

Avr 01, 2011 | Aucun commentaire sur « De la Race en Amérique » et « À portée de Crachat » / Odyssées en Yvelines

Critique d’Anne-Marie Watelet

« De la Race en Amérique » d’après Barack Obama / Mise en scène José Pliya
et « À portée de Carchat » de Taher Najib / Mise en scène Laurent Fréchuret

Odyssée en Yvelines au CDN de Sartrouville touche à sa fin, et nous avons pu voir dernièrement deux pièces représentées en duo dans la même soirée. Deux textes engagés, politiques et populaires, deux voix du monde qui se répondent, Amérique – Palestinen Yvelines »

D’abord le discours, on s’en souvient, que prononça Barack Obama à Philadelphie, lors de son investiture à la Présidence des Etats-Unis, enjoignant toutes les communautés à se tourner vers la démocratie ; et ensuite, les pérégrinations d’un jeune acteur se présentant comme palestinien et de nationalité israélienne, en proie aux difficultés de faire accepter son identité, personnage renvoyant à l’auteur Taher Najib, de son propre aveu.

Tout homme politique s’exprime pour convaincre, l’homme de théatre pour ouvrir et interroger. L’un et l’autre sont réunis dans ces mises en scène.

© DR

Réunis, chacun à sa façon : l’un droit et grave devant le micro, pesant ses mots, distillant ses messages humanistes à la foule, l’autre relatant avec les mots mais multipliant les voix et les tons, et avec toute la verve acrobatique de son corps. Il raille, s’emporte avec désinvolture et parfois dérision, nous fait rire puis nous prend à parti afin de mieux nous entraîner dans sa course et dans ses démêlés avec les autorités aux frontières, à Ramallah, à Paris ou à Tel-Aviv. L’homme politique nous convainc par ses raisonnements, ses arguments nourris de souvenirs, de rappels historiques douloureux. Si différents que soient le mode d’expression de chacun et les voix, leurs messages sont un cri adressé aux hommes, et pas seulement un cri contre le racisme aux Etats-Unis, ou contre l’absurdité de l’occupation de territoires palestiniens par Israel, mais plutôt pour en appeler au sentiment et à l’intelligence citoyens. Les situations quotidiennes et localisées, décrites avec les mots, renvoient à des situations gobales et, sinon universelles, du moins étendues dans le monde. Injustice sociale, corruption économique et politique sont bien ancrées dans le cadre étasunien, mais font l’appanage de la mondialisation. De même, le jeune acteur, selon où il se trouve, passe pour ce qu’il n’est pas : extrêmiste, terroriste, djihadiste dans les aéroports ?… Et il vit dans les images qu’on lui prête – et les rôles de soldat qu’il incarne ! Il est, dans cette pièce, le héros d’une représentation symbolique du mal – le danger qu’incarne “l’autre”, imaginé par les préjugés xénophobes et la peur. Privé d’identité, lui, parmi tant d’autres.

On ressent chez les deux la nécessité de dire les choses, de libérer leurs obsessions, et leur refus de tant d’iniquité et de bêtise. Atteindre les foules, en messagers des valeurs humanistes, voilà leur credo.

Un parti pris de mise en scène légitime, respectant la liberté du spectateur chez José Pliya.

« De le Race en Amérique » (clin d’oeil significatif au titre de l’ouvrage d’Alexis de Tocqueville, « De la Démocratie en Amérique », 1840), n’est pas une inutile réplique du discours d’Obama. Le fond (le contenu) est certes fidèle à l’original, mais le metteur en scène a tenu à exclure tout effet dramaturgique et oratoire, toute émotion, propres au discours politique, et ceci nous surprend. Il s’en explique par sa volonté de neutralité. Le sens doit passer par les mots seuls, au spectateur de s’en faire l’écho. Ainsi, Eric Delor prononce ses phrases de manière désincarnée, sur un ton grave et égal du début à la fin. Diction parfaite, rythme d’élocution mesuré, adapté aux différentes “périodes” de son exposé : à la fin de chacune d’elles, il lève la tête et son regard scrute le nôtre. Un regard plein de respect et de confiance. Constants, son corps et sa voix rassurent, et sa belle prestance en impose. Nul relief idéologique, nulle passion ne viennent troubler le flux régulier de ses paroles. Nous sommes conquis à sa cause, et ce, en toute liberté !

© JM.Lobbé

Mise en scène originale dans laquelle on reconnaît l’engagement de Laurent Fréchuret dans « A portée de crachat ».

Cette fois, le texte passe par la recherche d’effets, la variation de tons et les ruptures à l’intèrieur du monologue de Mounir Margoum, incarnant le jeune palestinien. On comprend l’exaltation de ce dernier pour affronter ses aventures… Mais à trop gesticuler, grimacer (au sens classique même du terme), on a parfois l’impression d’être devant un humoriste, plein de talent(s) d’ailleurs, car ce comédien mouille sa chemise, et avec quelle adresse ! Certes, on peut “faire passer” des situations graves avec un jeu comique, cela fonctionne ici, et d’ailleurs il importe que le personnage se dépense, use son corps et sa chair sans compter, car ce à quoi il tient, c’est sa parole, qui le fait être lui-même : il veut exister, et tant pis pour le reste. Une jolie idée dans la scénographie à ce propos : les corps du jeune homme et de son amie, tout aux joie de l’amour, enroulés dans un drap qui les dissimule. Le corps a t-il des droits dans ce contexte politique ? Mais nous regrettons que certains moments et propos soient joués sur ce même registre, alors qu’on s’attend à une densité dramatique. Le titre seulement nous entaîne dans les milieux de la haine : « À portée de crachat », à portée de tir, de jet de pierre, à deux frontières d’ici… deux peuples qui se déchirent.

Ces spectacles nous remettent en face de réalités et situations contemporaines tragiques, si médiatisées qu’on a besoin parfois de se retourner pour y voir plus clair et avancer dans ce qui est plus juste. José Pliya et Laurent Fréchuret ont permis ce retour, sans provoquer cependant la morosité, sans recourir à la sensiblerie.

De la race en Amérique
De : Barack Obama
Mise en scène : José Pliya
Avec : Eric Delor et la voix de Laure Adler
Lumière : Babylone Aidi
Traduction : Megan Fischler

A portée de crachat
De : Taher Najib
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Avec : Mounir Margoum
Assiante à la mise en scène : Elise Vanderhaegen
Lumière, Régie : Thierry Opigez

Dans le cadre du Festival Odyssées en Yvelines

Théâtre de Sartrouville – Centre Dramatique National
Place Jacques Brel, 78 500 Sartrouville
www.theatre-sartrouville.com

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