À l'affiche, Critiques // Critique• « Naz » de Ricardo Montserrat, adaptation et mise en scène de Christophe Moyer, à la Maison des Métallos

Critique• « Naz » de Ricardo Montserrat, adaptation et mise en scène de Christophe Moyer, à la Maison des Métallos

Avr 28, 2012 | Aucun commentaire sur Critique• « Naz » de Ricardo Montserrat, adaptation et mise en scène de Christophe Moyer, à la Maison des Métallos

Critique d’Anne-Marie Watelet

Un spectacle « coup de poing autour de la montée des mouvances extrémistes.

Il est là sur le plateau qui nous attend, au milieu des quelques attributs-types du clan auquel il appartient : tee-shirts et joggings blancs suspendus; barre de muscu; miroir et sono assourdissante de musique hardcore. D’abord, une démonstration/exhibition : le torse nu, il poursuit la série d’exercices dans un rythme haletant, matière vivante de nerfs et de muscles qui annihilent la pesanteur, de voltes-face à la force des bras, en sauts périlleux. Visage émacié, crâne rasé, corps fébrile… Tout un symbole. Puis sa voix se répand en cris de haine – slogans, imprécations, menaces; il jauge son corps dans le miroir, ou change d’uniforme » (un treillis de l’armée), tout en expliquant l’idéologie du groupe à un interlocuteur invisible.

Car cette voix au singulier exprime le collectif, on l’aura compris. Pas de « je » d’ailleurs dans le texte, mais des formulations impersonnelles, globales, néanmoins très précises. L’acteur est le protagoniste des entretiens que les auteurs de ce projet et du texte ont menés sur le terrain: ils témoignent de la récente vague extrémiste de droite qui a déferlé des pays scandinaves, et pour certains de l’Est, au nord de la France. « Le Nord, c’est Stalingrad !… On n’est pas dans le 9/3 ! lance  t-il,  _ Ici on tape sur les colorés… »

Aucun didactisme, pas de position partisane pour étaler au grand jour les dangers de cet envahisseur banalisé, dont les activités se résument ici à aller « à la chasse », c’est à dire nettoyer le terrain français des souillures que sont les « gris » comme ils disent, les « sans abri , les homosexuels…»  Pas de marge!. On connait la chanson.

Trois axes dans l’espace scénographique : l’image que le naz a de lui, son lieu de vie, son discours discriminatoire rythmé par une gestuelle violente.

Son image. Les vêtements, signés Lonsdale ou Fred Perry, panoplie de reconnaissance dans le groupe; le corps, sculpté pour se battre. Et puis le sport, c’est une affaire d’hommes. Apologie du foot et des hooligans : «les anglo-saxons, c’est fight et fun !» Notons la plastique et le talent corporels incroyables de Henry Botte pour représenter avec une vérité confondante (plutôt qu’incarner ici) ce personnage-type. Domaine masculin donc, où la communication est possible, où le dépassement de soi est réalisable.

Le lieu de vie est animé par la musique (avec modération par égard pour les oreilles du public), par des images-tv déroulant des scènes de rues, affirmation plus ou moins violente du groupe, puis c’est une projection video de fragments  documentaires, célébrant la propagande nazie, qui donne une impression pitoyable grâce à un choix technique. Dans cet espace, le rasciste-fasciste se veut persuasif : la Nation, le sol français et ce que l’on connait de cette mouvance. Plus subtilement, la nostalgie d’un passé réactionnaire se fait jour; mais les valeurs politiques et sociales prises pour modèle et peu réfléchies sont le fait de jeunes pour qui il n’y a pas de futur, dans une région que la situation économique a ruinée. Répulsion, crainte devant cette volonté nihiliste et stupide? Certes, mais soudain, des arguments nous déstabilisent : que dire à cela, que chacun doit pouvoir lire dans sa propre histoire, celle de sa famille? Que sans une histoire  – familiale et locale, Où porter son regard pour se connaître et être reconnu? Que répliquer au fait que, si la génération des grands-parents ont forgé l’Histoire, et même résisté (et l’auteur de livrer des exemples historiques imparables), on ne peut en dire autant des parents, qui « se lèvent, vont si possible au turbin, puis à Carrefour, et enfin s’alcoolisent pour se changer les idées ! Quel présent pour cette génération? Constat consternant. De Germinal aux « Ch’tis », où est le chemin parcouru? Références qui parlent d’elles-mêmes, criantes de vérité. Et là se profile une contradiction : pas si simple de glorifier le passé ! Même pas la foi pour se rebeller. (Les « zazous » ou les « blousons noirs » des années 50-60 avaient, eux, quelque matière à… Mais sur ce terrain présent, pas de de mythe à faire fleurir !) Juste prôner avec force un retour au passé : impossible. Donc il reste la haine et la rigolade. « Une baston c’est de l’adrénaline! ».

Finalement, on ressort de ce spectacle favorablement mitigés dans notre jugement sur cet homme, et c’est là une des réussites de l’auteur. En effet, une vision manichéenne du bien et du mal à son propos eût été banale et de moindre portée pour nous; au contraire un sentiment de compassion s’insinue à certains moments, ce qui empêche toute conclusion hâtive ou abusive – si tant est que nous ayons comme souci le vrai et le juste sur les plans humain et politique, comme l’ont eu de toute évidence R. Montserrat, C. Moyer et H. Botte.

A la fin de chaque représentation, nous restons pour un débat (25mn) étant donné le terrain miné sur lequel nous nous trouvons , et parce qu’il faut connaître l’origine de ce texte qui en fait une pièce engagée; ainsi que les  dessous socio-politiques (trop négligés des médias), de ce glissement à l’extrême droite, particulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais. Mais on se rend compte que malgré les apparences, ils ne sont pas tous à cataloguer comme étant des néo-nazis. Observation, esprit critique à tout prix…

Après avoir fait jouer la pièce dans quelques villes du Nord (résultat d’une année en immersion dans le « milieu » pour Ricardo Montserrat), l’équipe la présente à Paris, en cette période cruciale. Rarement un spectacle a été d’une actualité aussi brûlante !

Naz
Texte de Ricardo Montserrat
Adaptation et mise en scène de Christophe Moyer
Avec Henry Botte
Video Jérémie Bernaert
Régie Yann Hendrickx
Compagnie Sens Ascensionnels
Coproduction scène nationale du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, Colères du Présent, villes de Grenay et Carvin, l’Escapade d’Hénin-Beaumont
avec le concours de l’Agence nationale pour la Cohésion Sociale et l’Égalité des chances (ACSÉ) pour l’accompagnement de la partie débat

Du 25 avril au 13 mai
Du mercredi au vendredi 20h, samedi 19h, dimanche 16h

La maison des métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud  Paris  11ème
Metro Couronnes
Réservation 01 47 00 25 20
maisondesmetallos.org

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.