Critiques // « Au delà du Voile » de Slimane Benaïssa au Lucernaire

« Au delà du Voile » de Slimane Benaïssa au Lucernaire

Fév 04, 2011 | Aucun commentaire sur « Au delà du Voile » de Slimane Benaïssa au Lucernaire

Critique d’Evariste Lago

Les femmes prennent le pouvoir

Les femmes se dévoilent

1990. L’Algérie. Le chaos. La terre de deux femmes, l’aînée et la cadette, est au bord de la révolte. L’intégrisme, le chômage, la violence gagnent de plus en plus de terrain. L’intolérance est partout. Les femmes sont les premières victimes.

La cadette revient un soir après avoir fui les pressions de son frère. Elle veut bien porter le chapeau pour les problèmes qu’a engendrés sa fuite mais pas le hidjab, le voile censé la protéger des regards impurs. L’aînée est là pour lui rappeler ses devoirs de femme : obéir au dernier mâle de la maison, son frère, cet unique mâle garant de l’honneur familial et des traditions. La conversation s’engage entre ces deux sœurs que tout oppose. L’aînée, femme au foyer, voit dans le respect des hommes et des traditions une nécessité, là où la cadette, universitaire, ne voit qu’oppression et enfermement. Les langues se délient, les cœurs se dévoilent, la conversation file sans la présence d’un homme. Seules leurs ombres rôdent.

Benaïssa donne la parole à des femmes qui ne l’ont plus. Pour ce dramaturge algérien, né en 1943 et émigré en France en 1993, la place de la femme et la religion sont des thèmes de prédilection.

Parole donnée aux femmes

Agnès Renaud, le metteur en scène, prend la parole et nous livre une vision dépouillée de la pièce de Benaïssa. Le plateau est quasiment nu comme pour signifier que les personnages allaient s’y mettre. Trois voiles, qui jouent de leur transparence, forment un intérieur réservé aux femmes. Au-delà des voiles, c’est le monde des hommes. Ces extérieurs appartiennent exclusivement aux mâles et aux fantômes. Pascal Portejoie, le musicien, fait partie de ce monde extérieur et ouvert. Il accentue l’orientalisme du décor par les sonorités de ses instruments. Il est également le témoin muet de ces destins qui se jouent devant les voiles. Il est, enfin, l’ajout masculin au texte initial. Fatima Aïbout, la « mère » joue le lien entre intérieur et extérieurs. Elle interprète magistralement ce rôle ainsi que d’autres, à l’humour décapant. L’addition de ces personnages au texte initial amplifie l’humour et la tendresse de la pièce de Slimane Benaïssa. L’ainée, Myriam Loucif, et la cadette, Khadija El Mahdi, révèlent toute la beauté du texte : sa langue ensoleillée et pimentée. Trois générations de comédiennes pour un même message, une même grâce et une même qualité de jeu. Agnès Renaud prend le parti de ne pas faire se regarder en face les comédiennes comme si ces trois générations ne pouvaient plus se parler face à face, ni même se voir. Elles ne se voient pas, elles ne se comprennent pas forcément mais pourtant elles prennent la parole et se font entendre.

Au-delà du voile
De et traduction de l’arabe : Slimane Benaïssa
Mise en scène : Agnès Renaud
Assistante : Virginie Deville
Scénographie : Patricia Lacoulonche
Lumières : Véronique Hemberger
Costumes : Brigitte Massey
Avec : Fatima Aïbout, Myriam Loucif, Khadija El Mahdi et Pascal Portejoie

Du 02 février au 26 mars 2011

Théâtre Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris – Réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

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