Jeudi 20, vendredi 21 et samedi 22 octobre 2011, les spectateurs venant au Théâtre de la Ville voir la pièce de Romeo Castellucci, Sul Concetto di Volto nel Figlio di Dio ont dû faire face à un drôle de comité d’accueil : boules puantes, gaz lacrymogènes, jaunes d’œufs, huile de vidange jetés sur le public et présence de CRS. En effet, un groupe de fondamentalistes chrétiens qui jugent la pièce « blasphématoire » ont très violemment perturbé les trois soirées, tentant d’empêcher l’accès au théâtre. Dans la pièce de Castellucci, le visage du Christ est déchiré après avoir été symboliquement couvert d’excréments, ce qui explique la furie et la violence des agresseurs. Ceux-ci avaient déjà demandé l’interdiction de la pièce mais le Tribunal de Grande Instance les a déboutés par décision du 18 octobre 2011.
La ville de Paris et le Théâtre ont décidé de déposer conjointement plainte contre les perturbateurs pour « actes de dégradation du domaine public » et « atteinte à la liberté de création et d’expression artistique ».
© Klaus Lefebvre
Voici le témoignage de Pauline Decobert, rédactrice d’Un Fauteuil pour l’Orchestre, sur les lieux le 21 octobre :
Quiproquo d’un autre temps,
ou comment deux rétrogrades peuvent tenter de censurer la création théâtrale.
Vendredi 21 octobre, un groupe d’intégristes catholiques s’est permis de tenter d’interdire de voir la pièce de Roméo Castellucci, Sul concetto di volto nel figlio di Dio (sur le concept du visage du fils de Dieu). Deux jeunes hommes, chapelet en main, ont réussi à s’infiltrer dans le théâtre (alors qu’un groupe du même ordre avait interrompu la pièce en envahissant la scène, le jour de la première, c’est-à-dire la veille !) : suspendus aux balcons, armés de bouteilles d’huile de vidange, ceux-ci menaçaient de sauter en cas d’intervention policière. C’est ainsi que la cinquantaine de CRS présente sur place a mis une bonne heure à faire cesser ce triste spectacle. Pour peu que l’huile fut bouillante, on aurait pu se croire en plein Moyen-Âge. En tout cas, nous n’avions plus l’impression d’être en France, à Paris.
Il va sans dire qu’ils n’avaient pas vu la pièce, tout comme les spectateurs qui ont du essuyer des jets d’œufs venant de la place du Châtelet par vagues d’attaque. Bien-entendu, ce n’est pas la faute de ces fervents religieux s’ils sont restés sourds à la bonne nouvelle apportée au monde par Zarathoustra, il fallait de bonnes oreilles hélàs ! (La mort de Kadhafi, vous comprenez, c’est plus facile, à partir du moment où on peut assister à son lynchage en deux clics sur Youtube.) On peut regretter que ces groupes extrémistes (proches de l’extrême droite par ailleurs) aient pourtant une bouche, mais manifester reste un de leurs droits comme le veut la liberté d’expression. Or, interdire à des personnes de voir et créer du théâtre n’a rien à voir avec ce droit : il s’agit d’une tentative de censure ! De quel droit devraient-ils choisir quelle œuvre d’art doit être ou n’être pas ? Si le théâtre est accessible à tous, ce n’est pas un lieu public. Ce n’est pas non plus un lieu de manifestation politique. De telles réactions sont absolument inouïes, d’autant que le blasphème n’est évidemment pas l’objectif de Castellucci.
Communiqué d’Emmanuel Demarcy-Mota, Directeur du Théâtre de la Ville :
“ Les premières représentations du spectacle de Romeo Castellucci « Sur le concept du visage du fils de Dieu » au Théâtre de la Ville, ont été gravement perturbées par des groupes organisés au nom de la religion chrétienne. Leur demande d’interdiction du spectacle par voie de justice ayant été déboutée par une décision du Tribunal de Grande Instance en date du 18 octobre 2011.
Nous considérons qu’il ne s’agit pas de la simple perturbation d’un spectacle, mais d’actes violents visant à interdire l’accès du public au Théâtre de la Ville en s’en prenant aux personnes et aux biens :
Jeudi 20 octobre
– Tentative violente d’intrusion par des militants organisés, avec usage de gaz lacrymogènes.
– Enchaînement des portes de la salle dans le but d’en empêcher l’accès.
– Utilisation de boules puantes
– Distribution de tracts dénonçant le prétendu caractère « christianophobe » du spectacle, reposant sur des allégations entièrement mensongères.
– Envahissement de la scène du théâtre par 9 activistes interrompant la représentation.
Devant les nombreuses menaces collectives ou personnelles que nous avons reçues depuis plusieurs semaines, faisant suite à l’odieuse campagne menée par Civitas, j’ai demandé à la Mairie de Paris de prendre des mesures susceptibles de garantir la sécurité du public, du personnel et des artistes tout en nous permettant d’assurer le maintien des représentations.
La présence des forces de police a permis de neutraliser les militants les plus violents. Lors de l’envahissement de la scène, devant l’impossibilité d’obtenir un départ dans le calme et sans violence et afin de prévenir un affrontement entre les manifestants et le public, j’ai demandé l’intervention de forces de l’ordre. Après l’évacuation des perturbateurs, la représentation a pu reprendre et se poursuivre jusqu’à son terme.
Vendredi 21 octobre
– Jet d’huile de vidange et d’œufs sur le public lors de l’entrée pour la représentation
– Distribution de tracts
Dans l’attente de l’intervention de la police pour déloger les agresseurs qui étaient juchés sur une corniche située au-dessus des portes d’entrée et interdisant l’accès au hall du théâtre, nous avons aménagé l’entrée du public par une issue de secours. Mais cela a pris énormément de temps et entraîné un retard de plus d’une heure de la représentation qui s’est finalement déroulée sans troubles.
Samedi 22 octobre
Démarrage de la représentation avec 30′ de retard.
Nouvel envahissement de la scène du théâtre par un groupuscule interrompant la représentation.
Evacuation dans le calme. Reprise du spectacle.
Avant d’arriver en France, le spectacle a été présenté en Allemagne, en Belgique, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Russie, aux Pays-Bas, en Grèce, en Suisse, en Italie et en Pologne. Il n’a pas suscité la moindre réaction analogue à celles que nous déplorons aujourd’hui.
Ces agissements à caractère fascisant sont absolument inadmissibles.
Mes collaborateurs et moi-même, en plein accord avec Romeo Castellucci et son équipe, ainsi que l’ensemble du personnel du théâtre, ne céderons sous aucun prétexte à ces menaces et à cette intimidation. Nous entendons défendre la liberté d’expression, les droits du théâtre, et la mission qui est la nôtre face à cette terreur. Nous entendons exercer pleinement nos droits et réclamer aux fauteurs de trouble réparation des dommages et préjudices importants qu’ils nous occasionnent.
Je tiens également à saluer l’attitude du public lors des deux premières représentations. Face à l’agression verbale, puis physique dont ils étaient l’objet, ils ont réagi avec calme et ont observé avec patience les mesures de contrôle que nous avons été contraints de mettre en place.
Les représentations du spectacle se poursuivront jusqu’au 30 octobre au Théâtre de la Ville. Je souhaite que le public continue à venir découvrir le travail d’un grand artiste que nous sommes fiers de soutenir et d’accompagner.
Emmanuel Demarcy-Mota
Directeur du Théâtre de la Ville ”