À l'affiche, Critiques // Don Quichotte, d’après Miguel de Cervantès, Mise en scène de Jérémie Le Louë, au théâtre 13

Don Quichotte, d’après Miguel de Cervantès, Mise en scène de Jérémie Le Louë, au théâtre 13

Sep 20, 2016 | Commentaires fermés sur Don Quichotte, d’après Miguel de Cervantès, Mise en scène de Jérémie Le Louë, au théâtre 13

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Jean-Louis Fernandez

Drôlement culotté et sacrément intelligent ! Don Quichotte par Jérémie Le Louët c’est une formidable machine théâtrale. Sans trahir Cervantes mais en prenant avec malignité des chemins de traverses originaux et non dénués d’à-propos. Devant l’énormité de la tâche, adapter ce roman fleuve, ce monstre littéraire, pour la scène, le metteur en scène élague, tranche, coupe, improvise, ajoute, ose. Ose. Ce qui importe c’est le rapport constant entre la réalité et la fiction. La friction entre les deux. Les étincelles qui peuvent en jaillir. Audacieux et bravache, voire crâne, pari (réussi) de trahir Cervantes, en apparence du moins, pour mieux en rendre le suc. A savoir l’imaginaire, le frottement entre réalité et fiction, clé de ce roman foisonnant et baroque. Une mise en abyme, un jeu littéraire formidable et pour Jérémie Le Louët une métaphore théâtrale ad hoc. Tout est faux sur le plateau et pourtant tout est vrai. C’est une troupe au travail, entre carton pate et vidéo, sur ce plateau métamorphosé en studio de cinéma. Réalité d’une compagnie, réalité d’une représentation qui font d’un roman, une fiction, une expérimentation audacieuse sur l’illusion, un chantier ouvert. Prendre des vessies pour des lanternes n’est pas ici une simple expression. C’est un art. L’art du théâtre. Entre grandeur et misérabilisme. C’est au même titre que Don Quichotte chargeant les moulins qu’il voit pour des géants, transformer la réalité et signer aussi sa folie et son échec. C’est d’ailleurs une des plus belles scènes, dans son inachèvement volontaire et brutal – il fallait oser au regard ce chapitre emblématique – acmé d’une adaptation impossible en vérité, qui signe l’ambition de ce projet portant en lui et sa réussite et son revers… Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette mise en scène toujours en équilibre par ses mises en abymes constantes, ses regards en perspectives changeantes, ses trompes l’œil audacieux, ces grands écarts de jeux. Avec la mort de Don Quichotte Jérémie Le Loët à dessein brouille les cartes, les redistribue, joue le jeu pour mieux s’en jouer, le détourner. Lui même, metteur en scène et comédien glissant imperceptiblement dans ce rêve fou d’incarner et de mettre en scène Don Quichotte finit, ou semble finir, par devenir celui qu’il incarne. Et condamner les romans de chevalerie c’est condamner aussi le théâtre qui mène le metteur en scène à sa perte sitôt les yeux décillés. Retour à la réalité. Mise en abyme toujours. Don Quichotte métaphore de tout metteur en scène, il fallait y penser.

Au demeurant c’est fait avec beaucoup d’humour et de distance heureuse. On rit beaucoup. C’est du vrai théâtre populaire, ce n’est pas un mot grossier, ou l’envers du décors mis à nu, dénoncé, intègre également le public, loin d’être dupe, jouant lui aussi et formidablement son rôle. Jusqu’à se métamorphoser docilement en troupeau de mouton. (Non, là, pas de métaphore). La première scène, que nous ne dévoilerons pas ici, drôle et inattendue, passée la surprise où mon voisin inquiet d’emblée demandait à sa femme si cela était réellement commencé, est une mise en bouche hilarante qui avec fausse immodestie assumée donne la clef de ce Don Quichotte, de cette mise en scène qui s’interroge sur elle-même sans oublier jamais la dimension fortement théâtrale de son sujet. Une première scène qui avec beaucoup d’habileté et de rouerie nous fait basculer à la fois dans le roman et dans son adaptation. Mais nous sommes au théâtre, toujours et formidablement. Et puis il y a cette façade du château de Grignan partie intégrante de cette scénographie qui participe de ce jeu entre la réalité et la fiction puisque dit-on, la scène deux – complètement incongrue et drolatique – nous l’apprend, Cervantès y résida, écrivant là, entre autre, le chapitre des moulins. Jérémie Le Louë en tire une partie lui permettant de jouer à la fois sur l’espace et sur la proximité, gros plans sur les acteurs ou paysages mouvants projetés sur les murs sans en abuser, Jérémie Le Louët évite l’écrasement d’un tel monument. Ce Don Quichotte est une belle réussite dans sa théâtralité affichée, ses contradictions affirmées et sa fragilité assumée qui doit aussi aux acteurs et à leur engagement, à leur folie. C’est une véritable troupe unie autour de ce projet défendu avec talent et un goût bravache et certain pour le jeu et la création…

Don Quichotte de Cervantes
Adaptation Jérémie Le Louët

Avec Julien Buchy , Anthony Courret , Jonathan Frajenberg ,  Jérémie Le Louët
David Maison , Dominique Massat
avec la participation des régisseurs
Thomas Chrétien, Simon Denis, Xavier Hulot et Tom Ménigault
Adaptation Jérémie Le Louët,
Collaboration artistique Noémie Guedj
Scénographie Blandine Vieillot
Construction Guéwen Maigner
Costumes Barbara Gassier
Couture Lydie Lalaux
Vidéo Thomas Chrétien, Simon Denis et Jérémie Le Louët
Lumière Thomas Chrétien
Son Simon Denis

Théâtre 13 / Seine
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
jusqu’au 9 octobre  du mardi au samedi  20h, le dimanche à 16h
reservations 01 45 88 62 22

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