Paroles d'Auteurs // « Même pas vrai ! » de Sylvie et Sophie Chastain

« Même pas vrai ! » de Sylvie et Sophie Chastain

Mar 11, 2010 | Un commentaire sur « Même pas vrai ! » de Sylvie et Sophie Chastain

Lecture de Bruno Deslot

Tirons leur le portrait !

Mlle B., ébouriffée, dépenaillée et dépitée avoue, sans détours à Mme D. qu’elle souhaite rendre son tablier car la malchance du petit Eugène est devenue ingérable. Le pauvre enchaîne les infortunes : incendies, noyade, écharpe guillotine…C’en est trop ! Mais lorsqu’il est privé de ses mains, figé dans une posture qui lui permet d’échapper à sa trouble destinée, on découvre un homme mûr dans la pleine maîtrise de son art de la peinture. Delacroix, immortalisé par Nadar, tout comme Sarah Bernarhdt l’a été par le photographe du XIXe siècle qui proposait bien plus que des portraits, mais de véritables histoires mises en images. Et même si Nerval pensait que la photo était un mensonge car « l’objectif de l’appareil fixe un corps mais ne montre pas le vrai », Nadar restitue la sensibilité du poète dans un portrait touchant de vérité qui n’échappe pas aux élèves de cette classe à laquelle on propose d’en faire le commentaire. « L’air angoissé, torturé, usé, préoccupé… », Nerval est un homme « un peu en noir et blanc ». Noir, car il s’appelait Gérard Labrunie de son vrai nom, et blanc car il fréquentait la lumière jusqu’à l’éblouissement d’où jaillirent Les Filles du feu. Des femmes, il en connut de nombreuses, mais la comédienne Jenny Colon fut son seul amour. Un amour sincère mais compliqué, non avoué tout comme celui qui ébranle le maître et l’élève, celui qui a préféré rester près de sa Rose plutôt que de retrouver celle qui demandait à son frère « si le but de la vie c’est de vivre ? ». L’annonce faite à Marie en 1943, dans une lettre qui aurait pu être signée de la main de Paul Claudel, affirme que le regard de Rodin, immortalisé sur une photo prise par Nadar, en dit long à propos de cette passion. L’amour, toujours l’amour, source d’inspiration pour Baudelaire réveillé au petit matin par Nadar qui lui apprend la mort du fils d’un de ses amis avant de lui remettre son portrait. En panne d’inspiration, le poète évoque ses sentiments pour la Duval au photographe, de qui elle n’est pas inconnue. La prose du poète jaillit par fulgurance dès lors qu’il constate que la jeune femme ne l’aura pas quitté des yeux, malgré son aventure au cliché ! Nadar connaît bien les comédiennes, cette gloire consacrée du théâtre français, cette tragédienne militant contre la peine de mort, soignant les Poilus avec sa jambe unique et répondant aux attaques antisémites dont elle fait l’objet, il en saisit toute la complexité dans un portrait que Victor Hugo évoque à sa fille Léopoldine, trop tôt partie ! Sur la photo de Nadar, Hugo sait que « Sarah guette le personnage » « Le personnage de toute sa carrière […] sa mère ».

Un jeu de pistes

Les sœurs Chastain rendent hommage au photographe Nadar dans la joie et la bonne humeur. Douées d’un esprit espiègle et rieur, elles présentent le personnage sous la forme de 14 nouvelles à dire « à chutes et à parachutes ». Car il s’agit bien d’une suite de chutes qui drainent une cascade de mots filant la métaphore, aiguisant l’oxymore, et jouant la mise en abîme avec une précision et une élégance toute féminine. On découvre chaque nouvelle comme un tableau de Velasquez, Les ménines, pour ne pas le nommer et les photographies de Nadar constituent le miroir de ces vies d’artistes que les sœurs Chastain utilisent, de manière judicieuse, pour mettre en lumière des évènements inattendus. Nekontiantaouaouaron ! ou la rencontre magique entre Maupassant et cette grenouille qui écrit sa destinée comme un conte. La magie des mots opère lorsqu’il s’agit d’évoquer Le mystère du faux pli. Trouver la pose devant l’éminent Nadar n’est pas chose aisée pour Réjane à qui le photographe demande de penser au rôle qu’elle aime le plus. Mais il n’existe pas encore ! Alors, prenant une longue paire de gants, Nadar lui demande de les enserrer à même sa robe, au bas de son ventre. Un faux pli ? Dans sa robe, certainement ! Mais, quel mystère ?

Les sœurs Chastain se chargent de révéler, de manière très ludique, toutes ces énigmes qui aiguisent la curiosité, invitent à la réflexion et encouragent la lecture de ces nouvelles avec une certaine théâtralité. Car le jeu en vaut la chandelle ! Une lecture rapide de Même pas vrai ! risque de laisser le lecteur à côté d’un trésor qui nécessite de ne surtout pas laisser son âme d’enfant au vestiaire. Les rencontres sont aussi nombreuses qu’imprévisibles, et l’impatience nous gagne dès lors que l’on débute une nouvelle, car c’est l’arbre qui cache la forêt ! Et quelle forêt ! Luxuriance des mots, vocabulaire choisi, champ lexical approprié à l’opacité qui caractérise le XIXe siècle pour toujours mieux le mettre en lumière avec une intelligence et une finesse remarquables.

L’année de la commémoration du centenaire de la mort de Nadar débute avec le sourire et se fait tirer le portrait par deux plumes averties, non dénuées d’une forme de dramaturgie que leur ouvrage porte en germe (du reste, l’adaptation théâtrale peut être envoyée, sur demande à l’éditeur, pour une mise en scène). 14 nouvelles à lire, à dire, à raconter, à explorer, à s’approprier pour en savoir toujours plus à propos de toutes ces sensibilités que le photographe a immortalisées.

Même pas vrai !
De Sylvie et Sophie Chastain

Editions Les Mandarines
Kergouarec, 56400 Brec’h

http://lesmandarines.free.fr

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