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Histoire(s) décoloniale(s) #Emma, de Betty Tchomanga, au Théâtre de la Bastille Hors-les-murs, Paris

Déc 10, 2024 | Commentaires fermés sur Histoire(s) décoloniale(s) #Emma, de Betty Tchomanga, au Théâtre de la Bastille Hors-les-murs, Paris

 

© Bruno Blouch

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Devant la porte, nous attendons la rentrée des classes. Nous sommes dans la cour du lycée Voltaire, près du Père Lachaise à Paris. Dans le crépuscule de cette journée d’école pointe le rythme lancinant et lointain d’une samba remixée, réduite au moteur de ses percussions, se rapprochant sans que l’on ne distingue vraiment sa source avant d’apercevoir une silhouette vêtue de noir, sweat à capuche, pantalon jogging, baskets rouges, et sac à dos d’où pulse effectivement un sound machine. Entrée en matière, frottement des présences, #Emma déboule à pas syncopés dans le jeu de quilles d’une foule. Visage contre visage, on se dévisage. Figure de l’adolescence, joyeuse et rebelle, animale, elle nous apprivoise. Force est de constater que cette rencontre pourrait aussi bien revisiter sur un mode ludique d’autres rencontres historiques : qui découvre qui, d’ailleurs ? est-ce le public qui découvre la performeuse ou l’inverse ? et en 1492 ? Qui sont les sauvages ? Tout est affaire de perspective et de biais.

#Emma est le premier opus d’une série comprenant actuellement quatre portraits, intitulée Histoire(s) décoloniale(s). Concept et mises en scène de Betty Tchomanga, cet ensemble répond à une commande de la scène nationale de Brest – Le Quartz, et s’est originellement déployé dans un contexte scolaire, public et lieu. C’est donc à une mue que l’on assiste (initiée déjà via les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis) et que l’on participe : avec ce changement de forum, passant de l’adolescence à un âge perclus d’opinions, la question décoloniale émerge probablement plus sensible et politique. #Emma est porté par Emma Tricard, la « sœur-cousine blanche » de Betty Tchomanga, elle-même franco-camerounaise. Si les premiers mots de #Mulunesh (autre portrait de la série) égrenaient une liste de « je suis », ceux d’Emma seront des « je cherche ». De toute évidence et par la mise en jeu collective qu’elle institue, la référence est bien celle, télévisuelle, de Questions pour un champion, imbriquant ainsi le portrait dans notre société du spectacle, éminemment marchande. Interrogeant le regard européocentré, non pas sur ce qu’il croit voir et connaître, mais sur ses angles morts, ses préjugés naturalisés, ses oublis avalisés par la répétition d’une Histoire officielle, #Emma est proprement salutaire. On pense par exemple à l’histoire de l’indépendance d’Haïti et de cette dette réclamée éhontément par la France jusqu’au milieu du XXème siècle (lire également Thomas Piketty à ce sujet). Malgré certaines apparences, #Emma ne nous fait pas la leçon, met simplement en scène la relation de maître à élève. Y participe pleinement la spectaculaire performance d’Emma Tricard magnifiant cette technique de corps, la mâtinant de burlesque, où les mouvements et gestes sont saccadés, par d’infimes suspensions, décuplant l’expressivité du corps et du masque du visage. Arrêts sur image comme une manière de défaire le fait, de l’exorbiter. Inouï ce moment où, après avoir enlevé son sweat et son pantalon noirs pour révéler une combinaison au motif de cartes du monde, Emma Tricard, aérienne et magistrale, se propulse sur le bureau de classe, s’envole d’un saut, ne manquant d’évoquer cette autre figure du cinéma jouant avec le monde sous forme d’énorme ballon (Le dictateur de Chaplin). Enfin, #Emma organisera ce geste collectif et cathartique, profondément émouvant, consistant à déployer ensemble un grand drap comme une immense mappemonde, nous invitera à porter le monde. Non pas une réparation, mais le signe d’un avenir avant-coureur comme une salutation magique et ludique : lui souhaiter qu’il se porte enfin bien !

 

© Bruno Blouch

 

 

Histoire(s) décoloniale(s) #Emma, conception de Betty Tchomanga

Collaboration artistique et interprétation : Emma Tricard

Création sonore : Stéphane Monteiro

Régie son : Clément Crubilé et Yann Penaud (en alternance)

Costumes : Marino Marchant en collaboration avec Betty Tchomanga

Scénographie et accessoires : Betty Tchomanga en collaboration avec Vincent Blouch

 

Durée : 40 minutes

Le 4 décembre à 19h

Le 5 décembre à 10h30 et 15h

 

Lycée Voltaire

101, avenue de la République

75011 Paris

 

Programmé par le Théâtre de la Bastille (hors les murs)

76, rue de la Roquette

75011 Paris Métro Bastille

Tél : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

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