Paroles d'Auteurs // « Hébron » de Tamir Greenberg

« Hébron » de Tamir Greenberg

Fév 07, 2010 | Aucun commentaire sur « Hébron » de Tamir Greenberg

Lecture de Plume

Hébron, ville qui signifie « lieu de l’alliance », se trouve sous occupation israélienne. Boaz, le gouverneur israélien et Khader, l’ancien maire palestinien de la ville, malgré leurs rivalités savaient s’apprécier individuellement. Mais Halil, fils cadet de l’ancien maire, souhaite que son père retrouve sa dignité. Visant le gouverneur, il tue par erreur Yotam, le petit de trois ans de ce dernier. Les représailles israéliennes seront terribles. Non seulement le bébé de Halil sera supprimé de sang froid, mais Mahadi, handicapé mental, fils aîné de Khader, sera torturé. Samar, femme du maire mourra… Leurs oliviers seront abattus, puis leur maison brûlée car tel est le sort que les occupants « réservent aux terroristes ». La disproportion de réponses des deux camps est flagrante (Ranya, palestinienne, femme de Halil s’écrie : « -Pour un mort de leur côté – nous en avons cinq ! »). Cependant, les mères opposées, horriblement et aussi injustement privées de leurs jeunes enfants, réagiront de façon identique. Elles refusent d’enterrer leur mort. Les deux communautés s’engouffrent alors inéluctablement dans une spirale équivalente d’horreur et de violence. Et dans cet enfer, où Dieu reste sans voix, ce sont les plus jeunes qui renoueront avec la vie.

L’accroche chœur

Dès que nous lisons les didascalies des personnages (« Terre nourricière », « Jour-de-douceur-printanière », « Jour-de-tempête-glaciale », « Jeune olivier »…), nous remarquons la place de choix que Tamir Greenberg accorde à la Nature, symbolisant de façon originale le chœur antique. Cette prosopopée ouvre le prologue, et resurgit ponctuellement, comme véritables moments de grâce ou de tragédie, ramenant tout et constamment, dans cette vie parallèle, aux atouts potentiels, aux défaillances fatales ou aux préoccupations des hommes. La végétation suspend l’horreur, la confond ou la subit. Elle nourrit les hommes mais s’abreuve aussi malgré elle de leur sang et les enfouit en elle à leur mort. Gare à ceux qui refusent cet enfouissement de leurs êtres chers : « TERRE NOURRICIERE.-…Si un mort n’est pas enterré à son heure- il ne trouvera jamais plus, en moi, jamais plus, de repos ! ». La Nature envoie des émissaires. C’est tantôt une hirondelle, tantôt un âne, tantôt un rat. Et ceux-ci surgissent en riposte à certaines réactions. L’hirondelle, porteuse de joie, apparaît enfin mais…  au carrefour d’une antiphrase et d’un meurtre « Elle (Samar) s’écroule morte. Silence incrédule. JEUNE OLIVIER.-L’hirondelle est arrivée ». L’âne, « pauvre mulet » est une simple bête qui « trime comme un âne » mais il devient, par le procédé de l’ironie, une menace déguisée pour le soldat en garde du barrage : « (il) fait hi-han en arabe comme tous les ânes d’ici ». L’âne donc, qui dans un premier temps s’éreinte à tirer le stock de pierres de son maître entrepreneur, deviendra tour à tour un « cheval de Troie », et à nouveau, le guide d’une simple carriole en apparence mais un réel vecteur d’espérance pour tous. Quant au rat, nous ne dévoilerons rien, tant sa venue est surprenante. Signalons seulement dans ce moment très fort, la finesse de l’auteur pour produire sa prodigieuse apparition, qui renforce le drame.

Cœurs de pierre ?

La figure de style la plus usitée dans cette pièce où « la nuit se drape de nuit » est l’hyperbole, au service de ce texte de l’excès, de l’enfer illimité « …ici c’est l’enfer mais de l’autre côté, c’est aussi l’enfer », de la pétrification des sentiments « Le sang d’un assassin devait être transparent, sans poids et sans odeur, afin de nous éviter une pitié injustifiée », du meurtre héréditaire « Tu es l’assassin de mon fils, et le fils de l’assassin de ma mère. Le meurtre chez vous est héréditaire ». Les cœurs semblent de pierre dans cette guerre où la pierre elle-même est symbole d’actes déchirants. Ahmed, l’entrepreneur sans scrupules, recycle et revend les pierres des maisons détruites, au fur et à mesure de l’anéantissement des deux camps. Pourtant, l’auteur fait jaillir le cœur sous les carapaces, au moyen de comparaisons. Eliav, meurtrier du bébé palestinien, regrettant son acte, dit à Halil, meurtrier du bébé israélien, qui lui reproche l’assassinat de son petit « Ses (ceux du petit d’ Halil) traits se mélangent avec ceux de mon frère mort ». A son tour, Halil, jouant des métaphores, fera preuve de compassion retenue « j’ai senti les battements désordonnés de ton cœur dans ma main…Ta respiration affolée a caressé mes joues… j’ai bien failli te laisser à nouveau respirer ».

Contre mauvaise fortune…

Tous se réclament de la légitime offense. Les morts jonchent donc le sol d’ Hébron sans plus aucune distinction. Tamir Greenberg impose alors d’humbles figures pour tenter de sortir de l’impasse. Le moribond est un soldat inconnu « On ne sait pas à quel camp il appartient », nous précise la didascalie. Et la réplique du combattant à l’agonie n’est pas moins universelle « LE BLESSE.-Maman… ». Le simple d’esprit sauve la fillette du camp opposé, qui allait être assassinée, en s’interposant courageusement. Le garde frontière partage ses maigres conserves avec un « enfant à louer », orphelin, du parti ennemi. Et les enfants des deux communautés, surmontant les peurs, les discriminations, la vengeance et les cadavres méconnaissables, montent dans la carriole vide du petit âne délaissé, s’unissant avec beaucoup d’innocence, de volonté, d’espoir dans la musique, le jeu et le retour à la vitalité. Le dernier mot de l’ultime réplique est laissé au soldat israélien Shmouéli, poignardé à mort par Ahmed le palestinien. Ce dernier mot est un souhait d’ « amour ».

Un théâtre réaliste, poétique, très actuel, qui parie sur le sursaut de l’enfance, avance le dessein d’une survie commune et met, malgré l’horreur des massacres, la sensibilité humaine en exergue.

Hébron
De Tamir Greenberg
Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz
[Pièce créée conjointement par le théâtre national Habima et le théâtre de Tel-Aviv dans une mise en scène d’Odded Kotler]

Éditions THEATRALES
20 rue Voltaire, 93100 Montreuil

www.editionstheatrales.fr

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