À l'affiche, Critiques // Hamlet – Je suis vivant et vous êtes morts, conception et mise en scène de Wilfried Wendling, M.A.C de Créteil

Hamlet – Je suis vivant et vous êtes morts, conception et mise en scène de Wilfried Wendling, M.A.C de Créteil

Déc 10, 2017 | Commentaires fermés sur Hamlet – Je suis vivant et vous êtes morts, conception et mise en scène de Wilfried Wendling, M.A.C de Créteil

© Christophe Raynaud de Lage

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Serge Merlin fait un magistral et original pas de côté. Répondant au projet de Wilfried Wendling, une adaptation sonore, opératique, et visuelle d’Hamlet, sur musique originale de Pierre Henry, le tout réalisé par la Muse en Circuit*. Serge Merlin, acteur intransigeant et fantasque, nous entraîne dans un trip véritablement halluciné. Ici nous sommes hors de tout, hors du temps, dans un espace indéfini, espace mental sûrement, dans le crâne de Serge Merlin sans doute. Immergé dans un espace sonore et visuel cauchemardesque, où domine l’obscurité, qui vous engloutit, vous noie, vous étouffe, sans repère autre que ce vieil acteur vacillant, errant en aveugle, qui lui-même ne cesse de se dissoudre, disparaître, tel un hologramme, et ressurgir de nulle part, démultiplié par les images qui envahissent tout l’espace du théâtre devenu l’horizon mental d’un spectre vivant. D’Hamlet il ne reste que quelques bribes, quelques scènes emblématiques chaotiques et monologues en lambeaux joués et rabâchés magnifiquement, ô combien, par Serge Merlin de sa voix unique, sépulcrale et qui semble hanter l’acteur jusqu’à la folie, le mener au bord d’un gouffre. Cette voix parfois dissociée de l’acteur, désincarnée, lui dématérialisé soudain et dont il ne reste plus traces autre que cette voix sortie du néant, de l’oubli, ultime héritage, articulée de façon si singulière et reconnaissable. Un comédien hagard, fantomal, portant en lui la mémoire du théâtre, l’imaginaire théâtral et intergénérationnel autour d’un personnage shakespearien emblématique dont il serait le dernier avatar. Ils sont presque tous là, fugaces apparitions, ceux qui l’interprétèrent, vivants ou morts – c’est du pareil au même – archives mémorielles écrasantes, figures tutélaires, versions multiples et démultipliés et que Serge Merlin rejoint à son tour. Ce vieil homme, ce vieil Hamlet, ce vieil acteur n’est plus de ce monde, il est hors du temps, hors de tout lieu, de toute réalité, désormais dans cet espace propre au théâtre, l’espace de la mémoire au risque de l’oubli. C’est toute la force de cette création de nous y plonger, de nous y faire chuter à notre tour, abolir tous repères. Mémoire interrogée désespérément tel Krapp dans La dernière bande de Samuel Beckett et dont ici il est fait, malicieux clin d’œil pour qui l’interpréta de façon marquante, référence. L’acteur et le personnage ne font plus qu’un, il n’y a plus d’incarnation mais possession. Ce n’est plus l’acteur qui possède le rôle, mais le personnage l’acteur. Hamlet est le spectre qui hante Serge Merlin. Ou Serge Merlin hante-t-il le spectre d’Hamlet ? Dans cet espace affranchi de toutes perspectives et repères la raison bascule et bouscule la mémoire. La musique de Pierre Henry, composée pour cette occasion, est un opéra sauvage et oppressant pour une voix parlée, sombre et éclatant cénotaphe pour un personnage, Hamlet, et tombeau théâtral pour un acteur hors norme. Elle n’illustre pas, elle signe la folie d’un homme, elle en est aussi l’expression sensible. Elle est toutes les voix et le chaos infernal qui entraîne ce comédien perdu dans son rêve shakespearien vers l’abîme. Milosh Luczynski signe une scénographie plastique et visuelle hallucinante en totale adéquation avec la partition et la mise en scène. Entre télésurveillance paranoïaque totalitaire et onirisme démentiel, délires hallucinatoires et rêves abruptes. Totalement immersif, au même titre que le son, et qui enclot à son tour sans échappatoire le spectateur et l’entraîne dans cette folie. La réussite de cette mise en scène et proposition de Wilfried Wendling tient sans nul doute à cet équilibre, cette osmose parfaite entre ces différentes interventions qui en font véritablement une œuvre cohérente, tant sur le fond que la forme, ici indissociés. Serge Merlin, qui n’avait jusque-là jamais joué le rôle d’Hamlet, réussit la gageure de l’interpréter avec une démesure et une liberté que lui permet son âge, affranchi de toute réserve, mais avec le poids de tous les personnages qui jusqu’ici l’ont traversé. Plus qu’Hamlet, ou bien au-delà, c’est peut-être ça qui se joue ici, mis en scène, le poids dense d’une vie au service exigeant d’un art qui ne vous lâche pas, au risque de sombrer, et la transmission de la mémoire vive et fragile du théâtre.

*la Muse en Circuit-centre national de création musicale

 

Hamlet – Je suis vivant vous êtes morts conception et mise en scène Wilfried Wendling

D’après William Shakespeare, traduction de François-Victor Hugo, adaptation de Wilfried Wendling et Serge Merlin
Musiques  Pierre Henry et Wilfired Wendling, en collaboration avec Valérie Philippin et Julien Desprez
Scénographie plastique et vidéo  Milosh Luczynski
Collaboration artistique  Régis Bocquet

Avec Serge Merlin

Le 13 et 14 décembre 2017 à 20h

Maison des Arts et de la Culture de Créteil
Place Salvador Allende
94 000 Créteil

Dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques-Paris/Île de France produite par Arcadi

Réservations 01 45 13 19 19

mac@maccreteil.com

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