Critiques // Critique • « Lucrèce Borgia » par Jean Louis Benoit au Théâtre de la Commune

Critique • « Lucrèce Borgia » par Jean Louis Benoit au Théâtre de la Commune

Mar 08, 2014 | Aucun commentaire sur Critique • « Lucrèce Borgia » par Jean Louis Benoit au Théâtre de la Commune

critique Denis Sanglard

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Ercole de’ Roberti, Maddalena piangente, 1478-86

Victor Hugo a cette caractéristique originale de manger tout cru les metteurs en scènes et les comédiens qui ne luttent pas contre lui. Son œuvre théâtrale est monstrueuse. Ses personnages sont monstrueux. C’est une œuvre « grotesque ». Lucrèce Borgia n’échappe pas à la règle. Pourtant, au regard d’autres œuvres, c’est une pièce mineure même si Totor la tenait en haute estime. Certes elle peut paraître au regard de sa forme bien plus radicale. Trois actes relativement courts qui mènent à la catastrophe. Drame sombre aux aspects tragiques, au comique aujourd’hui involontaire. Point de vers mais de la prose. Et un sujet à faire pleurer Margot dans les chaumières. C’est le pendant du roi s’amuse. Sans aucun doute. Mais la dimension politique, la charge violente qui vit s’ériger la censure pour « le Roi s’amuse » disparaît ici au profit de la figure seule de Lucrèce Borgia. Mater Dolorosa, sœur incestueuse, meurtrière et victime, figure du monstre absolu et paradoxal. Les ingrédients sont ainsi réunis pour un drame des plus noir. « (…) La maternité purifiant la difformité morale, voilà Lucrèce Borgia. » résumait son auteur.

Oui mais voilà encore faut-il une mise en scène qui puisse dépasser son sujet et ne pas se laisser étouffer par lui. Il ne suffit pas d’une boite noire et de costumes sombres, d’une robe pourpre pour signifier que nous sommes effectivement dans la noirceur. On a connu Jean-Louis Benoit bien plus inspiré. Sa mise en scène est platement linéaire, scolaire même ai-je entendu, et se heurte rapidement au grotesque involontaire des situations qu’il n’arrive pas à dépasser. L’œuvre porte le sceau de son siècle. Et pour tout dire l’ennui gagne d’emblée. Les comédiens manquent d’envergure, d’ampleur dramatique. Le personnage de Lucrèce Borgia même, son ambivalence qui noue le drame, demande ça. Demande d’amener sur le plateau une certaine tension, une impalpable inquiétude. Une présence forte, prégnante. Pour tout dire un monstre. Monstre sacré ne craignant guère le ridicule, le dépassant même de sa présence. Surtout avec un texte aussi redoutable qui peut très vite sombrer dans le guignol et particulièrement au dernier acte. Malheureusement, Nathalie Richard semble porter des habits bien trop grands pour elle. Avalée par ce personnage dévorant. Il n’y a que face à Don Alphonse d’Este (Fabien Orcier), ou Gubetta (Thierry Bosc) et portée par eux parfaitement idoines, qu’elle se révèle à la hauteur du personnage. Instant bien trop fugace. Il manque dans cette distribution un souffle dramatique pour ne pas dire tragique. Certes, Lucrèce Borgia n’est pas une vaste fresque, un drame épique mais le sujet demande quand même une ample respiration. Ajoutez à cela donc une mise en scène peu inspirée… Ce qui apparaît alors c’est toute la faiblesse, la fragilité du texte de Victor Hugo au regard d’aujourd’hui et paradoxalement son exigence dramaturgique.

Allez, pour conclure, je citerai un spectateur enthousiaste, j’en ai trouvé un,  qui soudain inspiré s’est écrié au sortir du théâtre: « Lucrèce Borgia , c’est Dark Vador ! » Dois-je avouer que la vision soudaine d’une confrontation entre Gennaro et Lucrèce Borgia au sabre laser m’a soudain enthousiasmé ? Enfin de l’action…

Lucrèce Borgia
De Victor Hugo
Mise en scène: Jean-Louis Benoit
Avec Anthony: Audoux, Thierry Bosc, Ninon Brétécher, Laurent Delvert, Alexandre Jazédé, Martin Loizillon, Jonathan Moussalli, Fabien Orcier, Nathalie Richard, Maxime Taffanel
Assistant à la mise en scène: Laurent Delvert
Scénographie: Jean Haas
Lumières: David Debrinay
Costumes:  Marie Sartoux
Son: Madame Miniature
Régie Générale:  Laurent Berger

Jusqu’au  9 Mars
Mercredi, jeudi, vendredi à 20h30
Samedi à 18h
Dimanche à 16h

Théâtre de la Commune
2 Rue Édouard Poisson, 93300 Aubervilliers
Métro : Aubervilliers-Pantin-Quatre Chemins
Réservations 01 48 33 16 16
Theatredelacommune.com

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