Critique de Bruno Deslot –

Les ondes brouillées de l’histoire

Dernier volet du triptyque Espoir et décadence, Brouillages clôt un travail entamé il y a sept ans et pour lequel l’auteur, Armel Veilhan, met en lumière la confusion des frontières idéologiques à une époque où les glissements de terrain pouvaient et peuvent encore être nombreux.

Lou, jeune étudiante en histoire s’interroge sur son passé et tente de comprendre l’histoire des siens à travers le témoignage de sa grand-mère Lise, célèbre comédienne. « Comprendre le passé à la lumière du présent », une démarche d’historien faisant résonner les écrits de Marc Bloch et permettant à l’auteur de procéder à un feed back entre les ondes brouillées de l’histoire contemporaine. En 1938, alors que les menaces fascistes sont prépondérantes en Europe et en France, Adrien semble y succomber ! Son épouse et comédienne, Lise, fidèle à ses engagements politiques, fait obstacle aux dérives du jeune homme qui ne tardera pas à basculer du côté de l’ennemi. Il perd son fils Raphaël, sur le front de la guerre civile espagnole, puis anéanti, quitte Lise. En 1977, soit 39 ans plus tard, Lou questionne sa grand-mère espérant découvrir, ce que les documents d’archives ne lui diront jamais, un secret de famille !

Les coulisses de l’histoire

La loge de Lise, mais aussi la scène du théâtre sur laquelle évoluent les personnages, permet à l’auteur de mettre en représentation une histoire passée, vécue, et transmise avec une certaine nostalgie ! La pièce d’Armel Veilhan se compose comme les pages d’un ouvrage d’histoire que Malet et Isaac auraient pu préfacer. Oscillant entre narration et dialogue, le style échappe parfois à une possible incarnation des personnages, qui s’animent dès lors comme les témoins d’une histoire passée davantage que comme les membres d’une famille dont on tente de comprendre les affections. Des répliques dialoguées, proche d’un discours théâtral crédible, alternent avec des échappées didactiques rappelant le cours de l’histoire dont il est question, donnant à l’ensemble de la composition un propos prévisible et parfois trop évident. 1938 / 1977, les couloirs de l’histoire sont brouillés par le rappel systématique d’un contexte trop explicite et l’on en perd l’histoire intime de cette famille déchirée par les évènements qu’elles traversent.

Chronos, sur le fil du temps !

Entre ombre et lumière, les personnages se croisent, se rencontrent, s’affrontent puis se déchirent au rythme nostalgique d’un théâtre subissant les aléas d’un contexte politique trouble. La loge de Lise, lieu de la confession et d’une complicité enthousiaste entre une grand-mère et sa petite fille, constitue le point de chute d’une mise en scène aérienne et toujours en mouvement. D’une époque à l’autre, les chassés-croisés sont nombreux et permettent aux personnages de dialoguer dans une proximité rêvée, un échange idéalement fantasmé. Un temps recréé, dans un espace transfiguré, comme le disait Adamov à propos du théâtre, un aphorisme qui cherche ici sa légitimité dans une conception, sans doute pas assez assumée, d’une exploration d’un temps étiré, dérobé et pesant sur une mise en espace pour laquelle le rythme manque. Armel Veilhan met en scène huit comédiens qui portent sur le plateau, un texte laborieux, avec force et conviction, dans une complicité touchante.

Brouillages
– 3e volet du triptyque Espoir et Décadence –
Ecriture et mise en scène : Armel Veilhan
Lumière : Jacques-Benoît Dardant
Scénographie : Hélène Chambron
Avec : Geneviève Brunet, Marie Fortuit, Serge Gaborieau, Nicolaï Iarochenko, Nessim Kahloul, Laurent Le Doyen, Marine Pennaforte, Violaine Phavorin, Armel Veilhan

Du 10 aut 20 février 2010
Gare au théâtre
13 rue Pierre Sémard, 94 400 Vitry-sur-seine
www.gareautheatre.com

Du 2 au 6 juin 2010
Espace Confluences
190 bd de Charonne, 75020 Paris
www.confluences.jimdo.com

Be Sociable, Share!

•