Critiques // Critique • « Le silence de la mer » de Vercors au Théâtre du Nord-Ouest

Critique • « Le silence de la mer » de Vercors au Théâtre du Nord-Ouest

Oct 17, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Le silence de la mer » de Vercors au Théâtre du Nord-Ouest

Critique de Rachelle Dhéry

Imaginez la France sous l’occupation allemande. Vous vivez dans une simple demeure familiale, dans la campagne française. Un jour, un officier allemand (Werner Von Ebrennac) réquisitionne une de vos chambres. Que faîtes-vous ?

« Un vieil homme digne et une demoiselle silencieuse »

Quand Vercors a imaginé cette histoire, en 1941, non seulement il fit acte de courage et d’une forme magnifique de résistances littéraire et intellectuelle, mais il fit preuve d’une réelle tolérance et d’une grande foi en l’humanité. Alors que le nazi, l’envahisseur, est perçu aujourd’hui comme le monstre sans cœur, Vercors dépeint les traits d’un homme passionné, cultivé, amoureux, naïf, et qui sera lui-même fait prisonnier de son propre patriotisme. Est-on libres de choisir sa destinée, quand son propre pays nous montre le chemin ? L’exemple interroge, soumet au lecteur ou au spectateur une autre version de l’histoire, une version où, l’envahisseur, avant d’être un monstre, était un homme.

« Il faudra vaincre ce silence. Il faudra vaincre le silence de la France. Aber das gefällt mir. Cela me plaît »

Et quand cet homme débarque dans cette maison, habitée par l’oncle et sa nièce, c’est le début de pleins d’histoires : de haine, de résistance, de silence, de passion, de respect et d’amour. Complices et résistants, l’oncle et sa nièce, pour marquer leur opposition, vont décider de l’accueillir dans l’indifférence et le silence. Mais au lieu de voir arriver un rustre sans cœur en leur demeure, ils vont héberger un homme fougueux, beau, passionné, artiste et courageux. Parce que face au mutisme de ses « hôtes », Werner éprouve l’envie oppressante de raconter sa vie, de se mettre à nu, de partager sa culture, de leur jouer de la musique, de leur lire des livres qu’il aime tant. Tant et si bien qu’un amour indicible va naître entre la nièce et lui. Tant et si bien que le vieil homme, jadis convaincu, va éprouver du respect pour le soldat et une réelle affection. Un respect réciproque mais toujours silencieux. Bouleversés dans leurs convictions et dans leur quotidien, c’est un grand vide que le soldat laisse derrière lui, après six mois passés avec eux. Et le drame de l’histoire, c’est que Werner croyait sincèrement, avant d’aller rejoindre ses amis à Paris, que la guerre contre la France permettrait de créer une Europe unie et amie. Et lorsque, désillusionné, il en apprend toute l’horreur, au lieu de se révolter, il décide, malgré cette belle rencontre, malgré tout, de rester fidèle à son pays.

« Le silence de la mer » sort en février 1942 dans la clandestinité, puis est adapté par l’auteur lui-même pour le théâtre. Serge Dekramer, le metteur en scène, rend ici un hommage fidèle au texte et fidèle à la vision de Vercors lui-même (d’après son fils, venu voir la pièce en personne). Entre naturalisme et poésie, les personnages évoluent dans le cadre recréé d’une vieille maison de campagne française avec des vieilles photos de famille, une table à jardin, deux vieux fauteuils au centre, face à un feu de cheminée. D’ailleurs, le jeu sur l’espace scénique de la petite salle du théâtre du Nord-Ouest est intéressant et bien pensé. Serge Dekramer, dans le rôle de l’oncle, reste digne à la perfection ; Mélanie Le Duc, qui interprète le rôle de la nièce, apporte à merveille toute la douceur, l’amour et l’empathie dont Joël Abadie a besoin pour nourrir son personnage (Werner), victime du silence, victime de sa fidélité envers son pays. Le comédien offre une véritable performance scénique dans son monologue (car la pièce s’apparente à un long monologue). Le statisme du décor, et des deux hôtes, comme prisonniers de leur quotidien, contraste d’ailleurs violemment avec les mouvements et déplacements exaltés de l’officier. Les scènes, perçues comme des tableaux, s’enchaînent par des longs noirs, plongeant le spectateur encore plus loin dans ces moments d’intimités volés, et dans la tragédie inexorable en marche.

Pour découvrir un texte fort et poétique. Et pour se remettre en question.

Le Silence de la Mer
De
: Vercors
Mise en scène
: Serge Dekramer
Avec
: Joël Abadie, Serge Dekramer, Mélanie Le Duc
Costumes
: Frédéric Morel
Son
: Damien Revel

Du 26 octobre au 10 décembre 2011

Théâtre du Nord-Ouest
13 rue du faubourg Montmartre, Paris 9e
Métro Grands Boulevards – Réservations 01 47 70 32 75
theatredunordouest.com

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