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Alors Carcasse, de Mariette Navarro, Mise en scène de Bérangère Vantusso, Studio-Théâtre de Vitry

Oct 16, 2019 | Commentaires fermés sur Alors Carcasse, de Mariette Navarro, Mise en scène de Bérangère Vantusso, Studio-Théâtre de Vitry

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

« Alors Carcasse se tient là.» Carcasse. Etrange nom, étrange figure, fragile et obtuse dont on ne sait rien sinon qu’elle reste là, immobile, au seuil de son époque. Autour de lui, troublés par cette présence floue, indéterminée, insaisissable, Plusieurs. Ancrés dans une réalité tangible cherchent en Carcasse, qui aimerait sans savoir comment franchir enfin le seuil, rejoindre Plusieurs sans doute malgré son impuissance, à résoudre cette énigme qui le différencie d’eux. Carcasse, Plusieurs, c’est notre humanité partagée, contradictoire, entre désir d’intégration et refus de l’altérité. Entre désir d’émancipation et sujétion. Notre parfois incommunicabilité. Merveilleux texte de Mariette Navarro (Prix Robert Walser 2012), d’une poésie abstraite et concrète tout à la fois, fait d’une langue sculptée sans aspérité, et qui roule et charrie un verbe ciselé finement. Une épopée comme un fleuve qui suit obstinément son chemin, va droit, se recomposant sans cesse. Avec au centre ce personnage, ce mystère Carcasse. Bérangère Vantusso s’empare de ce texte avec un vrai bonheur et un imaginaire poétique radical. De l’impossibilité d’incarner Carcasse, dont on ignore ce qu’il est réellement, c’est le poème, la langue qu’elle décide d’explorer et de mettre en scène. Ce flux continue fait de ruptures, de glissements, de mouvements soudains et d’arrêts brutaux, d’images gigognes entre douceur et violence. Ils sont cinq sur le plateau non pour incarner mais pour suggérer, évoquer, caresser. Ils sont Carcasse, ils sont Plusieurs. Un chœur pour une chanson de geste contemporaine. Comédiens, clowns et marionnettistes, tout ça à la fois. Et c’est là qu’est le génie, l’intelligence de Bérangère Vantusso. Transférer sur de simples bâtons de bois manipulés à vue le langage scénique. Pas des marionnettes non, pas tout à fait, ou alors leur essence même, leur structure interne, que notre imaginaire habille, métamorphose au fil de ce récit qui ainsi dépouillé de toute incarnation tangible déploie sa puissance poétique. Ces bâtons de bois font et défont, ouvrent des espaces infinis, des paysages et des images qui ne cessent de se métamorphoser. Et dans lesquels nous nous engouffrons quand nous ne les créons pas nous même. Ils sont Carcasse, ils sont Plusieurs. Puissance de la marionnette qui au final nous manipule et provoque notre imaginaire qui à son tour se déploie. C’est toute la puissance du jeu et du théâtre qui est ici donnée et partagée. Toute la force du verbe de Mariette Navarro qui est offert. Mais Bérangère Vantusso, qui ne se contente pas de cette seule et formidable idée, signe aussi une mise en scène d’une grande élégance, fluide, dynamique, d’une certaine folie douce aussi, riche de mille détails et trouvailles qui épousent la fable et ajoute à sa poésie, son humour. Dont un paysage sonore singulier et prégnant qu’il serait dommage de ne pas citer tant lui aussi s’attache au récit, le soutient et l’exhausse. Et c’est bien ça qui vous aimante dans cette mise en scène, cette sensation d’être immergé dans un univers et une langue où les frontières sont quelques peu abolies, où tout est relié et fait sens. Invités à notre tour à franchir le seuil de ce texte, c’est une vertigineuse et fascinante immersion dans un poème qu’il nous est donné également d’écrire.