Critiques // « Woyzeck d’après Woyzeck » de Georges Büchner au Théâtre de la Bastille

« Woyzeck d’après Woyzeck » de Georges Büchner au Théâtre de la Bastille

Mar 06, 2010 | Aucun commentaire sur « Woyzeck d’après Woyzeck » de Georges Büchner au Théâtre de la Bastille

Critique de Camille Hazard

La pièce Woyzeck d’après Woyzeck, mise en scène par Gwénaël Morin, a été créée dans un cadre tout à fait original, et retrouve un vrai travail de troupe. En effet, les six comédiens et le metteur en scène se sont lancés un défi artistique en collaborant avec les laboratoires d’Aubervilliers et en proposant une résidence d’un an, pour présenter 6 pièces ; Woyzeck d’après Woyzeck est la dernière création de cette collaboration.

Georges Büchner, après avoir écrit La mort de Danton et Léonce et Léna, entame un second drame Woyzeck qui restera inachevé. Büchner meurt peu de temps après du typhus, à 23 ans.
L’intrigue de la pièce est désuète car inaboutie mais porteuse de grands thèmes universels. Woyzeck, est l’image même de l’anti-héros : c’est un homme banal, moyen, qui ne souhaite qu’une chose : remplir ces journées pour échapper à la mort. La peur du temps qui s’échappe, l’idée de la mort inévitable, le pousse malgré lui à rechercher la souffrance pour se sentir en vie. À la fin de la pièce, Woyzeck est devenu un héros malgré lui, il est passé de l’homme ordinaire à l’homme extraordinaire : il a tué sa femme, tout le monde parle de lui, tous les villageois détaillent sa vie, les gens ont enfin trouvé une occupation face au vide et à l’ennui.

La hantise du temps et l’affolement devant l’écoulement inévitable des jours constituent le motif récurrent des pièces de Büchner. Cette angoisse sur scène est comme un compagnon de route pour chacun des personnages. Croyant obéir à leurs idées, leurs passions, les héros sont en réalité les jouets du temps et du destin.
C’est le Temps qui, par sa précipitation ou par son rythme léthargique, par ses engrenages, par son usure monstrueuse et sournoise, creuse un vide que les hommes tentent de remplir coûte que coûte, sans jamais se demander pourquoi ils le font !

Dans toute cette noirceur, Büchner n’a pas oublié l’absurde et le comique des situations. Il intègre dans l’intrigue, des personnages caricaturaux, grotesques, toujours au bord de la folie : le forain, le capitaine, l’aubergiste, la vieille, l’idiot…
La pièce est construite sous forme de petits tableaux où les personnages se cherchent sans jamais se trouver ; ils demeurent seuls devant leur angoisse.

Un travail collectif et dynamique

Le metteur en scène Gwénaël Morin a pris le parti de bâtir sa mise en scène sur le jeu des comédiens et sur quelques accessoires symboliques ; des horloges, de l’eau, des tambours…Le plateau est nu, les comédiens entrent et sortent de l’espace de jeu tout en restant à vue.

Dans l’ensemble, la pièce est convaincante malgré un manque de fluidité dans les tableaux qui s’enchaînent : on ressent rapidement la manière qu’a eu le metteur en scène de faire travailler ses comédiens ; improvisations, exercices sur les thèmes de la pièce…Gwénaël Morin n’a sans doute pas assez épuré les propositions de chacun et le tout, forme un fourmillement de détails assez fatiguant, qui détourne de l’intrigue. Les idées sont originales, mais l’on aurait souhaité une mise en scène plus sobre.

Le jeu des comédiens est pertinent surtout Grégoire Monsaingeon dans le rôle de Woyzeck qui a une aisance sur scène déconcertante, Julian Eggerickx, dans le rôle du capitaine et du tambour-major qui se sert de chaque partie de son corps avec précision et enfin Virginie Colemyn dans le rôle du docteur et de Kathe : celle-ci chavire constamment entre la folie douce et la violence, c’est un régal.
Aucune déception quant à l’interprétation générale de la pièce, même si nous pouvons penser que ce travail expérimental aurait du bénéficier de quelques semaines de travail en plus.

Mais les conditions de départ étaient posées : 1 an de résidence pour monter 6 pièces ! La création dans l’urgence n’a pas toujours que du bon.

Woyzeck d’après Woyzeck
De : Georges Büchner
Un spectacle de : Gwenaël Morin
Avec : Grégoire Monsaingeon, Renaud Béchet -Andrés, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Michel Coquet

Du 5 mars au 2 avril 2010

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75011 Paris
www.theatre-bastille.com

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