Critiques // « Voyage au bout de la nuit » de Céline aux Théâtre les Gémeaux

« Voyage au bout de la nuit » de Céline aux Théâtre les Gémeaux

Avr 04, 2011 | Un commentaire sur « Voyage au bout de la nuit » de Céline aux Théâtre les Gémeaux

Critique de Camille Hazard

« Un plateau nu, quatre accessoires, quatre éléments de costumes pour cette lecture spectacle. Et puis des ciels qui nous racontent l’implacable solitude du voyage. » Françoise Petit

La metteuse en scène Françoise Petit et l’acteur Jean-François Balmer se retrouvent autour d’un des plus grands textes de la littérature française : « Voyage au bout de la nuit ». Et si son auteur, Louis-Ferdinand Céline, reste très subversif par des écrits teintés d’antisémitisme, ce roman publié en 1932 n’a quant à lui, rien à se reprocher.

Jean-François Balmer © DR

À travers ce texte désespéré, Céline donne à voir un monde absurde, hypocrite et sanglant. Son anti héros, Ferdinand Bardamu est témoin, au fil de son errance, de l’absurdité de la guerre et du colonialisme, de la terrifiante montée du capitalisme et des nationalistes pédants et ridicules. La langue de Céline, dans ce roman, est travaillée de manière on ne peut plus réfléchie, précise, mesurée,  retranscrivant dans le même temps un argot populaire vivant et incisif. Texte bien alléchant pour un acteur !

Mais cette œuvre faisant plus de cinq cents pages, Françoise Petit s’est dit qu’il fallait la couper. Elle a donc fait appel à Nicolas Massadau pour l’adaptation qui n’a pas hésité à amputer l’œuvre des trois quarts du texte ! Or, on ne peut pas couper ce texte, en tout cas pas de cette façon! Ce serait comme arracher la moitié des pages d’une symphonie ou d’un opéra ! Bien sûr, certains pourraient rétorquer qu’un acteur, seul en scène ne peut pas interpréter ou lire une œuvre pendant cinq heures ! Eh bien si ! Entrecoupée de pause, une lecture de cinq heures, avec mise en scène, est possible : Laurent Cochet, en janvier dernier, a proposé la lecture du roman « Albertine disparue » de Marcel Proust pendant vingt heures à la salle Gaveau…

Que peut-on bien prélever de ce texte ? La pertinence et la perfection de ce roman réside dans une progression latente : comme le héros, le spectateur s’enfonce peu à peu dans les abysses du monde, s’immerge totalement dans les travers de l’âme humaine. Mais en coupant ces pages, on enlève toute la profondeur de l’œuvre, on ne garde que ce qui est apparent, c’est-à-dire les voyages. On assiste donc aux pérégrinations d’un héros ordinaire…L’obscure, l’invisible, la nuit sont représentés sur scène par un écran géant vidéo sur lequel sont projetés des ciels crépusculaire emplis de tâches de peinture colorées. Belle vision, cette nuit enveloppe l’acteur tout entier dans une profonde solitude, mais on aurait souhaité que cet isolement, ce désert, soit plus vécu que représenté.

Soulignons que certains mots, certaines expressions et idées politiques ont été soigneusement évincés… La metteuse en scène donne ainsi raison aux détracteurs qui s’indignent du compte-tenu du livre… à tort. Le texte est adapté sur scène mais n’est pas défendu !

« Le voyage c’est le petit rien, le petit vertige pour couillon. »

Bardamu

L’acteur Jean-François Balmer sauve le spectacle avec une présence indiscutable. Avec un jeu ample, sobre, il s’approprie le texte ; texte difficile à décortiquer par les ponctuations, l’argot, les digressions…

Pourtant, dans la mise en scène de l’acteur, là aussi, ça coince…

On ne sait pas qui est cet homme : le narrateur du livre ? L’auteur ? Un comédien nous offrant cette œuvre ? L’ambiguïté sur son identité, nous empêche de le suivre totalement, comme si nous n’avions pas confiance…

Jean-François Balmer est toujours accompagné d’un journal. Le zyeutant à plusieurs reprises, nous nous demandons au début pourquoi ces allers et retours ? Et puis nous comprenons que des pans entiers de textes sont (faussement) dissimulés derrière les pages jaunies du quotidien… Ce journal ne servant strictement à rien (si ce n’est de nous donner la fausse impression que cet homme patiente dans une salle d’attente), alors pourquoi ne pas simplement se servir du livre ? Pourquoi dissimuler les choses ?

Spectacle décevant donc.
Amoureux de ce texte, restez chez vous !
Admirateurs de Jean-François Balmer, courrez-y !

Voyage au bout de la nuit
De : Louis-Ferdinand Céline
Mise en scène : Françoise Petit
Avec : Jean-François Balmer
Adaptation : Nicolas Massadau
Vidéo : Tristan Sebenne
Lumières : Nathalie Brun
Peintures : Charles Petit

Du 1er au 6 avril 2011

Les Gémeaux – Scène Nationale de Sceaux
49 rue Georges Clemenceau, 92 330 Sceaux – Réservations 01 46 61 36 67
www.lesgemeaux.com

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