Critiques // « Une Femme à Berlin », mise en scène Tatiana Vialle avec Isabelle Carré au Rond Point

« Une Femme à Berlin », mise en scène Tatiana Vialle avec Isabelle Carré au Rond Point

Sep 11, 2010 | Aucun commentaire sur « Une Femme à Berlin », mise en scène Tatiana Vialle avec Isabelle Carré au Rond Point

Critique de Camille Hazard

Une jeune femme pour nous raconter la guerre, un décor élémentaire d’appartement, un texte autobiographique, adapté pour la scène, relatant le quotidien, des impressions, des faits… La metteuse en scène Tatiana Vialle a choisi la simplicité et le dénuement pour nous parler des atrocités de la guerre et des blessures qu’elle provoque. Mais attention, plus les formes scéniques sont effacées, plus l’acteur doit porter seul sur ses épaules le poids de la création…

© Brigitte Enguérand

Une jeune femme (interprétée par Isabelle Carré) retrouve son compagnon Gerd (incarné par Swann Arlaud) à la fin de la guerre 39-45. Durant son absence, elle a tenu un journal : journal de vie, journal d’horreurs qu’elle lui remet entre les mains. S’ensuit alors une partition pour une voix et un regard : elle se replonge difficilement dans ses souvenirs puis raconte douloureusement jusqu’à s’enfoncer de plus en plus loin dans son monde de morts, monde qu’elle ne peut s’empêcher de revivre sous nos yeux.

Lui l’écoute, la regarde, imagine.

Il n’y aurait pas que les soldats alors, qui ont soufferts ? Il y aurait aussi les femmes de guerre ?

Le décor est bien pensé : à jardin, un lit défait  raconte les nuits glacées et la solitude de cette femme ; à cour, une table, accompagnée d’une chaise et d’un tabouret, nous renvoie à des images plus chaleureuses : celles de soirées d’écoute, de partage, de convivialité autour d’une bouteille de schnaps. Dans le fond de scène, un mur défraîchi, à la fois protecteur parce qu’il sépare le monde des morts de celui des vivants, et à la fois inquiétant, étouffant : parmi toutes ces tâches et ces pourritures qui le morcèlent, des feux follets nous apparaissent ainsi que des corps d’hommes déformés qui chutent un peu comme un tableau délavé de Chagall. Le texte sous forme de récit autobiographique est très sensible, détaillé, il accroche tous les sens. On goûte avec elle le morceau de lard frais qu’elle reçoit au prix de beaucoup de sacrifices, on entend dans l’écriture le bruit métallique des chars russes, on respire la dernière goutte d’eau de Cologne qu’elle dépose sur sa nuque, on touche avec elle les bords d’un képi d’un officier ventru et grossier…

© Brigitte Enguérand

Ce texte est un cadeau pour une comédienne.

Si Isabelle Carré est toujours juste, très réaliste dans son jeu et qu’elle n’hésite jamais à donner son regard émotif aux spectateurs, tout est malheureusement trop petit, trop linéaire. Beaucoup de ruptures et d’émotions ne nous parviennent pas à cause d’un jeu qui manque d’amplitude et d’ancrage. Ce texte nous renvoie à l’Horreur, mais si le personnage n’en est pas imbibé, cela ne reste que des mots ; la parole et les yeux ne font pas tout ! Swann Arlaud a une très bonne écoute, mais paraît limité quant à ses possibilités de réactions lorsqu’il s’adresse à sa partenaire : volonté de la metteuse en scène ? Respect de l’équilibre de jeu avec sa partenaire ? Manque d’imagination ?

La musique et la vidéo devaient tenir un rôle primordial dans ce spectacle comme le dit Tatiana Vialle  (trois personnes ont d’ailleurs collaboré sur la séquence vidéo…) ; mais il y a en tout et pour tout, 1 bruitage, 2 très courts moments de musique et un plan séquence de 10 secondes de Berlin en ruines… Les rôles sont-ils vraiment tenus… ?

Une Femme à Berlin
D’après : « Une femme à Berlin », journal du 20 avril au 22 juin 1945, Anonyme
Mise en scène : Tatiana Vialle
Assistante à la mise en scène : Margaux Eskenazi
Avec : Isabelle Carré et Swann Arlaud
Traduction : Françoise Wuilmart (éd. Gallimard)
Lumières : Dominique Mahut
Décors : Jean Haas
Musique : Dominique Mahut
Costumes : Marie-Claude Altot
Vidéo : Cristobald Diaz, Christophe Reveille, Julien Schikel

Du 7 septembre au 10 octobre 2010

Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.