Critiques // « Sofia Douleur » de Laurent Gaudé à l’Épée de Bois / Un Automne à Tisser

« Sofia Douleur » de Laurent Gaudé à l’Épée de Bois / Un Automne à Tisser

Sep 15, 2010 | Aucun commentaire sur « Sofia Douleur » de Laurent Gaudé à l’Épée de Bois / Un Automne à Tisser

Critique de Camille Hazard

La pièce Sofia Douleur de Laurent Gaudé creuse la chair avec ses mots, elle la caresse, l’enveloppe, la malmène et nous l’offre. L’auteur confronte plusieurs sortes de chairs afin de nous éclairer sur l’état de notre humanité et de notre morale : il s’agit autant de « chair belle dans sa dignité, à la chaire du dos, de la nuque, que de la chair là où elle est le plus chair, et donc le plus mort » P.P.Pasolini

Il parvient, avec une poésie intense, à mettre le doigt sur des sujets sensibles : Sofia, née, projetée du ventre de ses trois mères ; celle-ci aime jouer avec son sexe, explorer son corps. Les mères devant ce spectacle, qu’elles qualifient d’obscène, la mutilent et la bannissent.

S’ensuit, pour Sofia, une longue errance à l’intérieur et tout autour des hommes. Elle va tenter de comprendre son corps, sa chair qui ne peut vivre sans jouissance, son existence condamnée. Nous traversons, dans l’écriture, plusieurs mondes, plusieurs voix qui s’élèvent pour mettre à nu des problèmes qui sont toujours tabous à notre époque : l’excision, la virginité avant le mariage, les maladies sexuelles, les besoins et les envies du corps, le diktat sur la perfection des corps féminins de moins en moins humains…Derrière tous ces sujets se cachent la plus simple des questions : comment une fille devient femme avec toutes les restrictions morales de notre société et où le Sexe, paradoxalement, y est omniprésent ?

« Tout autour de nous, il n’y a que du sexe.(…) Les kiosques à journaux nous regardent avec obscénité. Tout autour de nous, il n’y a que du sexe. »

La jeune compagnie Les mauvaises herbes ont placé leur exigence de création très haute ! Ce texte poétique et d’une densité peu commune demande qu’on le serve simplement et parfaitement. Les mots, les envolées lyriques et les images suffisent : toutes touches personnelles, ajoutées par la metteuse en scène, risquent bien d’entacher ce texte si riche.

Les partis pris de Nitya Fierens sont pourtant fins et à propos : quelques images très belles nous ravissent comme les corps des trois mères se tordant de douleur avant l’accouchement, la naissance de Sofia, le corps sensuel et gonflé de plaisir qui s’élève jusqu’à la jouissance. Mais il y a trop de formes d’expressions (danse, chant, claquettes) qui ne paraissent pas vraiment nécessaires, trop d’images qui viennent se superposer au texte, trop d’images qui ne vont pas tout à fait au bout (comme pour l’excision de Sofia).

Servir un texte magnifique dans la simplicité la plus pure est bien sûr ce qu’il y a de plus difficile au théâtre. La comédienne Mathilde Le Quellec amène cela parfois dans son jeu simple, maîtrisé et sensible : c’est dans ces moments là que le texte prend toute sa dimension. Ce spectacle fait entendre l’écriture de L.Gaudé, parvient à nous faire sentir des atmosphères et des mondes différents.

C’est un travail de qualité pour cette jeune compagnie qui n’a pas eu froid aux yeux de s’attaquer à ce texte. On attend leur prochaine création, peut-être dans une forme un peu plus simple et maîtrisée.

Sofia Douleur
De : Laurent Gaudé
Par : la compagnie Les Mauvaises Herbes
Mise en scène : Nitya Fierens
Avec : Claire Germain, Charlène Ferès, Nitya Fierens, Manuel Lemaître, Mathilde Le Quellec, Olivia Manissa Panatte, Francis Scuiller, Amandine Voisin
Lumières : Stanislas Grassian
Décors et Costumes : Collectif Hic et Nunc

Du 14 au 18 septembre 2010
Dans le cadre du festival
Un Automne à Tisser

Théâtre de l’Épée de bois
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris – Réservations 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com

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