Critique de Camille Hazard –
Après sa collaboration 2007 avec Sébastien François, chorégraphe hip-hop de Roméos et Juliettes, la metteur en scène Magali Léris a souhaité travailler cette pièce avec, pour la plupart, de jeunes comédiens. La fraîcheur, l’énergie et le comique parsèment sa mise en scène rigoureusement fidèle à William Shakespeare.
© Fabienne Rappeneau
Maints échafaudages, sur toute la longueur du plateau, créent un décor enchevêtré, celui des deux maisons Capulet-Montaigu. Le jeu se fera fréquemment à la verticale ; les comédiens grimpent, se balancent, courent d’un étage à l’autre dans une rage de vivre incandescente. Ces barres métalliques se révèlent, tout au long de l’œuvre, sous plusieurs images : labyrinthe du cœur et de l’esprit, cage du destin enfermant ses proies et tableau vivant reproduisant les humeurs adolescentes en chantier où tout n’est que construction et destruction instantanée. Le travail du jeu sur la verticalité amène beaucoup de légèreté, d’insouciance, et de persévérance aux personnages en proie à l’obsession de vouloir « monter » toujours plus haut dans leurs désirs. On pense inévitablement à la tour de Babel, au vol d’Icare… et le tragique garde l’œil bien ouvert.
Le début de la pièce s’ouvre sur une rixe entre les deux familles, moment très drôle et touchant où les personnages sortent tout droit de « La fureur de vivre » ou de « La fièvre dans le sang » : perfectos noirs, couteaux à cran d’arrêt, minutieuse chorégraphie des combats… Nous traversons différentes époques toujours entre les mains de Shakespeare. Puis, la belle Juliette arrive, toute de blanc vêtue, avec deux petites tresses qui encerclent son visage gracieux. Mais ne nous y trompons pas ! Cette Juliette-là distille un parfum de désobéissance et parfois même d’effronterie… Ce n’est pas l’héroïne si souvent sublimée, trop délicate, trop éduquée, trop spirituelle. Magali Léris donne d’abord la voix à l’adolescence, à ses rêves, ses amours mais aussi à ses travers et à ses ridicules ! Le ridicule de l’amour aveugle, inconstant mais toujours sincère : Lors du bal organisé par les Capulets, Roméo tombe éperdument amoureux de Juliette avant même qu’elle enlève son masque ! Un parfum, une démarche ou un geste aura suffi à transpercer ce cœur : poésie de ce bel âge.
© Fabienne Rappeneau
Tout le monde connaît l’histoire de ces deux amants de Vérone mais en désacralisant ce couple, en nous renvoyant parfois à notre propre vécu adolescent, la mise en scène arrive à nous ébranler ; certains reverrons intérieurement leur amour impossible de jeunesse, d’autres repenserons aux choix raisonnables qu’ils ont fait et qu’ils regrettent parfois. Cette tragédie vient à nous, elle nous démasque et nous refait vivre de belles heures perdues.
Nous sommes interdits devant la mort qui vient happer cette Juliette effrontée, capricieuse, et ce Roméo, aux allures de grande perche ébahie.
La traduction de Blandine Pélissier accompagne délicieusement la mise en scène, gardant toute la poésie de l’œuvre et en y mêlant des termes contemporains qui sonnent juste à nos oreilles.
La nourrice en parlant de sa maîtresse : « Juliette aussi pleure au sol. Et elle couine, elle couine et elle couine ! ». Et à propos de Roméo : « Roméo ? C’est une lavette ».
© Fabienne Rappeneau
Le jeu des acteurs est très bien tenu (durée de la pièce : 2h30). D’une part, les jeunes comédiens fraîchement sortis de l’école offrent beaucoup de fougue et de dextérité physique (attention tout de même à ne pas confondre énergie et précipitation dans les mots). D’autre part, les comédiens, habitués de la scène, font aboutir le texte et leur personnage grâce à l’ampleur et aux détails du jeu. Aude Thirion, dans le rôle de la nourrice, explose en ruptures, en réactions dans un parler « parigot », ajoutant beaucoup de touches de couleurs à son rôle. Cassandre Vittu de Kerraoul (Juliette) et Marc Lavigeon (Roméo) oscillent tous deux entre poésie, exaltation et esprit puéril. Ils amènent différentes facettes à ces personnages complexes et bien difficiles à faire vivre.
Une belle mise en scène, donc, où nos mots, notre culture, notre vécu se retrouve sur scène en poésie, dans la plus belle des histoires, celle de Roméo et Juliette.
Roméo et Juliette
De : William Shakespeare
Mise en scène : Magali Léris
Avec : Grégoire Baujat, Eddie Chignara, Stéphane Comby, Christophe d’Espoti, Benjamin Egner, Clovis Fouin, Marc Lamigeon, Fanny Paliard, Christophe Reymond, Aude Thirion et Cassandre Vittu de Kerraoul
Nouvelle traduction : Blandine Pélissier
Scénographie : Yves Collet
Costumes : Cidalia Da Costa
Maquillage et costumes : Sophie Niesseron
Lumières : Bruno Rudtmann
Son : Jacques Cassard
Assistants à la mise en scène : Isabelle Cagnat et Arnaud MougenotDu 3 au 30 janvier 2011
Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
1 rue Simon Dereure, 94 200 Ivry – Réservations au 01 43 90 11 11
www.theatre-quartier-ivry.com