Critiques // « Requiem 3 » de Vincent Macaigne aux Bouffes du Nord

« Requiem 3 » de Vincent Macaigne aux Bouffes du Nord

Mar 04, 2011 | Un commentaire sur « Requiem 3 » de Vincent Macaigne aux Bouffes du Nord

Critique de Camille Hazard

« Bienvenue au protocole de couronnement d’Abel 1er. Levez-vous, applaudissez, embrassez-vous, dévorons-nous, malgré toute cette grossièreté nous auront été vivants. »

Dès les premières minutes du spectacle, nous savons que Vincent Macaigne, auteur et metteur en scène de « Requiem 3 », est un empêcheur de tourner en rond, la parcelle de peau en plein milieu du dos que l’on arrive jamais à gratter… !
Nous pénétrons tout d’abord dans un épais nuage de fumée distillé à travers toute la salle ; nous retroussons nos manches, bien décidés à trouver notre place… Une fois assis, nous luttons encore contre les fumigènes pour distinguer décors et accessoires qui peuplent la scène, le tout sur fond de hurlements de bébé colérique.
Le spectacle commence, les portes se ferment…

© DR

Abel et Caïn au pays du gore

« Requiem 3″ est l’histoire d’un roi mort et de la succession inévitable d’un de ses deux fils à la tête du royaume. Le couronnement du plus jeune se déroule dans un brouhaha impossible, sous bonne escorte de deux valets clownesques et moribonds. Univers et références cinématographiques s’imposent : « Massacre à la tronçonneuse » pour les costumes et les tabliers de boucher dégoulinants de sang, la pâle figure du Joker dans « Batman » pour le maquillage blanc et sanglant enfin, « La nuit des morts vivants » pour leur coté indestructible : on a beau les frapper, les tuer, ils se relèvent toujours !
À l’image d’Abel et Caïn, les deux frères vont engager tous deux une lutte à mort teintée d’orgueil, d’envie, de colère et de rancœur. Le plus jeune (Abel 1er) accepte, d’abord malgré lui, ce pouvoir absurde mais le temps finit par l’affranchir de toute morale, et succombant sous l’emprise d’un orgueil furibond et d’une soif de domination insensée, il oubliera bientôt frère et amis sur sa route pour accomplir l’irréparable : un fratricide.
Réincarnation d’un Ubu Roi, violent, qui ne croit plus en rien, désabusé, sanguinaire en même temps que capricieux, enfantin et désuet… Il porte une couronne en carton qui lui donne l’allure d’un enfant puni avec son bonnet d’âne plutôt qu’une démarche souveraine…
L’autre frère, le plus âgé, celui à qui aurait du revenir la couronne, est rongé. Rongé de rancœur, de désir, d’envie et d’amour : « La rancœur, c’est la seules chose qui me reste à moi d’amour. » Il tente de ramener son frère dans le chemin de la simplicité, de l’authenticité et de la vérité mais une rage sans limite s’empare de lui et l’aveugle…

© DR

Du sang qui coule, qui gicle, qui ruisselle, qui explose, qui tue…

À n’en point douter, la mise en scène et l’écriture sont très originales et inventives. Aucune limite, les comédiens pareils à des démons sortis de leur boîte nous font vivre un réel cauchemar ! Tout est fait pour noyer le spectateur dans un monde de furies !! Hurlements, éblouissement, musique à fond, litres de sang qui coulent, viol… Tout cela crée une indisposition physique, mais on n’en ressort ni secoué ni impressionné.
Tout devient exagéré et la tension, instaurée par la mise en scène et le jeu des acteurs et qui tenait à un fil, bascule finalement dans le surplus et le gratuit.
Les références, inspirées du cinéma, sont les bienvenues mais quel intérêt de reproduire la scène de l’extincteur du film « Irréversible » et un viol pendant dix minutes ? Le message passe bien avant ces longues minutes laborieuses !

L’utilisation du sang et de certaines images sont en revanche de vraies trouvailles ; les flots de sang qui s’échappent des deux frères finissent par laver tout ce petit monde et annonce une ère nouvelle. Beaucoup d’images tournoient et valsent devant nous ; on sent l’influence du peintre Bacon pour ces œuvres violentes aux couleurs saturées, ses corps déchiquetés et déshumanisés. « Requiem 3 » est une tragi-comédie macabre sur fond d’univers shakespearien (le fils du roi Abel 1er est maudit, proclamé « héro du renoncement » et se nomme Hamlet) où les bouffons côtoient les tyrans, où les personnages et les situations sont symboliques plutôt que réalistes et où la question fondamentale de la nature humaine côtoie l’atmosphère la plus paillarde. Mais nous comprenons assez vite les intensions et les idées de Vincent Macaigne et les scènes s’enchaînent de manière systématique, linéaire et sans grande émotion ; il n’y a pas assez de graduation dans les tensions, on s’ennuie.
La fin du spectacle est en cascade, le public tente une percée et se décide à applaudir mais ce n’est toujours pas fini ; de petites scènes morcelées viennent s’ajouter aux précédentes comme pour nous dire : « Attendez !! J’ai oublié de vous dire quelque chose ! ». Alors on attend, on écoute mais finalement, rien d’important.
La pièce se termine : les fumigènes se réveillent et crachent leur fumée opaque comme si tout cela n’avait été qu’un cauchemar.

Nous entendons en tout cas le cri désespéré de Vincent Macaigne, à travers son écriture, qui nous supplie de ne pas nous installer, de ne pas nous endormir, de lutter contre le désabusement, de nous tenir bien éveillés face à la vie et de ne jamais renoncer.

Requiem 3
Écriture, conception visuelle et mise en scène : Vincent Macaigne
Lumières : Kelig Le Bars
Scénographie : Julien Peissel
Avec : Laure Calamy, Sébastien Eveno, Thibault Lacroix, Laurent Papot, Rodolphe Poulain et Thomas Rathier

Du 1er au 12 mars 2011

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle, 75 010 Paris – Réservations 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com

Prochaine date du spectacle :
Le 2 avril 2011 –
Festival Via, au Manège Mons à Maubeuge

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