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Rencontre avec Adel Hakim, auteur et metteur en scène du Théâtre des Quartiers d’Ivry.

Nov 19, 2015 | Commentaires fermés sur Rencontre avec Adel Hakim, auteur et metteur en scène du Théâtre des Quartiers d’Ivry.

À l’occasion des représentations de La Double Inconstance de Marivaux, nous avons eu le plaisir de rencontrer Adel Hakim, metteur en scène du spectacle et du Théâtre des Quartiers d’Ivry.
Le spectacle se joue jusqu’au 29 novembre au TQI.
Vous pouvez retrouver l’article du spectacle en cliquant ici La Double Inconstance.

 

© DR

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Interview réalisée par Camille Hazard

C.H- L’idée motrice présente dans le texte de Marivaux est la manipulation des hommes de Pouvoir pour asservir le peuple.
Pensez-vous que la figure du Pouvoir actuel est la même qu’aux temps de Marivaux ?

A.H – Je crois que les choses ont changé.
Au temps de Louis XIV ou de Louis XV, le Pouvoir était beaucoup plus cruel. Aldous Huxley, visionnaire, dit dans son livre Retour au meilleur des mondes que nous passerons d’une dictature Hitlérienne ou Stalinienne à des dictatures softs. À notre époque, les gouvernements préfèrent séduire les gens plutôt que de les enfermer dans des camps ou des goulags. Toute la propagande menée grâce aux médias, à la publicité, aux produits de consommation, a changé le mode de soumission des gens par rapport à un pouvoir directement brutal. Voilà pourquoi, le texte de Marivaux m’intéressait. Au début de la pièce, Trivelin propose au prince d’éliminer Arlequin ; ainsi Silvia n’aura plus d’amant et sera libre de l’épouser. Mais le prince refuse toute violence directe et préfère user de stratagèmes pour convaincre Silvia. La pièce bien évidemment parle aussi d’amour et de sentiments, mais ces intimités finissent par être affectées par les rouages du Pouvoir. Silvia et Arlequin, à la fin du spectacle, prennent le pouvoir, risquant tous les deux de devenir aussi cruels que le Prince.

C.H – Le public est constamment pris entre les parole du peuple et la parole du Pouvoir. Nous nous identifions aux deux, à tour de rôle.
Mais l’identification ne passerait-elle pas plutôt par le personnage de Trivelin, homme du peuple au service du Pouvoir ?

A.H – Trivelin est au service du pouvoir mais à la fin il en a marre de toutes ces magouilles et décide de partir. Lorsqu’il voit la déchirure de Lisette, personnage appartenant à la bulle du pouvoir tout en étant sa proie, il se sent lui aussi victime de ce jeu pervers. Lisette et Trivelin sont en fait les deux victimes de la pièce.
Au début je pense que le public s’identifie à Silvia et Arlequin parce que tous deux tiennent des discours révolutionnaires très rebelles ; ils sont contre l’injustice, ils sont contre la richesse inutile au bonheur des citoyens… Mais au bout d’un moment, ils abandonnent ce discours. Les scènes du troisième acte entre Arlequin et le Seigneur, Arlequin et le Prince sont très intéressantes, c’est dans ces scènes qu’on voit poindre la question du contrat social, quarante ans avant Rousseau ! Arlequin est prêt à se soumettre aux conditions du Prince pourvu qu’il signe un contrat qui protège ces intérêts… Marivaux est un visionnaire incroyable !

C.H – Dans la mise en scène, entre les différents actes de la pièce, deux panneaux mobiles se couvrent de peintures de maîtres, projetées depuis la régie. Que représentent ces peintures ?

 A.H – Les peintures appuient aussi le concept dramaturgique car elles figurent l’enlèvement des femmes, la violence qui peut être faite par les hommes sur les femmes ; elles content le rapport hommes-femmes mais aussi le désir ; car souvent la violence machiste vient du désir incontrôlable des hommes. La première série de projections expose des peintures de Poussin, Delacroix, La Fosse (…), qui montrent des nymphes, des satyres, tout un monde de violence et de désir. Par la suite, ce sont des peintures orientalistes du XIXème siècle qui sont projetées ; elles racontent la diversité sociale et c’est une manière pour moi de montrer, un peu de façon subliminale, que le Prince est ouvert aux cultures de Silvia et Arlequin. Enfin la troisième série représente la fragmentation de l’âme, très bien racontée dans les peintures de Picasso, de Magritte (…); on est dans le monde moderne avec ces individus déchirés.

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C.H – Parlons un peu de tout ce qui se passe avant le lever de rideau de la première représentation.
Lorsque vous écrivez ou choisissez un texte à défendre, quelles sont les différentes étapes de création ?

 A.H – Lorsque je choisis de mettre en scène une pièce, c’est pour dire quelque chose qui est connecté au réel. La première chose que je fais avec les acteurs, dès le moment où je m’engage avec eux, c’est leur exposer les idées que j’ai. Je construis toute une dramaturgie avant de commencer à répéter. Dans cette pièce j’ai voulu travailler avec Jade, Mounir et Malik pour montrer la diversité culturelle. Les comédiens sont d’abord confrontés au texte, à leur personnage et à la dramaturgie du metteur en scène. Après ils amènent énormément de propositions scéniques mais qui s’inscrivent dans le cadre défini par le metteur en scène.

C.H – En réaction aux terribles attentats perpétrés vendredi 13 novembre, souhaitez-vous nous parler du théâtre, de son rôle, de son pouvoir hypothétique sur les Hommes ?

A.H – Le théâtre peut faire réfléchir les spectateurs et instaurer un dialogue comme on le fait maintenant tous les deux. Mais je ne pense pas que le théâtre puisse avoir une influence directe sur la politique. Le théâtre est un art de proximité, pas de grand média. D’ailleurs les grands médias ne vont jamais au théâtre, les politiques non plus d’ailleurs. Le théâtre aujourd’hui est un des seuls outils de démocratie au niveau local, c’est un des seuls endroits où les gens peuvent se retrouver et s’ils le veulent, engager un dialogue, comme on le faisait autrefois dans les cellules politiques ou syndicales. Les théâtres de banlieues ou de régions peuvent faire réfléchir les gens qui sont condamnés par le Pouvoir et considérés comme de « la racaille ». Nous devons aller dans les classes en banlieue, faire venir les élèves au théâtre, représenter la diversité sociale et culturelle, parler surtout et ouvrir l’esprit sur autre chose que le radicalisme. La culture est un moyen d’éviter les guerres. Est-ce qu’un théâtre, lieu de culture n’est pas aussi un lieu d’éducation populaire ?
Le Théâtre des Quartiers d’Ivry mène 13 ateliers pour enfants et adolescents, 5 ateliers hebdomadaires pour adultes et 10 ateliers animés à l’extérieur du théâtre. Ces ateliers sont extrêmement importants, ils renforcent la relation avec le public, avec les profs, et créent une nouvelle génération de jeunes attentifs à la culture. Aujourd’hui, ne pas défendre la culture c’est contribuer à l’ignorance et l’ignorance amène à l’obscurantisme.

 

Interview enregistrée lundi 16 novembre 2015 au café Le Sarah Bernhardt

 

La Double Inconstance
De Marivaux
Mise en scène Adel Hakim
Scénographie et lumière Yves Collet
Assistant à la mise en scène Pablo Dubott
Assistant lumière Léo Garnier
Vidéo Matthieu Mullot
Costumes Dominique Rocher
Chorégraphie Gilles Nicolas
Maquillage Nathy Polak
Son Raphaël Dupeyrot

Avec Lou Chauvain, Frédéric Cherboeuf, Etienne Coquereau, Malik faraoun, Jade Herbulot, Mounir Margoum et Irina Solano

Du 2 au 29 novembre 2015

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
1 rue Simon Dereure – 94200 Ivry
M° Mairie d’Ivry / RER C Ivry
Réservation 01 43 90 11 11
www.theatre-quartiers-ivry.com

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