ƒƒƒ article de Camille Hazard
La Double Inconstance de Marivaux.
Du marivaudage, rien que du marivaudage ?
Si ce terme inventé d’après le théâtre de Marivaux est tout à fait louable, il n’en reste pas moins que les metteurs en scène qui le brandissent comme étendard dans leurs mises en scène, appauvrissent cruellement le propos de Marivaux.
Son théâtre apparaît souvent sur les plateaux comme un patrimoine classique que nul n’ose toucher et ceux qui croient dépoussiérer « le vieux meuble » avec quelques paires de jeans et de baskets, peuvent se vanter d’avoir aperçus tout au plus l’ombre de l’auteur…
Adel Hakim rend à Marivaux, son génie.
Sous le masque du marivaudage se révèle une violence terrible ; comment le Pouvoir parvient à séduire les dissidents et les faire entrer dans leur danse. Les détenteurs de pouvoir, dans nos sociétés occidentales, ont bien compris qu’il était préférable de laver un cerveau avec toutes sortes de belles promesses et l’attrait de quelques gains, plutôt que de l’éliminer… Ainsi plus de trouble, plus de contestation et une relève assurée.
Les répliques de Marivaux résonnent avec puissance et vérité. Il faut dire qu’Adel Hakim choisit toujours avec soin les textes qui lui permettent de transmettre haut et fort son engagement théâtral, social et politique.
Si Arlequin est toujours enclin aux bouffonneries et que les traits d’esprit régalent les trois actes, le metteur en scène redonne au texte, sa dimension dramatique.
Le Prince et son bras droit Flaminia usent de stratagèmes pour faire accepter à Silvia et à Arlequin, un mariage dont ils ne veulent pas. Silvia avec le Prince, Arlequin avec Flaminia. Ces deux « sauvages » auraient pu être contraints physiquement mais la violence décrite par Marivaux va au delà; la garantie de titres de noblesse, les présents d’étoffes, de bijoux, les mets succulents offerts sans limite, vont avoir raison du couple d’amoureux que rien ni personne ne pouvait séparer.
Si l’on offre un bout de pain à quelqu’un qui n’a pas mangé depuis plusieurs jours, on peut parier qu’il finira par dévorer le pain…
Le personnage de Lisette, sœur de Flaminia, prend une envergure dramatique dans la mise en scène d’Adel Hakim ; par ses interventions dansées, proches de la transe, elle devient la figure de proue de tous les sacrifiés, de toutes celles et ceux qui se sont donnés au pouvoir pensant glaner quelques réussites sociales, en vain.
Le décor simple, bâtit avec trois panneaux modulables, donnent à voir des intérieurs sans équivoque ; mur végétal, vue en plongée de milliers de buildings « made in New York », salon anguleux, aseptisé, froid… tout respire l’ambiance « Lounge » et dépourvue de vie des hôtels 5 étoiles et du standing des appartements du Pouvoir. Deux panneaux obliques projettent des scènes picturales entre les actes ; servitude et asservissement des sujets face à leurs maitres.
Jade Herbulot (Silvia) joue sur l’élégance et une animalité qui sied parfaitement au texte classique. Lou Chauvain (Lisette) incarne un petit bout de femme traversée par mille émotions et amène beaucoup de vie et de souffle lorsqu’elle intervient.
Adel Hakim se concentre sur le texte, dont on sent le travail précis et minutieux avec les comédiens, et la sève dramatique dense et virulente.
Assurément, ce texte et le génie de Marivaux n’ont pas vieilli d’une ride et résonnent plus que jamais avec fracas.
La Double Inconstance
De Marivaux
Mise en scène Adel Hakim
Scénographie et lumière Yves Collet
Assistant à la mise en scène Pablo Dubott
Assistant lumière Léo Garnier
Vidéo Matthieu Mullot
Costumes Dominique Rocher
Chorégraphie Gilles Nicolas
Maquillage Nathy Polak
Son Raphaël DupeyrotAvec Lou Chauvain, Frédéric Cherboeuf, Etienne Coquereau, Malik faraoun, Jade Herbulot, Mounir Margoum et Irina Solano
Du 2 au 29 novembre 2015
Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
1 rue Simon Dereure – 94200 Ivry
M° Mairie d’Ivry / RER C Ivry
Réservation 01 43 90 11 11
www.theatre-quartiers-ivry.com
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