Critiques // « Profondo Rosso », un ciné-concert de et par le Surnatural Orchestra

« Profondo Rosso », un ciné-concert de et par le Surnatural Orchestra

Fév 28, 2011 | 2 commentaires sur « Profondo Rosso », un ciné-concert de et par le Surnatural Orchestra

Critique de Camille Hazard

Créé lors du festival « Dolce Cinema » à Grenoble en 2007, ce spectacle tire sa grande originalité et sa force à partir d’un film et d’un orchestre.
Le groupe Surnatural Orchestra a décidé de revisiter et de faire sien, un film d’horreur italien des années 70, emblème des films de Giallo (genre de film inventé par Mario Bava dans lequel certains “ingrédients” sont indispensables ! Le tueur reste masqué, ganté de cuir, tue à l’arme blanche des victimes innocentes…).
Un ciné-concert qui reprend donc le film. Les frissons de l’angoisse du maître de l’horreur et du Ketchup, Dario Argento, et un orchestre gorgé de styles et d’influences multiples : fanfare, big band, acoustique, rock, jazz…

Le héro du film Marcus Daly devient Pier Paolo Pasolini.

Le film sort sur les écrans italiens en 1975, quelques mois avant la mort tragique du poète, dramaturge, réalisateur, écrivain et artiste de génie Pier Paolo Pasolini. Les années de Plomb inaugurées par l’attentat de la Piazza Fontana plongent l’Italie sous une chape de violence et de contestation. C’est à travers ce film et des textes de Pasolini que ce groupe de musiciens décide de mettre en lumière toute l’horreur et le mensonge de ces années noires.
Marcus Daly (interprété par David Hemmings), pianiste, est entraîné dans une enquête policière sur des meurtres sanglants qu’il tente de résoudre en recoupant des articles de journaux  et  en allant recueillir des témoignages. Pasolini, artiste engagé et enragé tente, lui, à la même époque, de rechercher les coupables qui ont plongé l’Italie dans cette corruption et cette pauvreté, il tente de les dénoncer et de mener son  Enquête : celle de son époque, à travers des articles, des critiques et des lettres ouvertes,  publiés dans différents journaux.
Ce parallèle est finement mis en évidence dans le spectacle ; Marcus Daly devient  Pasolini.

Des textes tirés de recueils de Pasolini (« Lettres Luthériennes », « Ecrits Corsaires », « Contre la télévision ») reprennent vie dans la bouche d’un comédien certes très drôle mais qui porte en lui une telle énergie et un engagement si fort que ces passages deviennent un véritable hommage à l’homme qui a dit NON.

Un spectacle impressionnant : images et sons surgissent et nous aspirent.

En retirant le son des images, l’orchestre composé d’une vingtaine de musiciens, se laisse la possibilité de renforcer le sens des images, de le transformer et surtout de nous immerger dans le cadre grâce à des bruitages, tout en nous disant : « Ne croyez pas les images ! Elles peuvent mentir ! »

Surnatural Orchestra ne reprend pas la musique du film des Gobelins, et si nous avons au début du générique un petit pincement au cœur de ne pas entendre cette musique mythique, nous l’oublions très vite ; la composition est tout simplement géniale ! Un orchestre d’une vingtaine de musiciens qui jouent devant un écran de cinéma géant, c’est déjà impressionnant en soi ! Puis, la première émotion passée, nous chavirons dans notre fauteuil : la musique devient une parcelle entre l’image et nous, on ne sait plus bien si on pénètre l’écran ou si les décors, les personnages débordent de leur cadre et viennent tranquillement s’assassiner à côté de nous ! En tout cas, nous pouvons les toucher du bout des doigts ! L’immersion de s’arrête pas à la musique, des bruitages l’accompagnent : une danseuse nous aveugle avec un miroir lorsqu’une lame luisante apparaît à l’écran ! On sursaute, on a peur, on aime !! Chaque plan d’Argento a été pensé, analysé et retravaillé en musique et même si l’on a déjà vu ce film une dizaine de fois, on découvre plein d’éléments  autant sur le plan esthétique que politique. Une sorte de visite guidée à l’intérieur  des veines de l’Italie et dans la tête d’artistes engagés et engageants : Pier Paolo Pasolini, Dario Argento et bien sûr les musiciens qui ont composé ce spectacle intense : Laurent Géhant, Boris Boublil, Baptiste Bouquin, Nicolas Stephan, Fabrice Theuillon, Sylvaine Hélary et Sylvain Mazens.
Une danseuse accompagne certains moments d’images et de musique ; à travers une chorégraphie simple et poétique elle  renvoie  l’image d’une fleur qui tenterait de pousser dans un champs rempli de mauvaises herbes. Parfois  sa présence fait “doublon” avec l’image et on ne sait plus vraiment où poser notre attention…

Hommage

« J’écris “Pouvoir” avec un P majuscule (…) parce que, sincèrement, je ne sais pas en quoi consiste ce nouveau pouvoir et qui le représente ; je sais simplement qu’il existe. »
Pier Paolo Pasolini, « Ecrits corsaires »

Ce spectacle rend un hommage très émouvant à Pasolini et à Argento :
Soulignons tout d’abord que chaque musicien, comédien, danseuse est vêtu de rouge et de noir ; couleurs emblématiques qui hantent tous les films d’Argento et évocation d’horreur de lutte et de contestation…
Hommage à  Pasolini à travers ses textes ;  un partage émouvant fait de souvenirs intimes et d’écrits révoltés, de cris déchirants.
Hommage à Argento en prenant appui sur ses images, en lui rendant justice (eh non, ce n’est pas juste un film d’horreur fait de ketchup et de “nanas” à poil !), en extirpant chaque idée, en la retravaillant pour nous l’offrir et nous éclairer.
Le film se termine par l’énumération abjecte des blessures relatée dans un rapport d’expertise : rapport publié après la découverte du corps inerte de Pasolini, torturé, sur la plage d’Ostie dans la nuit de la Toussaint  1975… Cette nuit-là, main dans la main, la haine et l’horreur ont triomphé…
Mais la résistance continue, elle n’est pas morte et elle a du talent…

Profondo Rosso
Ciné-concert « Profondo rosso – Les frissons de l’angoisse »
(Dario Argento, 1975)
Par : le Surnatural Orchestra
Composition musicale : Boris Boublil, Baptiste Bouquin, Laurent Géhant, Sylvaine Hélary, Sylvain Mazens, Nicolas Stephan, Fabrice Theuillon
Musiciens : Shan Lefrant (tuba), Laurent Géhant (sousaphone), Judith Wekstein (trombone basse), Hanno Baumfelder / François Roche-Juarez (trombones), Antoine Berjeaut / Julien Rousseau (trompettes), Antoine Berland (claviers, piano), Adrien Amey (saxophones, MS20), Baptiste Bouquin / Raphaël Quenehen / Jeannot Salvatori / Nicolas Stephan / Fabrice Theuillon (Saxophones), Sylvaine Hélary / Cléa Torales (flûtes, chant), Antonin Leymarie (batterie, sampler), Guillaume Magne (guitare)
Danse : Anne Palomeres
Chorégraphie : Katia Petrowick
Comédien : Maxence Tual
Son : Zac Cammoun
Lumières : Damien Christea

Les 25 et 26 février 2011

Théâtre Sylvia Monfort
106 rue Brancion, 75 015 Paris
www.lemonfort.fr

surnaturalorchestra.free.fr

Où voir le Surnatural Orchestra prochainement ?
– Le 9 mars 2011 » Studio de l’Ermitage – 8, rue de l’Ermitage 75020 Paris – Réservations 01 44 62 02 86
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– Le 11 mars 2011 » Le Sax, Achères – 2, rue des Champs 78260 Achères – Réservations 01 39 11 86 21
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– Le 2 avril 2011 » Studio de l’Ermitage, pour la clôture du
Brain Festival (+)

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