Critiques // « Prends carpe à toi mon lapin ! » de la Compagnie Clair de Dune à la Folie Théâtre

« Prends carpe à toi mon lapin ! » de la Compagnie Clair de Dune à la Folie Théâtre

Avr 11, 2011 | Aucun commentaire sur « Prends carpe à toi mon lapin ! » de la Compagnie Clair de Dune à la Folie Théâtre

Critique de Rachelle Dhéry

« Elle sortait d’une exposition sur le flou, il sortait d’une réunion sur la prévention de la cécité… et là, ils ont vu clair ! »

Un mariage drôle, savoureux et résolument barré

Un mariage, c’est l’union de deux personnes qui s’aiment. C’est une journée où l’amour est mis à l’honneur, et où les mariés souhaitent partager avec tous leurs proches, leur bonheur éclatant. Mais le mariage, c’est aussi l’occasion de se retrouver entre amis. C’est sous cet angle que la compagnie Clair de Dune a choisi de l’aborder. D’abord à l’église, puis autour d’une table pour la soirée dansante, une joyeuse bande de potes d’enfance se retrouvent après quelques années, pour savourer (à leur manière) le jour le plus heureux de leurs deux amis. Rien n’est épargné : du « champagne dégueu », au placement raté des invités, de l’hypocrisie de situation aux rires francs, des tenues extravagantes aux danses excentriques, de la verrine économe aux révélations généreuses… Tout ce qui caractérise un mariage “beauf” est investi ici, sans pudeur, sans scrupule, mais avec une parfaite harmonie, une grâce déconcertante, un humour décapant et une poésie émouvante.

Cependant, le mariage n’est ici qu’un prétexte : le véritable thème est celui de la désillusion. Celle de l’enfant devenu adulte. L’enfant, avec tous ses rêves, de vie, d’amour, sans limites, débordant d’énergie, ne trouve plus d’échos à celui qu’il est devenu. Où sont passés nos rêves? Qu’avons-nous fait de nos désirs? Pouvons-nous encore devenir celui ou celle que nous espérions? Ou bien est-il trop tard? Peu à peu, dans la pièce, d’une certaine caricature d’un mariage, les huit comédiens-auteurs transportent le public, tout en finesse, tout en virtuosité, là où il ne s’y attendait pas. Tous les secrets, les non-dits, les peurs, les désirs vont resurgir, sous le couvert de l’amour et bien sûr, de l’amitié.

« Je vais chercher un dolicrane »

Des personnages hauts en couleurs

Chaque personnage a son importance et son caractère. Adélaïde incarne la vieille fille aigrie en mal d’amour. Patrice est l’artiste raté de la bande. Emile est le joyeux fanfaron, grand enfant. Moineau est la « Madeleine écervelée », la femme enfant. Germain est le concret, l’architecte. Edmond, le raleur frutré de sa vie. Elise, la maman autoritaire et snob. Henri, le frère du marié, incarne le mâle dominant. Pas à pas, l’envie de connaître davantage cette émouvante et délurée bande de copains se fait plus pressante. En même temps, naît un incommensurable besoin de se moquer de ces énergumènes, jamais dans la méchanceté, mais toujours dans la bonne humeur.

« Quand je serai grand, je serai détective garstonaute. »


Entre beauf attitude et pure poésie

Une table, huit chaises, c’est là leur unique décor. Mais plus aurait été superflu. Les personnages habitent, créent et dessinent à eux-seuls, par la gestuelle, la danse, le mime, le chant, les regards, des tenues résolument rétro, tout ce dont le spectateur a besoin pour s’inviter dans leur univers. Les bandes-sons apportent en outre des notes fantaisistes. Surtout pour DJ Mario, qui représente, à lui tout seul, la “beaufitude” incarnée, et le discours de la mariée, drôlement savoureux. Des morceaux bien choisis rythment l’ambiance, mais c’est surtout ces belles notes de guitare, jouées à la perfection, pour amener les passages à l’enfance, qu’il faut retenir. En effet, soulignant l’intensité dramatique de ces moments, sans jamais tomber dans le pathétique, les plongées dans le passé de chaque personnage en deviennent très émouvantes, très poétiques, et surtout très justes. Ils font écho à ce que l’on peut ressentir lorsque nous observons à nouveau l’enfant qui se cache en nous.

« Débit de lait si beau, débit de l’eau si laid, s’il est un débit beau c’est bien le beau débit de lait! »

Un esprit de troupe qui fait du bien et qui gagne à être connu

Les huit comédiens-auteurs se sont rencontrés au cours Florent, et n’ont jamais pu se quitter depuis. Alliant généreusement théâtre et solidarité, en 2006, ils ont monté « Ils se sont aimés » de Pierre Palmade et Muriel Robin, les bénéfices ont été reversés au Téléthon ; en 2008, ils ont monté « Ma sœur est un chic type » de Pierre Palmade et Dominique Lavanant, les bénéfices ont été reversés à l’UNISEP ; et en 2009, ils ont interprété « L’abribus » de Philippe Elno, les bénéfices ont été reversés à l’association Petits princes. Après leur première création collective « Les truites s’émulent » en 2009, ils reconduisent l’expérience avec « Le mariage de la carpe et du lapin » en 2010. Tant d’imaginations réunies auraient pu créer un véritable brouillon, mais au lieu de ça, elles engendrent un pur bijou théâtral. L’alternance texte littéraire, poétique et langage parlé, quotidien, se déroule en douceur, sans jamais choquer. Le texte est brillamment écrit, et alterne jeux de mots cocasses et savoureux, avec un humour grinçant et spontané. Il y a des moments de vraie poésie. Les chants, les mimes, les danses sont très bien orchestrés, assumés et sonnent justes. La pluridisciplinarité, de plus en plus utilisée par les compagnies, pour proposer un “spectacle total”, est parfois gauche, voire abusive. Ici, elle sert à la fois l’action, le propos et le spectacle, le divertissement. Le spectacle tient un peu du cabaret, un peu du café-théâtre, un peu des films de Jaoui-Bacri, dans un esprit de franche camaraderie. Et l’ennui n’est jamais au rendez-vous.

Prends carpe à toi mon lapin
ou le Mariage de la Carpe et du Lapin

Texte et mise en scène
: Clair de Dune Compagnie
Avec
: Coralie Jean, Mathilde Palazzolo, Charlotte Marcoueille, Frédéric Brossard, Maxime Norin, Gabriel Clenet, Franck Bevilacqua, Vincent Mazaux, Arnauld Leridant
Musique
: Jérôme Stiefbold

Du 17 mars au 15 mai 2011

À La Folie Théâtre
6 rue de la Folie Méricourt, 75 011 Paris – Réservations 01 43 55 14 80
www.folietheatre.com

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