Critiques // « Pour l’amour de Gérard Philipe » de Pierre Notte au Théâtre la Bruyère

« Pour l’amour de Gérard Philipe » de Pierre Notte au Théâtre la Bruyère

Mar 07, 2011 | Aucun commentaire sur « Pour l’amour de Gérard Philipe » de Pierre Notte au Théâtre la Bruyère

Critique de Rachelle Dhéry

De Gérard Philipe à Philippe Gérard, ou l’histoire d’une personne qui est devenue quelqu’un

1959, année où l’acteur Gérard Philipe est au sommet de sa gloire, où Charles de Gaulle a repris le pouvoir en France, et où un gamin naît dans la famille Gérard. La mère (Sophie Artur) et le père (Romain Apelbaum) ne sont d’accord en rien, surtout pas en politique. Leur seule vision commune repose sur leur enfant: il aura un grand destin. Le père préfère le savoir mort en ayant été quelqu’un que vivant en ayant été personne. Vouant un véritable culte à Charles de Gaulle, son fils portera son nom: Charles. La mère idôlatrant l’acteur Gérard Philipe, souhaite appeler son fils Philippe. L’enfant naît enfin. Mais il n’a qu’un doigt à chaque main. Le grand destin espéré semble compromis. Quelques mois plus tard, Gérard Philipe meurt brutalement (d’un cancer du foie), suivi de près par le père qui chute accidentellement d’une grande roue. Convaincu d’être la cause du décès de son père et en quête de liberté, le jeune adulte Philippe Gérard (Raphaël) fuit le domicile familial pour tenter de devenir quelqu’un. Il intègre le dernier petit cirque français avec animaux, et devient dompteur d’ours. Et malgré son infirmité, sa nouvelle famille d’adoption (Emma De Caunes et Bernard Alane) lui permettra de révéler aux yeux du monde son incroyable don – dont on ne dévoilera rien ici -, qui fera de lui un être exceptionnel.

© iFou | Le Pôle Média

Surréalisme et onirisme sur fond d’existentialisme

Après « Moi aussi, je suis Catherine Deneuve » (2005), Pierre Notte, auteur et metteur en scène, dont la renommée ne cesse de grandir, revient une fois encore sur son amour des comédiens, avec cette pièce aux accents surréalistes et au parfum de conte onirique. Il interpelle le spectateur sur cette question fondamentale, sans doute posée par tous les parents du monde: le prénom choisi a-t-il un réel impact sur le destin d’un homme? Et toutes les questions qui en découlent: est-ce l’homme qui fait le prénom ou le prénom qui fait l’homme? Qu’est-ce qui rend un homme exceptionnel? Est-ce la renommée seule? Ne peut-on pas devenir « quelqu’un » grâce à des chemins méconnus? Ou, pour le formuler différemment: chaque personne n’est-elle pas « unique », et donc, en un sens, n’est-elle pas « quelqu’un »?

© iFou | Le Pôle Média

Une mise en scène habile, d’excellents acteurs, mais une histoire qui peine à s’envoler.

Dans une mise en scène suggestive et astucieuse, l’auteur et metteur en scène nous transporte d’années en années (1969, 1959, 1981…), sur fond d’actualités contemporaines – Fidel Castro 1er Ministre à Cuba en 1959, la mort de Gérard Philipe en 1959, les premiers pas d’Armstrong sur la lune en 1969, le premier discours de François Mitterrand le 10 mai 1981 – retranscrites par des documents d’archives sonores ou décrites par les personnages. La scène, surmontée d’une estrade multifonctionnelle, agrémentée de projections en fond et de divers accessoires d’une étonannte banalité (chaises, table…) nous emporte tour à tour d’une cuisine à un cimetière, en passant par un manège, la grande roue, le cirque, une église et une prison. Les narrateurs changent, au fil du temps et des évènements, et des chansons françaises aux couleurs de cabarets (autre passion de Pierre Notte), bien qu’encore mal assumées, apportent tout de même un certain souffle dans cette jolie histoire, malheureusement un peu trop longue. Et malgré le dynamisme et la fraîcheur de la belle Emma De Caunes (particulièrement pétillante en Monsieur Loyal), la sensibilité touchante et attachante de Raphaël, le jeu tranchant et cynique, parfaitement maîtrisé de Sophie Artur, l’immense Bernard Alane dans son rôle de directeur de cirque excessif, ultrasensible et passionné; malgré la beauté de cette écriture à la fois moderne, poétique, onirique et surréaliste, il est curieux de constater que l’histoire peine à émouvoir et laisse le spectateur étranger à cette tranche de vie. Ce phénomène serait-il dû au fait que Pierre Notte ait choisi de diriger les comédiens vers un jeu surréaliste? La transmission du texte, en effet, pratiquée tour à tour sous forme de récit, par la description, le dialogue ou le discours, à force de haute voltige, semble retenir pour elle-même toute l’émotion du conte et laisse le public, quelque peu frustré, à l’extérieur du chapiteau.

Pour l’amour de Gérard Philipe
Texte, mise en scène, scénographie et musiques : Pierre Notte
Décor : Nils Zachariasen
Costumes : Caroline Marel
Lumières : Antonio de Carvalho
Son : Guillaume Duguet
Arrangements musicaux : Paul-Marie Barbier
Avec : Bernard Alane, Romain Apelbaum, Sophie Artur, Emma De Caunes, Raphael

Du 23 février au 27 avril 2011

Théâtre La Bruyère
5 rue la Bruyère, 75 009 Paris – Réservations 01 48 74 76 99
www.theatrelabruyere.com

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