Critiques // « Pacamambo » de Wajdi Mouawad au CDN Montreuil

« Pacamambo » de Wajdi Mouawad au CDN Montreuil

Mai 17, 2011 | Aucun commentaire sur « Pacamambo » de Wajdi Mouawad au CDN Montreuil

Critique de Rachelle Dhéry

« Pacamambo, c’est le lieu de toutes les lumières. C’est le pays où tous les uns sont les autres. »

Julie, une enfant très intelligente, est interrogée par un psychiatre : que s’est-il passé ? Pourquoi Julie est-elle restée dix-neuf jours, auprès de sa grand-mère morte, dans la cave de son immeuble ? Alors Julie raconte. Elle dormait près de sa grand-mère adorée Marie-Marie et de son chien Legros, lorsque la lune, dans sa cape argentée, enlève sa grand-mère. Avant de partir Marie-Marie promet à Julie qu’elles se retrouveront là où toutes les âmes se rejoignent, au pays de Pacamambo. Or Julie n’en a pas fini avec la mort. Elle décide de l’attendre avec son chien, pour la rencontrer, lui dire que cela ne se fait pas d’emporter les gens si brutalement, et de lui casser la figure. Faisant preuve d’une grande imagination, tout est bon pour arrêter le temps et redonner au cadavre un semblant de dignité. Et quand Julie rencontre enfin la mort, elle finit par y trouver la vie.

© Arthur Péquin

« Je crois qu’il faut montrer des tragédies aux enfants. Je crois que la vie est davantage tragique que dramatique. »
Wajdi Mouawad

Au début, les comédiens sont déjà sur scène. Ils se meuvent, s’exercent. Le message est important : ici, nous sommes au théâtre, vous êtes face à des comédiens. Cela permet d’accentuer l’effet de distanciation, et de ce fait, d’amoindrir la dureté du propos. Lorsque la pièce commence, le temps semble comme suspendu. Le noir est profond. L’ambiance doucement s’installe, pour nous entraîner dans cet univers à la fois réaliste et onirique. La gestuelle est importante. Le décor en panneaux frontaux de toile ou de bois dans un semblant d’appartement pas tout à fait terminé, évoque un chantier, sans aucun doute, celui de la vie de la petite fille. Julie est une marionnette au visage franc, fougueux et touchant, manipulée à merveille par Jeanne Vitez. Sa voix est celle de Claire Lasne Darcueil, parfois un peu brusque et d’une maturité déconcertante, assise sur le côté gauche de la scène. Son chien Le Gros est habilement interprété par Valère Bertrand, et nous fait complètement oublier sa nature humaine. Même lorsqu’il s’adresse à nous ou à Marie-Marie. Anne-Sée interprète une grand-mère jeune et dynamique, ou plutôt sans âge, loin des clichés du genre. Pour évoluer dans l’imaginaire de la fillette, la scénographie n’hésite pas à recourir à la magie du théâtre, avec trucs et astuces, effets et costumes brillants, lumières, images projetées et vidéos.

© Arthur Péquin

Comme quoi, on peut rire de tout, même de la mort.

En dix scènes courtes (Rage, La lune, Plan d’attaque, Noir et Blanc, Le troisième tiroir, La cave, Première semaine, Mort, Lumière), d’une écriture claire et directe, sans complaisance, Wajdi Mouawad aborde frontalement le thème de la mort, pour le jeune public. Ce conte moderne est dans la lignée des contes traditionnels (aujourd’hui, souvent édulcorés), qui ont pour objectif d’avertir l’enfant sur les dangers de la vie ou de le préparer à vivre des épreuves douloureuses. Ici, l’auteur choisit de le faire avec humour, originalité et détachement. Que ce soit dans le texte, ou le jeu des acteurs, ou la mise en scène, tout est conçu pour permettre à l’enfant de se projeter sans se faire mal (Marie-Marie qui continue de parler avec le chien ou qui boit un verre) dans son propre imaginaire et d’appréhender la mort avec plus de force et de sérénité. Sans jamais tomber dans le pathos ou le brutal, Pacamambo est une ode à l’amour, à la tolérance et un outil indispensable d’acceptation de la perte de nos êtres chers, tout en délivrant des messages d’amour universel, d’acceptation de l’autre, peu importe sa couleur ou son origine. Pacamambo est avant tout un conte ésotérique, où l’âme poursuit son chemin, même quand le corps a cessé de vivre. Grâce au courage que l’on a, à l’amour que l’on porte et aux souvenirs que l’on garde, la mort n’est plus une ennemie toute puissante.

« Un artiste est un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les œuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L’artiste, tel un scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir la beauté. »
Wajdi Mouawad

Pacamambo
De : Wajdi Mouawad
Mise en scène : Nicolas Fleury
Avec : Valère Bertrand, Alexandre Doublet, Dominique Guihard, Claire Lasne Darcueil, Anne Sée et Jeanne Vitez
Scénographie : Claire Le Gal
Lumière et vidéo : William Lambert, assisté de Dominique Pain
Son : Antoine Imbert
Costumes : Sophie Schaal assistée de Jeanne Birckel et Frédérique Mougin
Maquillages et coiffures : Catherine Nicolas
Dessins: Fanny Michaëlis
Fabrication des marionnettes : Claire Vialon
Régie générale : Thierry Champalloux

Du 14 au 20 mai 2011

Nouveau Théâtre de Montreuil‎ – Centre Dramatique National
Place Jean Jaurès, 93 100 Montreuil – Réservations 01 48 70 48 90
www.nouveau-theatre-montreuil.com

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