Critique de Camille Hazard –
L’inertie ravageuse
Comment vaincre l’incapacité d’agir ? Comment vivre, éloigné de toute réalité sociale, sans repère, sans amour, sans force ? Tchekhov nous met à la place d’un scientifique qui observerait au microscope, les membres d’une famille tentant de survivre jour après jour.
Le renommé professeur Sérébriakov et sa jeune épouse Eléna passent leur été dans la maison d’Ivan VoÏnitsky (frère de la première femme défunte de Sérébriakov). Ils y rejoignent Sonia, la fille du professeur, Astrov un médecin de campagne usé par le travail et qui n’aime personne, Téléguine, dit « la gaufre », un propriétaire terrien ruiné et enfin Maria, la mère d’Ivan, qui passe toutes ses journées à lire et à étudier des brochures littéraires. Au fur et à mesure des jours fatigués qui s’écoulent, une tension haineuse se crée entre Vania et Sérébriakov. En effet, Oncle Vania et Sonia ont exploité toute leur vie le domaine pour en envoyer l’argent au professeur dont ils admiraient l’intelligence et le travail. Mais, en plus d’être doué, d’être riche, le professeur a surtout une jeune épouse dont sont follement épris Vania et Astrov . Par la voix de l’auteur, ils s’interrogent sur le lien qui unit l’argent, l’amour et le bonheur et tentent de comprendre pourquoi rien ne leur arrive.
Un monde à réinventer
La traduction d’Arthur Adamov propose des phrases enlevées, piquantes tout en gardant la force d’un vocabulaire exigeant. Les personnages sont en proie à des faits extérieurs sans jamais s’y accrocher et demeurent dans une inertie morbide. La pièce, Oncle Vania, se concentre autour de la Parole : les personnages ont recours aux souvenirs, aux complaintes, se réfugient dans le discours ; ils cherchent à masquer le vide qui les rapproche de la mort.
On apprécie tout d’abord le jeu des comédiens et la finesse de la mise en scène. On retiendra tout particulièrement l’acteur Jacques Angéniol qui propose un Téléguine décalé, hors quotidien, qui nous rappelle un peu un des personnages phares de Beckett, timide, désorienté, enfantin… Et Liana Fulga dans le rôle d’Eléna. Délicieuse « cruche » qui a conscience de son inutilité, qui n’est plus amoureuse de son mari mais qui a une force extraordinaire à survivre, complètement exaltée… On aurait pu juste espérer une Sonia moins « maniérée » , car cela enlève du poids au personnage que l’on plaint du coup moins facilement. Oncle Vania, interprété par M.Maréchal, est plein de couleurs, parfois enfant gâté, parfois homme vieillissant, grincheux, il passe d’un registre à un autre avec beaucoup de talent.
Un décor sobre, blanc qui fait office de terrasse, de chambre à coucher ou de salon. L’espace des pièces est créé par des portes donnant sur le vide, figurant une sorte de labyrinthe où il est bien difficile de se rencontrer. Au fond de la scène, de longues planches de bois se croisent tout en restant droites et verticales ; elles font écho à la fragilité en même temps qu’à la rage de vivre de ces personnages. Tout au long des cinq actes, un personnage revient, épiant les scènes, jouant un air populaire à l’accordéon. Cet ouvrier symbolise les événements sanglants de 1905 (la mutinerie des matelots du Potemkine) soulignant ainsi l’esprit visionnaire de l’auteur. La pièce s’achève sur ce motif musical comme un couperet pour cette classe bourgeoise qui ignore tout du peuple.
Bien que le texte dramatique soit finement mis en scène, on regrette que M. Maréchal et M.Demiautte n’aient pas osé explorer plus profondément les ressacs du désespoir et de l’inertie propre à Tchekhov. Il y des moments très drôles mais qui auraient pu être aussi grinçants car les personnages ont tous atteints le seuil de leur limite à vivre. M.Maréchal donne beaucoup de rythme aux scènes, beaucoup d’humour, mais l’on ne ressort pas avec le cœur qui bat, ni avec les mains moites, on ne vit pas sur notre fauteuil ce que les personnages endurent sur scène, même si l’ensemble de la pièce est convaincant.
Oncle Vania
De : Anton Tchekhov
Traduction : Arthur Adamov
Mise en scène : Marcel Maréchal et Michel Demiautte
Avec : Olga Abrego, Jacques Angéniol, Antony Cochin, Emmanuel Dechartre, Michel Demiautte, Juliette Duval, Liana, Marcel Maréchal, Hélène Roussel
Dramaturgie : François Bourgeat
Assistant à la mise en scène : Antony Cochin
Musique : François Fayt
Décor : Thierry Good
Costumes : Bruno Fatalot
Lumières : Jean-luc Chanonat
Régie : Hugo Richard et Pierre Daubigny
Habilleuse : Christelle YvonDu 12 janvier au 27 février 2010
Théâtre 14 Jean-Marie Serreau
20 avenue Marc Sangnier, 75 014 Paris
theatre14.fr