Critique de Camille Hazard –
Un face à face profondément humain qui fuit lentement au cours de la pièce vers deux sombres destins…Reprise de la pièce Nunzio, écrite par l’auteur sicilien Spiro Scimone et mise en scène par Thierry Lutz au théâtre Lucernaire.
Deux portraits
Celui de Nunzio, ouvrier (que l’on suppose être dans le bâtiment), sa toux virulente le fait sans cesse prier « le sacré cœur » de Jésus ; on apprendra par la suite qu’une grave maladie causée par des produits dérivés de peinture qu’il inhale au travail, le ronge à petit feu. On pourrait penser que ce personnage vit hors du monde, ne sortant de chez lui que pour se rendre au travail, arborant une naïveté désolante lorsqu’on lui parle des choses de la vie, des autres, toujours prêt à se réfugier dans son imaginaire, on le pense « limité », faible physiquement et psychologiquement et pourtant…
Et puis il y a Pino, exubérant, on devine à travers des allusions qu’il travaille dans un clan mafieux comme tueur à gages : on lui envoie des photographies de personnes à éliminer. Très au fait de la séduction masculine, des codes vestimentaires, de la gestuelle à adopter, de la société en général, Pino est un homme pragmatique, qui donne un sens à chaque chose. Rien ne semble lui échapper, toujours dans l’action et donnant l’impression de ne jamais de se poser. Et pourtant…
En faisant cohabiter dans une petite maison de fortune ces deux personnages, l’auteur nous confronte avec une infinie tendresse aux travers, aux doutes, aux manques, aux peurs et à la solitude de l’être humain. Le monde simple, imaginaire et fantasmé de Nunzio se nourrit des expériences, des voyages, des histoires de son colocataire. À l’inverse, Pino l’homme d’action, le meneur, la brute se laisse abandonner par moments à la sensibilité et à la douceur de Nunzio. C’est un vrai couple de théâtre (comme on peut en voir dans les pièces de Beckett), qui bien que s’affrontant, démontre une véritable tendresse et un réel besoin l’un pour l’autre.
À la fin de la pièce, ils se quittent… Que vont-ils devenir… ?
Un langage poétique dans la voix, la gestuelle, les démarches pour nous emmener très loin à l’intérieur des personnages.
La première démarche du jeu d’acteur et de la mise en scène, semble aller dans le sens de l’imaginaire de la gestuelle et du corps. Les acteurs sont d’ailleurs habitués à travailler dans cette direction au sein de leur compagnie « Tam Tam théâtre » : recherche sur la gestuelle et le langage oniriques. Dans la pièce, les comédiens boivent une tasse de café vide, mangent des spaghettis de papier… grâce à ces moments imaginaires et très bien maîtrisés par les acteurs on ne tombe jamais dans l’illustration de la vie quotidienne : tous leurs actes prennent une ampleur dramatique parfois poétique, parfois comique mais aussi souvent désespérée.
Le metteur en scène arrive à nous montrer que l’acte théâtral peut être vivant, sans excès de décor, de « béquille » et que le jeu seul de deux comédiens sur scène peut nous emporter très loin.
Le décor simple ne comporte qu’une table en bois avec deux chaises, un frigidaire à côté d’un petit évier et un long fil traversant la pièce de part en part où sèche un torchon et une chaussette. Des bruitages de rues, de passants, d’appareils ménagers renforcent notre ressenti face à la solitude des personnages.
Christian Abart et Christian Lucas sont très convaincants, l’exercice n’est pourtant pas facile vu la proximité du public avec la scène. Le personnage de Nunzio a beaucoup de couleurs, il nous livre une intériorité enfantine et sincère tout au long de la pièce. Devant Pino, on est face, tantôt à un gangster, tantôt à un personnage de dessin animé tantôt à un enfant capricieux, tantôt à un « mac »…
Nunzio est un spectacle qui en même temps donne à réfléchir sur ce qu’est l’être humain et ses rapports au monde et aux autres, et en même temps arrive par la mise en scène et le jeu des comédiens à capter notre imaginaire d’enfant lorsqu’on voyait dans un bâton, une formidable épée…
Nunzio
De : Spiro Scimone
Mise en scène : Thierry Lutz
Avec : Christian Abart et Christian Lucas
Scénographie : Blandine Vielliot
Lumières : Hervé BontempsDu 9 juin au 11 septembre 2010
Théâtre du Lucernaire
Centre National d’Art et d’Essai
53 rue Notre Dame Des Champs, 75 006 Paris
www.lucernaire.fr
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