Critiques // « Noli me tangere » de et mise en scène par Jean-François Sivadier à l’Odéon

« Noli me tangere » de et mise en scène par Jean-François Sivadier à l’Odéon

Mai 02, 2011 | Aucun commentaire sur « Noli me tangere » de et mise en scène par Jean-François Sivadier à l’Odéon

Critique de Camille Hazard

Ne me touche pas !

Noli me tangere est une des dernières paroles que prononça le Christ ressuscité à Marie-Madeleine, le dimanche de Pâques, avant de rejoindre le ciel. Source d’inspiration inépuisable chez les plus grands peintres de notre histoire comme Giotto, Titien, Poussin, Véronèse… Dans la mise en scène de Sivadier, cette phrase explique maints événements guerriers et tragiques, du prophète Iokanaan aux jours actuels que nous connaissons : « Mais il est des situations historiques où les corps, à force de vouloir s’éviter, entre en collision […] Et c’est ainsi que les choses vont leur chemin, sans avoir l’air d’y toucher-jusqu’à l’explosion… » (Jean-François Sivadier)

© Brigitte Enguerand

Tout en gardant la colonne vertébrale de l’œuvre de Salomé d’Oscar Wilde, Sivadier donne corps et vie à un spectacle tragi-comique, bombardé de couleurs, de violence, plongé dans la lutte et la rage de vivre. La Judée, en l’an 26 de notre ère, devient le théâtre d’affrontements entre Rome, la guerrière, la conquérante tentaculaire et le peuple juif, minorité asservie. Ponce Pilate règne en maître sur cette région belliqueuse pendant que Rome et l’empereur Tibère gardent un œil bien ouvert sur ses sbires.
Salomé, fille d’hérodias et belle fille d’Hérode, rentre en Judée après des années d’absence. Mais les arbres, les forêts, les paysages qu’elle aimait tant, ont disparu… Le roi Hérode a d’autres projets pour son royaume… Là-bas, quelque part dans le désert, un homme du nom de Jean Le Baptiste dit Iokanaan, prophétise et rassemble le peuple… Une troupe de théâtre amateur prépare son spectacle avant de le présenter à la cour du roi Hérode, eux aussi ont des choses à dire… Et puis un ange passe, l’ange Gabriel ou l’ange de l’Humanité ?
Savadier met en scène avec connaissance et intelligence, les relations passionnelles, meurtrières des hommes de pouvoir dans cette province tumultueuse ; pouvoir guerrier, religieux, populaire ou financier… Berceau des sentiments exacerbés, témoin des conquêtes successives et des déchirements continuels des peuples…

« Plus ils ont peur et plus ils frappent et plus ils ont peur… »

Jean-François Sivadier mène une mise en scène magistrale, à feu et à sang, en allant au bout de chaque idée, de chaque proposition. Il reproduit le temple d’Hérode avec des astuces scéniques proches du théâtre de tréteaux : tous les décors sont sous la main des comédiens, comme s’il souhaitait que rien ne nous soit caché. Nous sommes témoins pendant la pièce du rouage politique et théâtral. La lumière joue également un grand rôle sur le plateau, parfois simple, dénuée de tout effet et parfois criarde, colorée et vulgaire digne des boîtes de nuit.

Saluons le courage et le grand talent de Sivadier : Aborder la question des peuples à travers une mise en scène n’est pas chose simple: il arrive souvent que les idées sur scène paraissent en fouillis, vagues, naïves ou dépassent les limites de la démagogie…
Placer l’action et le théâtre d’affrontements en Israël est encore moins commode tant cette province déchaîne les passions. Mais parvenir à questionner les Hommes sur leur humanité, sur cette terre, en racontant une histoire qui traverse tous les âges, et se permettre en plus des anachronismes, des digressions, des moments d’absurde et le plus grand des comiques jusqu’à ce que nous en pleurions de rire ! Cela relève du plus grand exploit !
Il tient le sujet d’une main de maître, sa mise en scène est remplie de ruptures : on passe du rire aux larmes, toutes les émotions nous parviennent sans que l’on s’y attende, nous sommes accaparés par l’action.
Les comédiens, qui pour beaucoup jouent plusieurs personnages, dégagent une puissante énergie sur le plateau. On sent un engagement chez tous, très fort, très enraciné, ce qui ne les empêche jamais de retrouver une naïveté enfantine ! Nicola Bouchaud (Ponce Pilate, René) est tout simplement magnifique ! Il interprète un Pilate grossier, véreux et comique tout en gardant une allure noble et militaire. Puis, méconnaissable, on le retrouve dans le rôle d’un raté orgueilleux, narcissique et ridicule !

Sivadier arrive à nous transporter, à travers sa mise en scène et son écriture, dans les différentes époques de l’Histoire. Il nous mène également sur les traces de Shakespeare (Hamlet, Les jumeaux vénitiens, le songe d’une nuit d’été), d’Ubu roi (pour le langage) et de Fellini pour les bals populaires, les cirques…

Un moment intense de théâtre.

Noli me tangere
De et mise en scène : Jean-François Sivadier
Avec : Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Marie Cariès, Charlotte Clemens, Vincent Guédon, Eric Guérin, Christophe Ratandra, Nadia Vonderheyden, Rachid Zanouda
Collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit, Nadia Vonderheyden
Scénographie : Jean-François Sivadier et Christian Tirole
Lumière : Philippe Berthomé et Jean-Jacques Beaudouin
Costumes : Catherine Coustère
Son : Jean-Louis Imbert
Travail chorégraphique : Maud Le Pladec
Assistante mise en scène : Véronique Timsit
Régie : Dominique Brillault

Du 27 avril au 22 mai 2011

Odéon Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthier
1 rue André Suarès, 75 017 Paris – Réservations 01 44 84 40 40
www.theatre-odeon.fr

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