Critique de Camille Hazard –
Une rencontre sur un quai de gare à Tour
Elle, Lisbeths, vendeuse de bijoux
Lui, Pietr, vendeur ambulant d’encyclopédies.
Une rencontre inattendue entre deux personnes ordinaires
Et l’envie commune de se connaître.
© Théâtre du Bocage
Fabrice Melquiot aurait pu nous faire explorer la puissance de l’amour à travers cette rencontre. Mais dans cette pièce, l’amour absolu, la passion, n’existent pas ; ou furtivement, par lueurs…
Sans amour entier, intouchable, partagé par ce « couple », que reste-t-il ?
Il reste l’envie d’atteindre cet amour absolu mais surtout, l’incertain, les peurs, les frustrations, les refoulements devant l’idée vertigineuse d’un amour idyllique…
Chacun portent leurs quarante années de vécu sur le dos, leurs corps commencent à révéler les empreintes d’une vie de souvenirs, remplie de travail, de grossesse, de joies, de fêlures… Des êtres un peu abîmés.
Lisbeths et Pietr tanguent entre l’envie d’aimer, de s’abandonner à l’autre et leur peur enfouie de se livrer.
Confusions et hésitations se mêlent aux intensités sexuelles, à leurs besoins frénétiques d’habiter le corps de l’autre.
Dans leur bouche, les mots jaillissent puis retombent laissant des phrases pantelantes, entrecoupées, amputées d’un verbe, d’une fin.
Les mois filent, puis un jour, ils se retrouvent à nouveaux sur le quai d’une gare à la Rochelle. Mais Lisbeths n’est plus Lisbeths, ce n’est plus la même personne. Lisbeths est une inconnue…
© Théâtre du Bocage
Avec poésie et tact, Fabrice Melquiot nous plonge dans le monde de l’intime et de la relation à l’autre. Sans concession il nous parle d’images, de souvenirs, de perceptions éphémères que nous nous faisons des autres, comme si nous ne connaissions jamais réellement celui ou celle que nous côtoyons. L’instant présent est vécu pleinement, mais à peine a-t-il été vécu qu’il appartient déjà au passé ! Alors le regard et le souvenir creusent, magnifient l’objet ou au contraire le mettent à mal, ce n’est alors plus la même personne qui se tient devant nous…
La vie est présentée comme des moments, des bulles qui s’échappent pour en faire naître d’autres, une succession de petites vies, indépendantes les unes des autres et qui laissent à la fin, l’individu toujours seul, toujours en manque, toujours amputé de quelque chose.
Pietr : « Retrouvez-moi ce soir au Quality Hotel Harmony. Rue Joliot-Cury. Je vous lirai du Michelet. J’ai l’air d’un type, je sais, un type, enfin vous voyez, je n’ai rien de très… mais c’est moi, c’est vraiment moi. »
Lisbeths : « J’y serai. »
Le metteur en scène de la Compagnie Théâtre du Bocage, Manuel Bouchard, nous offre toute la résonnance et la profondeur du texte de Fabrice Melquiot.
Privilégiant une scénographie des plus sobres, les mots s’échappent seuls et viennent remplir le silence pesant de la salle. Deux chaises, une estrade et deux comédiens nous font voyager dans le temps, dans différents lieux et nous présentent plusieurs personnages.
Le comédien Claude Lalu, évident dans le rôle, revêt des attitudes un peu gauches, dégingandées et poétiques qui ne sont pas sans évoquer le personnage emblématique de Tati, Mr Hulot.
Un texte déroutant et mystérieux dans lequel il faut plonger avec hâte sans peur d’être ébranlé.
Lisbeths
De : Fabrice Melquiot
Mise en scène : Manuel Bouchard
Avec : Claude Lalu et Nadjina Khouri / Babette Largo (à partir de fin septembre)
Scénographie : Didier Gauduchon
Costumes : Pascale Robin
Lumières : Pierre Bayard et Manuel Bouchard
Musique : Moanaatea TepariiDu 18 août au 1eroctobre 2011
Du jeudi au samedi à 21h, le dimanche à 17hManufacture des Abbesses
7 rue Véron 75018 Paris – Réservations : 01 42 33 42 03
www.manufacturedesabbesses.com