Critiques // « Les Souffrances de Job » d’Hanokh Levin à l’Odéon / Festival Impatience

« Les Souffrances de Job » d’Hanokh Levin à l’Odéon / Festival Impatience

Juin 26, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Souffrances de Job » d’Hanokh Levin à l’Odéon / Festival Impatience

Critique de Bruno Deslot

Une tragédie moderne

Après deux années de travail et de nombreuses tournées en province, Laurent Brethome présente, dans le cadre du Festival Impatience, Les Souffrances de Job, une pièce aussi puissante que dérangeante dans laquelle Hanokh Levin pastiche la Bible pour faire de l’une de ses figures emblématiques, le protagoniste d’une tragédie moderne.

© Gérard Llabres

Gavé comme une oie et satisfait d’un banquet roboratif, Job voit se succéder une bande de mendiants venus se partager les restes, sucer les os jusqu’à la moelle, se tordre dans la fange du dénuement que Job connaîtra bientôt. Les messagers se font de plus en plus nombreux et annoncent à Job qu’il a perdu toute sa fortune et les huissiers se chargent de la saisie de ses biens jusqu’à ses trois dents en or, arrachées à la hâte ! Il aura fallu une nuit pour que tout bascule et réduire Job à une pauvreté inéluctable. Il a tout perdu, même ses enfants !

Huit chapitres pour décrire à la manière antique une image où la condition humaine se donne à voir comme un théâtre de la cruauté sous la forme d’une tragédie moderne où la question de Dieu n’est qu’un prétexte pour mettre en abyme l’absurdité du monde contemporain. Job, ce juste que Dieu frappe dans ses biens, dans ses enfants, dans son corps, exige de comprendre ! Ses souffrances sont à la mesure de la cruauté et de la déraison du monde d’aujourd’hui mais pour lui, pas de rédemption possible ni de happy end biblique ! A travers la tragédie de Job, Hanokh Levin nous renvoie l’image d’un monde qui accepte l’inacceptable, celui où il n’y a pas de Dieu et où l’humanité n’a que de vaines paroles à offrir face à l’injustice. Une tragédie donc, mais tonique où l’humour est salvateur et confère à cette vision noire de la condition humaine une vertu étonnamment revigorante. Un pari difficile à relever donc, lorsqu’il s’agit de monter Les Souffrances de Job…La cible n’est pas facile à atteindre et les dérapages peuvent être nombreux !

Plagiat ou citation, un beau travail d’archives !

© Gérard Llabres

Musique, rires et joies non contenus s’échappent des voilages blancs qui dessinent l’intérieur de Job où l’on pressent une réelle opulence. Des bouteilles en plastique tenues à la verticale ont investi le plateau et Job, hissé sur un siège derrière une immense table recouverte d’une nappe blanche, débute son monologue au micro, comme pourrait le faire un conférencier ! Dans la récente mise en scène de Jacques Vincey du Banquet de Platon, donnée au Studio Théâtre du Français, on se souvient de cette même scénographie, sauf que les bouteilles étaient en verre et qu’il n’y avait pas de micro ! Puis, cette succession de mendiants dont les membres (têtes, jambes, bras) sortent de cette immense table pour signifier leur présence. C’est de toute beauté, comme dans la scénographie de Avec le couteau le pain de Carole Thibaut où les personnages sortent de cette table en plan incliné ! Puis, les messagers de la misère annoncent à Job qu’il a tout perdu et tout bascule dans un exercice d’arts visuels afin de montrer le dénuement dans lequel Job se retrouve, la cruauté du monde, la souffrance et l’injustice. La scène est bâchée afin que les comédiens puissent répandre les couleurs du mal sur leurs corps à moitié nus ou totalement, c’est le cas de Job qui, comme dans La Métamorphose de Kafka, s’agite sur le dos comme un cancrelat suffoquant de désespoir ! Tout comme Pippo Delbono, Laurent Brethome mêle poésie, beauté plastique et musique afin que la féroce obscurité, dans laquelle Job est plongé, soit composée de plusieurs séquences qui apparaissent comme des images arrêtées, des photographies ! L’ensemble est donc largement lisible mais réduit considérablement le propos de l’auteur, qui pourtant est très bavard, et le texte ne nous parvient plus au bout de 20 minutes ! Le public finit par se passionner davantage par les ratages des comédiens qui glissent bien malgré eux sur la bâche maculée de peinture, où s’enfuit discrètement, sans doute pour être à l’heure aux Ateliers Berthier ! Des jets de sable, de peintures et d’autres projectiles sur Job réduit à néant, du plus bel effet, certes, mais trahissant un réel manque de parti pris de mise en scène chez Laurent Brethome. Certes, Les Souffrances de Job n’est pas la pièce la plus intéressante que l’auteur ait pu composer, mais tout de même, à force de tirer le trait du côté de l’ironie, l’ensemble finit pas s’épuiser très rapidement.

On aurait préférer découvrir cette jeune compagnie dans une autre proposition. Mais Laurent Brethome propose malgré tout une mise en scène ambitieuse, largement soutenue par les partenaires institutionnels, producteurs de consanguinité.

Les Souffrances de Job
– Prix du Public du festival Impatience, 2010 –
De : Hanokh Levin
Texte français : Jacqueline Carnaud et Laurence Sendrowicz (Editions Théâtrales)
Mise en scène : Laurent Brethome
Par : la Compagnie Le Menteur Volontaire
Conseiller dramaturgique : Daniel Hanivel
Scénographie et costumes : Steen Halbro
Lumière : David Debrinay assisté de Rosemonde Arrambourg
Musique : Sébastien Jaudon
Paysage sonore : Antoine Herniotte
Conseiller chorégraphique : Yan Raballand
Construction décors et régie générale : Gabriel Burnod
Avec : Thomas Blanchard, Antoine Herniotte, François Jaulin, Denis Lejeune, Hélène Marchand, Céline Milliat-Baumgartner, Geoffroy Pouchot-Rouge-Blanc, Anne Rauturier, Yaacov Salah, Philippe Sire

Les vendredi 25 et samedi 26 juin 2010
Dans le cadre du
Festival Impatience
Reprise du 19 au 28 janvier 2012

Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon, 75 006 Paris
www.theatre-odeon.fr

www.lementeurvolontaire.com


Voir aussi :
L’article de Dashiell Donello

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.