Critiques // « Les Forces Contraires » de Morgane Lory à La Loge Théâtre

« Les Forces Contraires » de Morgane Lory à La Loge Théâtre

Juin 17, 2011 | Aucun commentaire sur « Les Forces Contraires » de Morgane Lory à La Loge Théâtre

Critique de Rachelle Dhéry

Le spectacle a été conçu comme un triptyque visuel et sonore (un tableau mental, une scène de genre et un théâtre documentaire), avec une thématique liée : le « moi » (ou « lui », ou « elle »), en harmonie ou en désaccord avec certaines lois, us et coutumes de la société. Dès le départ, un bruit sourd, angoissant, une atmosphère oppressante et brumeuse, s’emparent de la salle et trois hommes évoluent sur scène, dans une géométrie de lumières et un décor minimaliste. Les corps se meuvent en silence et lentement sur la voix off d’un narrateur, parfois un peu engloutie par la sonorité du grondement assourdissant et omniprésent. La structure cartonnée, symbolise, tel un logo, les forces contraires, incarne tour à tour des appuis aux corps en mouvement dans la première scène, une table dans la seconde et un bureau dans la dernière.

© Marcella Barbieri

« Tenter de matérialiser nos étranges trajectoires et les forces qui nous traversent, nous dépassent, nous transforment. »
Morgane Lory, note de mise en scène

Au premier tableau, « le bouquet », le texte n’étant pas adressé face public, sa force en est malheureusement réduite. Mais il subsiste un malaise dans la réception du message, comme s’il ne lui était pas destiné, comme un télépathe surprenant la pensée d’autrui, intégrant peut-être malgré lui, les mots les plus intimes, les plus brumeux, les plus enfouis de cet individu. Les personnages ici n’existent pas. Il s’agit de « je » ou « il » ou « elle ». Seuls leurs actes, leurs désirs, leurs souvenirs ou leurs sensations permettent de les définir. L’individu est donc décrit par ses actes ou ses désirs, et non par son nom, son âge ou son origine.

Vient ensuite « le dîner » où trois femmes dignes de Feydeau entament un repas frugal, sur fond de piano ragtime proche de Scott Joplin et de discussions en apparence superficielles : je veux un mec courageux, je suis allée à l’opéra, jusqu’au basculement dans des questions métaphysiques. « On sait jamais, la vie, c’est des étapes », « Des fois, je me dis que la vie, c’est l’envers de l’envie ».. Tout en humour et en subtilité, les trois comédiennes dérivent brillamment d’un réalisme abstrait vers une abstraction comique, proche du cabaret, pour délivrer un monologue cornélien sur le pôle emploi, empreint d’autodérision plutôt savoureuse.

« Pour vous, rationaliser signifie réduire »

Le dernier tableau, « Le Guet », entraîne le public dans une réunion de grosse entreprise, avec des textes récupérés par l’auteur elle-même, lorsqu’elle travaillait comme rédactrice pour une marque connue de téléphone. Autant dire que la vision offerte du monde de l’entreprise est pleine de justesse et il est amusant de retrouver tout l’absurde et le surréalisme de certaines situations en réunion, sur une scène de théâtre. Comme quoi, le théâtre se fait volontiers le reflet de la vie, et vice-versa (prochain sujet de philosophie ?) … Pour bien souligner la théâtralité de cette scène, les six comédiens endossent à tour de rôle, celui de délégué syndical ou de directeur, etc. Cette petite démonstration est une façon d’évoquer la problématique de la personne en tant que fonction et non en tant qu’individu, problématique propre à nos sociétés, où l’homme se définit avant tout par son travail. De ce fait, lorsque le dernier personnage est une femme qui nous évoque tous ses problèmes personnels et donc humains, son humanité est ressentie comme une claque de vérité dans notre « gueule » fonctionnelle.

« Mon métier est de présenter, ce que parfois vous dîtes à la légère », en parlant de l’auteur.

A la fin, le grondement reprend et la boucle est bouclée. Pourtant loin d’assister à une pièce classique, c’est bien à trois performances que nous venons d’assister. Entre exercices de style et théâtre expérimental, Les forces contraires, le dernier spectacle de la compagnie Le don des Nues questionne, interroge, sans toutefois émouvoir. Donc, pour les amateurs d’histoires dites « classiques », mieux vaut passer son tour.

Les Forces Contraires
Texte et mise en scène : Morgane Lory
Scénographie : Ophélie Bignon
Création lumière : Nicolas Ameil
Création sonore : Matthieu Canaguier
Avec : Julien Crépin, Jade Lohé, Morgane Lory, Serge Ryschenkow, Nadège Sellier et Geoffroy Vernin

Du 14 au 30 juin 2011

La Loge Théâtre
77 rue de Charonne, 75011 Paris
www.lalogeparis.fr

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