Critique de Camille Hazard –
En cette soirée du 11 mars 1672, nous pénétrons dans la salle du Palais Royal. Installés confortablement dans une ambiance feutrée, baignée de bougies, nous attendons les trois coups annonçant le début de la représentation des « Femmes savantes ». Monsieur Molière n’est plus… Mais ce soir son génie et son âme planent dans la salle en pierre du théâtre de l’épée de bois.
© Katell Itani
En faisant renaître le théâtre baroque de ses cendres, la compagnie Fabrique de théâtre émerveille et devient porte-parole de toute une tradition théâtrale passée.
« Les Femmes savantes », pièce satirique, raille la grande bourgeoisie, celle qui fréquente les salons. La première critique de Molière est dirigée contre ces femmes de hauts rangs qui avalent, consomment, s’emplissent en toute occasion de culture et de sciences pour « briller ». Point de connaissance donc, juste matière à pédanterie. Car Molière ne se moque pas des femmes qui veulent s’instruire, il pointe du doigt la frontière entre l’envie sincère de s’éclairer sur quelque science ou poésie et l’aspect ostentatoire et ridicule d’un savoir de salon en vogue. Sa deuxième critique, plus profonde et plus sourde dans le texte, s’adresse à son époque toute entière. Certains personnages qui se confrontent aux femmes savantes de la famille ont eux aussi leur lot de bêtises !
« Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu’une femme étudie et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,
Faire aller le ménage, avoir l’œil sur ses gens,
Et régler la dépense avec autonomie,
Doit être son étude et sa philosophie. »
Chrysale
Molière a bien compris qu’il était plus aisé de critiquer une poignée de femmes dont tout le monde se moque plutôt que de démentir des mœurs trop bien ancrés. Ainsi en jetant son dévolu comique sur ces femmes, ils donnent la parole à la misogynie masculine (Chrysale) et à une certaine couche sociale mal éclairée (Martine).
© Katell Itani
Grâce à un travail en profondeur et extrêmement précis, la compagnie rend un très bel hommage au baroque. Mais ne voyons pas cette mise en scène comme une expérience ou comme une relique théâtrale ! En revenant aux « fondamentaux » du spectacle vivant de ce siècle, le metteur en scène Jean-Denis Monory donne à voir et à entendre le texte et le sous texte comme on peut le voir rarement de nos jours. En ces temps où l’on aime adapter, transformer, ajouter maintes originalités aux chefs d’œuvre, on jubile devant ces comédiens qui prennent tout en charge. Accompagnés de deux musiciens qui nous offrent une musique chaude sur instruments anciens, les comédiens se meuvent avec liesse dans cet univers. Diction accentuée, prononciation du « r » roulé, du « l » mouillé, la langue chante à nos oreilles. Costumes lumineux et colorés de l’époque, visages blancs surlignés de quelques traits peints, gestuelle des mains qui illustre avec force les propos des personnages, jeu frontal qui attise la concentration et l’écoute… Un travail herculéen de reconstitution mais aussi de trouvailles.
Car si le travail de la compagnie, dans un soucis de vérité historique, s’appuie sur des documents du XVIIe siècle (gazettes, lettres, critiques…), on retrouve dans la mise en scène, une part importante de création. Avant la représentation, entre les différents actes et même pendant les scènes, des rires intempestifs sont provoqués par des lazzis : plaisanteries burlesques, menées avec les mots, le mime, la gestuelle, les grimaces… Tout y passe et tout marche !
Enfin, désarçonnés par cet univers, crédules comme un enfant devant une histoire racontée, nous revenons peu à peu dans l’époque qui est la notre. Heureusement la transition est douce : le Théâtre de l’Épée de Bois est un de ces lieux où l’imaginaire se cache dans les murs, où lorsque l’on franchit sa porte, le réel s’estompe pour faire advenir le rêve.
Cette pièce n’a pas de prix car, l’homme moderne n’ayant toujours pas inventé la machine à remonter le temps, elle seule, nous offre la possibilité de retrouver nos arrières, arrières, arrières, arrières, arrières, arrières… artistes de théâtre !
Les Femmes Savantes
De : Molière
Mise en scène : Jean-Denis Monory
Comédiens : Bastien Ossart, Virginie Dupressoir, Anne-Louise De Ségogne, Céline Barbarin, Julien Cigana, Camille Metzger, Laurent Charoy, Malo de La Tullaye, Clotilde Daniault et Alexandre Palmas Salas
Musiciens : Manuel De Grange (théorbe et guitare), Louis-Joseph Fournier – Olivier Clémence (Hautbois, taille et flûte)
Dramaturgie : Gaël Le Chevallier
Direction musicale : Manuel De Grange
Chorégraphie : Caroline Ducrest
Conseillère vocale : Eveline Causse
Costumes : Chantal Rousseau
Scénographie : Charlotte Smoos
Maquillage, perruques : Mathilde Benmoussa
Décors, régie : Martin Le Moal, Katia Siebert et Pascal DeneuDu 18 novembre au 18 décembre 2010
Théâtre de l’Épée de Bois
Cartoucherie, Route du champs de manœuvre, 75 012 Paris – Réservations 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com